Avant d'anbalyser les choses plus en profondeur, voici un état des lieux très schématique.
The Jazz Singer sort en octobre 1927, quelques mois après Show Boat : coïncidence historique délicieuse. Le son au cinéma permet soudain… de chanter! Hollywood saute sur l’occasion: la comédie musicale devient un genre cinématographique majeur en moins de trois ans.
Il y a deux conséquences directes:
- Les talents de Broadway sont rapidement convoités
- Le musical n’est plus un monopole de la scène: il a désormais un concurrent (et parfois un miroir déformant) sur écran.
Les années 1930 voient un exode discret mais massif:
- Des compositeurs: George Gershwin, Cole Porter, Rodgers & Hart (par intermittence), Kern…
- Des librettistes: George S. Kaufman, P.G. Wodehouse
- Des chanteurs stars: Fred Astaire, Ethel Merman (brièvement), Bing Crosby
- Des chorégraphes: Busby Berkeley, plus tard Balanchine
Pourquoi? Hollywood paie mieux que Broadway, touche plus de monde, offre un confort de production inégalé. Mais attention, il impose aussi des règles beaucoup plus strictes: starification, standardisation, happy ending.
Le musical hollywoodien ne cherche pas forcément à reproduire la logique du théâtre. Il crée ses propres codes:
- On peut faire recours à un réalisme qui le temps d'une chanson est suspendu: on peut chanter dans la rue, au milieu du désert, sous la pluie…
- On présente des chorégraphies spectaculaires et irréalistes: Berkeley et ses kaléidoscopes humains, par exemple
- On retrouve dans les comédies musicales hollywoodiennes des stars très typées: Astaire, Rogers, Garland, Keeler, Powell, ...
Broadway perd certains talents mais réagit en cultivant une forme plus "littéraire", poussant vers plus de cohérence narrative, comme pour se distinguer de la pure performance filmée. C'est ce que nbous avons vu chez beaucoup d'auteurs et compositeurs au chapitre précédent.
Peut-on parler de concurrence? Oui. Mais surtout de dialogue.
| Ce que Hollywood donne à Broadway | Ce que Broadway donne à Hollywood |
| Stars bankables | Matériaux narratifs testés sur le public |
| Technologies de pointe (son, image, montage) | Chansons, structures, modèles de succès |
| Spectacle visuel | Sophistication dramatique |
| >Un public de masse | Un héritage culturel “légitime” |
Hollywood popularise le musical. Broadway en garde la légitimité artistique.
Quoi qu'il en soit, on va assister à un va-et-vient permanent Broadway-Hollywood. Il y a une vraie synergie artistique: les deux industries se nourrissent mutuellement, même si Broadway perd une partie de son aura.
Cette relation amorce un phénomène qui s’amplifiera après 1943 : le musical comme forme à la fois scénique et cinématographique, capable de se réinventer d’un médium à l’autre.
| Critère | Hollywood (cinéma) | Broadway (théâtre) |
| Fonction des chansons | Pause enchantée / rêve éveillé / pure émotion | Expression des personnages / progression dramatique (de plus en plus) |
| Mise en scène | Liberté absolue (caméra mobile, décors irréels, montage) | Limitation spatiale du plateau → créativité dans les contraintes |
| Rapport au réalisme | Absolument aucun complexe : on chante et danse partout, tout le temps, sans justification | Recherche progressive de vraisemblance : pourquoi chante-t-on ici, maintenant ? |
| Rapport à la danse | Surenchère spectaculaire (Busby Berkeley et ses chorégraphies vues du ciel, géométriques, quasi abstraites) | Danse de caractère ou narrative (vers Agnes de Mille et les ballets dramatiques) |
| Rapport à l’espace | Illimité : studios géants, décors monumentaux, pas de limites physiques | Espace scénique défini, jeux de lumière, décors stylisés pour suggérer plus que montrer |
| Star system | Ultra-dominant : le musical est un prétexte pour mettre en valeur une vedette (Astaire, Rogers, Garland) | Importance croissante du rôle et du personnage par rapport à l’acteur vedette |
| Tonalité générale | Fantaisie, humour, glamour, échappatoire face à la crise | Plus grande variété de tons : satire, ironie, gravité, parfois noirceur |
| Temporalité dramatique | Très fragmentée (enchaînement de numéros), souvent sans unité de lieu ou de temps | Progression plus linéaire, unité de temps et d’espace plus respectée |
| Rapport au spectateur | Immersion totale, évasion visuelle | Complicité théâtrale, parfois adresse directe au public, plus de distance critique |
Après ce descriptif schématique, pour ceux qui le désirent, les pages suivantes abordent l'évolution du rapport Broadway-Hollywood de 1927 à 1943 en plusieurs périodes.


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