7.
1927 1943 - Difficultés

 8.6.
Les 2 prédécesseurs:
«Show Boat»
«Porgy and Bess»


 8.7.2.
Rodgers?
Hammerstein?
Hart?

 8.8.
Les artistes-créateur
d'«Oklahoma!»

 9.
1943 1964 - Golden Age

Il est très important de se rappeler les divers problèmes artistiques et financiers auxquels la Theatre Guild a été confrontée dans les années '30 et au début des années '40. Cela a fortement influencé un certain nombre de choix faits dans la conception de ce qui allait devenir Oklahoma! (). Pendant plus d’une décennie, Lawrence Langner et Theresa Helburn avec la Theatre Guild avaient marché tels des équilibristes sur un fil suspendu, se balançant entre deux camps:

  • la volonté de faire des choix artistiques rigoureux et la nécessité financière de succès commerciaux
  • l’amour du théâtre européen et la nécessité de monter du théâtre américain
  • leur attrait pour des thèmes sociaux mais aussi universels
  • le questionnement quant au choix entre des distributions avec ou sans «stars»
  • se cantonner à des pièces de théâtres ou oser proposer des musicals interprétés par des «acteurs chanteurs»

En ce qui concerne Oklahoma! (), la Theatre Guild va tantôt choisir un côté (le musical est résolument américain et pas européen), tantôt l’autre (il n’y a pas de star dans la distribution) … ou même choisir le compromis: le spectacle a été à la fois un succès artistique et un succès commercial; ses thèmes étaient universels, mais il a également une pertinence sociale immédiate. Cela a sans doute participé au succès de ce spectacle que des gens très différents ont apprécié, ce qui l’a rendu universel. Mais attention, il s’agit du résultat et tout cela n’était pas si clair au début du processus de création, lorsque l’équipe a commencé à adapter Green Grow the Lilacs de Riggs en ce qu’on a appelé de diverses façons une «opérette», un «musical» ou une «pièce musicale».

Qui est à la base de cette folle aventure qu’est la création d’Oklahoma! ()? C’est très clair: Theresa Helburn. Langner a déclaré dans une lettre à Rodgers, quelques semaines après la création: «C’est à environ 99,9% à Theresa que l’on doit Oklahoma!» Et dans son autobiographie, il confie:

«Theresa a tout le mérite d’avoir eu l’idée de produire Oklahoma! et d’avoir réuni Rodgers et Hammerstein pour créer l’œuvre.»

«The Magic Curtain» - Autobiographie de Lawrence Langner


Très clairement, pour Theresa, Oklahoma! () était une œuvre à part dans son trajet. Le 27 mars 1947, elle écrit à Mary Martin:

«Mon bébé, Oklahoma! célèbre son quatrième anniversaire samedi soir. J’aimerais que vous puissiez venir à sa fête d’anniversaire en arrière-scène au St. James. L’enfant est encore fort et vigoureux, et il est prêt à survivre à sa sœur cadette, Carousel (). C’était mon bébé, vous savez.»

Theresa Helburn


Theresa Helburn, elle-même, avoue dans son autobiographie:

«Oklahoma! () était une «réalisation de mon rêve, la production d’un tout nouveau genre de pièce avec de la musique, non pas un musical au sens familier du terme, mais une pièce dans laquelle la musique et la danse seraient des aides et des auxiliaires de l’intrigue elle-même pour raconter l’histoire»

«A Wayward Quest» - Autobiographie de Theresa Helburn


Nous avons vu que depuis le succès critique de Porgy et Bess () en 1935 – rappelons que ce ne fut pas un gros succès auprès du public – la Theatre Guild avait cherché à créer un nouveau musical. Cette démarche s’est amplifiée au début des années ’40, peut-être parce qu’elle était considérée comme une solution aux difficultés financières de la Guild. En outre, la saison 1942-43 était celle du 25ème anniversaire de la Guild. Langner ne voulait rien faire de spécial car les finances ne le permettaient pas mais Helburn aurait quand-même voulu faire quelque chose de spécial.

