3.B.1) Noël Coward (1899–1973) (suite)
3.B.1.d) 1939–1945: effort de guerre, cinéma et grands classiques (suite)
«Present Laughter» et «This Happy Breed» enfin créés à la scène
Le projet «Play Parade»: UK-Tour de «Present Laughter», «This Happy Breed» et «Blithe Spirit»
Après le succès du film In Which We Serve, Coward entra en discussions avec Beaumont. Il accepta de diriger une tournée provinciale de 28 semaines regroupant Present Laughter, This Happy Breed et Blithe Spirit. La tournée fut rebaptisée Play Parade. Coward réunit une troupe dont il était la tête d’affiche, incluant Joyce Carey, Dennis Price et Beryl Measor. De nouveaux visages rejoignirent l’aventure, parmi lesquels James Donald, jeune acteur écossais sensible et avenant aperçu dans In Which We Serve, et l’élégante Judy Campbell, actrice-chanteuse de vingt-six ans. Un autre membre de l’équipe était Charles Russell, qui avait tenu un petit rôle dans le film. Il se souvenait avoir «échappé au fait d’être l’un des "boys" de Noël» après avoir décliné une invitation à aller boire un verre.
Délaissant les plateaux de cinéma, Coward retrouvait son élément: le théâtre. Il fit à cette cocasion sa première apparition scénique depuis Tonight at 8:30 en 1937.
Le projet audacieux de Play Parade se déroula sans encombre. Il n’y eut aucune des querelles habituelles ou des tensions en coulisses qui accompagnent souvent ce type de tournée, même si les privations de la Grande-Bretagne en guerre en faisaient une expérience très différente des tournées d’avant-guerre. Les hôtels luxueux et les voitures disparurent au profit du blackout, du rationnement et des alertes aériennes. Malgré tout, les conditions restaient meilleures que celles supportées par la majorité des Britanniques, et Coward admit: «J’étais engagé dans un travail d’acteur agréable et rémunérateur, qui ne contribuait en rien, activement, à l’effort de guerre.»
Et enfin Londres...

Affiche du diptyque
Remarquez le message en bas de l'affiche concernant les horaires et qui était en temps de guerre
En avril 1943, Present Laughter et This Happy Breed ouvrirent en alternance au Haymarket, offrant à la presse londonienne l’occasion de commenter. À propos de Present Laughter, The Times écrivit: «Le deuxième acte voit la farce française, spirituellement impertinente et fort bien inventée, lancée à plein régime; M. Coward et la très conciliante Mlle Judy Campbell l’amènent à un brillant climax, variation moqueuse de la scène de séduction.» This Happy Breed fut également bien accueilli: «M. Coward garde un contrôle sûr de son récit et, dans son propre rôle, se permet parfois de parler pour une Angleterre qui, bien que fatiguée, possède encore une endurance invincible.» Le spectacle fait un effet énorme en temps de guerre: il rappelle ce pour quoi et pour qui on se bat. Il y a toutefois quelques critiques plus austères: certains regrettent l’absence du «brillant Coward» (pas de mots d’esprit, presque aucune saillie comique). Mais l’ensemble est unanimement salué comme l’une de ses pièces les plus humaines.
Les deux pièces jouèrent à guichets fermés, en partie parce qu’un Londres privé de théâtre se précipitait sur toute nouveauté. «C’était très glamour et tout le monde venait», se souvient Charles Russell. «C'étaient de grandes pièces - mais elles avaient été écrites avant la guerre. »

Affiche
«This Happy Breed » (1943)
Après le succès d’In Which We Serve, l’équipe Lean / Havelock-Allan / Neame - désormais Cineguild - proposa de poursuivre la collaboration. «Noel Coward était très généreux», se souvient Lean. «Mais il n’aimait pas vraiment réaliser: il préférait écrire et jouer. À la fin du film In Which We Serve, il m’a dit: "Mon cher, prends tout ce que j’écris et fais-en ce que tu veux."» Très vite, il fut décidé d’adapter Blithe Spirit et This Happy Breed au cinéma. Ce fut ce dernier qui fut le premier, entrant en production au printemps 1943.
Caroline Lejeune, doyenne des critiques britanniques, écrivait: «C’est un projet Coward plus qu’un film Coward. Il a écrit la pièce, supervisé l’adaptation, choisi les acteurs et contrôle chaque détail, mais ne dirigera pas et n’y joua pas.» L’équipe travaillait «quelques pages à la fois», courant ensuite retrouver Coward en tournée, où il pratiquait des coupes drastiques. Il imposa aussi certaines limites: «Coward a horreur de ce qu’il appelle la "folie du cinéma"», notait Lejeune. «L’essence de This Happy Breed tient à la relation entre la famille et sa maison: les caméras auront la liberté du n°17, pas davantage». En d'autres termes, les caméras peuvent se déplacer librement à l’intérieur de cette maison (le n°17 17 Sycamore Road), mais ne doivent pas aller au-delà... hormis un clin d’œil à John Mills par-dessus la clôture. On parla même d’un plan d’ouverture façon Orson Welles montrant un anneau de crasse dans la baignoire - idée abandonnée.

Celia Johnson et John Mills
dans «This Happy Breed»
«C’était agréable d’être impliqué sans être prisonnier du film», écrivit Coward. Il fut particulièrement satisfait du Technicolor discret, qui donnait au film un voile nostalgique. Il n’y avait alors que quatre caméras Technicolor en Angleterre, et leur usage subtil fit que beaucoup de spectateurs ne remarquèrent même pas la couleur.
Certaines critiques virent dans le film un ton «détaché et condescendant», jugeant que Coward flattait le public tout en le frôlant de la caricature. Ces remarques pointent ses idéaux datés et ses limites sociologiques, mais négligent la portée artistique du film, qui reste un hommage touchant à une Angleterre rêvée: un paysage cockney néo-romantique, une image d’un peuple et d’une ville existant peut-être seulement dans l’imaginaire de Noel Coward.

John Blythe, Eileen Erskine, Betty Fleetwood, Celia Johnson, Robert Newton, Guy Verney et Kay Walsh
dans «This Happy Breed»
Coward en tournée militaire après This Happy Breed (1943–1944)
Après la production de This Happy Breed (tournage 1943, sortie 1944), Coward ne repart pas immédiatement pour un autre film: il se consacre à ce que l’État britannique attend de lui - divertir les troupes partout où cela est possible. Cela va être une des périodes les plus intenses de son engagement de guerre. Coward entreprend plusieurs tournées - certaines par le gouvernement britannique, d’autres par l’ENSA (Entertainment National Service Association), et d’autres encore de sa propre initiative.
Ce sont surtout des tours de chant, exactement comme il l’avait fait en Australie en 1941, avec des chansons célèbres, sketches et des monologues et, bien sûr, des petits discours patriotiques, mais toujours mêlés d’humour. Il se produit devant des soldats britanniques, des troupes du Commonwealth, des marins, des blessés dans les hôpitaux militaires, des diplomates et personnels en poste à l’étranger.
La tournée Moyen-Orient / Afrique du Nord (été-automne 1943)
Dans ce cas, Coward refuse de passer par l’ENSA et organise sa propre tournée de douze semaines en Afrique du Nord et au Moyen-Orient en 1943. C'est tout un périple à travers l’Afrique du Nord, le Levant et l’Irak, avec visites d’hôpitaux et prestations près du front pour les troupes britanniques. Il va voir au lit ceux qui ne peuvent se déplacer. Il passe partout où il y a des troupes anglaises, entre autre pas Malte, par l'Egypte (le Caire, Canal de Suez, ...), l'Irak, ...
Même si il a envie de faire cette tournée, elle soulève de nombreuses questions dans la tête de Noël Cowxard. Il passa une semaine à parcourir la zone du Canal de Suez, donnant des concerts et rendant visite aux hôpitaux, profondément impressionné par la compétence du personnel médical. Sholto Douglas l’invita à une soirée pour rencontrer le roi Farouk; à 1h30 du matin, le roi lui lança: «Viens chanter pour le souper». Douglas nota la réaction de Coward à être traité comme un simple amuseur: «Si les regards pouvaient tuer, celui que Coward lança à Farouk… lui aurait fait perdre son trône bien plus vite encore qu’il ne l’a fait.»
Pendant que Coward séjournait au Caire, un général sud-africain, Frank Theron, le persuada de préparer une tournée en Afrique du Sud. L’idée avait été évoquée pendant le tournage de In Which We Serve, mais Noel avait alors été trop occupé pour l’envisager sérieusement. Cette fois, le voyage semblait plus réalisable, et le nombre de blessés alliés dans les hôpitaux sud-africains en faisait presque un devoir moral. Coward discuta du projet avec Norman Hackforth, alors en tournée au Moyen-Orient avec l’ENSA, et qui travaillait par intermittence comme accompagnateur de Coward depuis 1941 et aidant à écrire des chansons telles que London Pride ou Won’t You Please Oblige Us with a Bren Gun. La nouvelle proposition que Coward lui fit était séduisante, et Hackforth accepta la tournée sud-africaine à la fin de la tournée actuelle de Coward.
Il y eut ensuite un autre déplacement à Tripoli, où les hôpitaux débordaient de blessés de Salerne. Peter Daubeny, alors avec la Huitième Armée, nota la prestation de Coward: «J’ai pensé, quel enfer! Quel cran il doit avoir!» Le rideau s’ouvrit «sous des applaudissements à contrecœur… Il était vêtu en Desert Rat, mais avait réussi à donner à son déguisement une finition Cartier», et le public fut «rapidement matraqué jusque dans la soumission par son énergie pure et sa détermination… Ils rugirent, tapèrent des pieds et réclamèrent des rappels, utilisant tous les artifices flatteurs pour le retenir, comme des enfants qu’on embrasse avant de les coucher. Son triomphe fut total.»
Coward déclara plus tard que «jouer pour les troupes peut être une horreur. Contrairement à ce qu’on croit, ils ne sont pas très futés.» Ce genre de jugement arbitraire allait lui attirer des ennuis. Coward visita un hôpital de blessés sud-africains, et fut frappé (dit-il lors d’un déjeuner du Rotary à Johannesburg) par le fait que «parmi ces hommes brisés et souffrants, il n’en avait trouvé qu’un seul dont le moral était bas, et on lui avait arraché les ongles des pieds». Mais il y avait aussi une centaine de soldats américains, blessés à Salerne: «J’ai parlé à des gaillards coriaces du Texas et de l’Arizona, de magnifiques spécimens, au moral excellent, mais j’ai été moins impressionné par certains de ces petits gars lugubres de Brooklyn, gisant là en larmes au milieu du maïs étranger, avec rien de pire qu’une balle dans la jambe ou un bras fracturé» — une remarque lancée en passant, qu’il devait regretter.
Alger était froide et mit Coward de mauvaise humeur. Sa tournée de travail était terminée, et il décolla dans un DC3 battu par la tempête, profitant ensuite du vol au-dessus d’une Méditerranée calme jusqu’à Gibraltar. Il se reposa quelques jours au Government House, et observa le HMS Charybdis, son «navire-dieu» quitter le port. Cest le navire avec lequel il avait fait la fin de sa tournée... À son retour en Angleterre, on lui apprit qu’il avait coulé au large de la France le 23 octobre, avec seulement dix-neuf survivants.


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