Comme toujours dans un processus de création théâtral, on organise des lectures de textes avant de décider de produire un spectacle. Il y en a eu de nombreuses en 1942 dans le cadre de la recherche d’une œuvre musicale:

  • Camilla (adaptation de La Périchole d’Offenbach - lecture en janvier 1942)
  • Enchanted Lady (lecture en février 1942)
  • un Negro musical (lecture en mai 1942)
  • Marianne (lecture en juillet 1942)

Et le futur Oklahoma! ()? Helburn semble avoir commencé à songer sérieusement à une adaptation musicale de Green Gows the Lilacs à la fin d’avril 1942, tant dans la recherche de financements que dans la création de la programmation de la saison 1942-43. Si l’œuvre semblait choisie, il fallait encore un compositeur. Compte tenu des négociations passées entre la Guild et Kurt Weill, il n’est pas surprenant de trouver Weill dans la liste – nous ne connaissons pas la date d’élaboration de cette liste – de compositeurs potentiels pour l’adaptation de Green Grow the Lilacs. Cette liste comprend:

  • Rodgers et Hart (en tête de liste)
  • Jerome Kern
  • Paul Bowles (qui avait composé la musique de Liberty Jones () de Philip Barry créé en 1941 par la Guild au Shubert Theatre - flop: 22 représentations)
  • Irving Berlin
  • Cole Porter

Belle liste! La même liste suggère un certain nombre de librettistes, dont

  • Russel Crouse
  • Ira Gershwin
  • Ben Hecht
  • S. N. Behrman
  • Moss Hart
  • John Latouche
  • ...

C’est évidemment le résultat d’un brainstorming lors d’une réunion, rien de plus… Dans ce cas, il s’agit presque d’un simple relevé des sommités de Broadway du début des années '40!

Helburn a effectivement approché Kurt Weill à propos de Green Grow the Lilacs en mai 1942. Mais elle en a aussi parlé à Richard Rodgers qui lui a suggéré Ira Gershwin pour écrire les paroles.

Et Russel Crouse avait rendez-vous à la Guild, le 18 mai 1942 pour discuter de l’écriture du livret d’un musical. Crouse avait commencé sa carrière en travaillant au service de presse de la Theatre Guild, et il était bien connu pour son travail avec Cole Porter (Anything Goes (), 1934; Red, Hot and Blue (), 1936) et Harold Arlen (Hooray for What! (), 1937), ainsi que pour sa pièce à succès (avec Howard Lindsay), Life with Father (1939). Il écrivit à Helburn ce matin-là :

«Il va être impossible pour moi de vous voir cet après-midi... Je suis d’accord avec vous que Green Grow the Lilacs ferait une belle opérette. Je ne suis pas d’accord avec vous lorsque vous dites qu’il s’agit d’un travail facile. Cela implique une étroite collaboration entre le compositeur et le librettiste, et un travail fastidieux, dur et détaillé.
Howard Lindsay et moi terminons une pièce que nous espérons produire très bientôt [Strip for Action ouvrira le 30 septembre 1942]. Il y a un autre projet qui suit et, compte tenu du travail acharné que je viens de décrire, je crains que cela ne m’écarte trop de ce projet.
Désolé, ce serait amusant de travailler à nouveau ensemble, mais c’est impossible. Bonne chance avec, et je vais passer vous voir bientôt, juste pour une visite.»

Message de Russel Crouse à Theresa Helburn


Déjà à ce moment, en mai 1942, Helburn avait pensé à toute une série d’artistes qui pourraient jouer dans le spectacle. Et d’après ces souhaits, il semble que Helburn avait une vision particulière de l’adaptation Green Grow the Lilacs en musical, qui impliquait des intermèdes comiques et des numéros spécialisés, utilisant de manière importante le thème du cow-boy. Roy Rogers et Tex Ritter, par exemple, étaient des «cow-boys chanteurs» célèbres lors du rodéo annuel du Madison Square Garden et au cinéma. Tout cela devait alléger le ton lourd de la pièce initiale, et aussi proposer un divertissement contenant au moins quelques épisodes qui pourraient être sorti d’une revue. Nous avions parlé au début de ce chapitre de «marcher sur un fil»…

Pour Helburn, cette ambiance de cow-boy semblait à ce stade fondamentale pour réussir l’adaptation de Green Grows the Lilacs. Elle a assisté au National Folk Festival au Madison Square Garden le 11 mai 1942. Cette expérience a peut-être encouragé Helburn à vouloir créer une pièce folklorique totalement nationale, mettant en avant ce grand esprit démocratique de l’Ouest Américain. Fin mai, John Gassner - responsable à la Theatre Guild de la lecture des pièces - fit un memo à Helburn:

«Theresa, as-tu écouté la musique d’Earl Robinson? Un autre bon compositeur pour Green Grow the Lilacs serait Aaron Copland, si tu as exclu Kurt Weill pour une quelconque raison.»

Memo de John Grassner à THeresa Helburn


Gassner a aussi suggéré Paul Bowles. Robinson et Bowles avaient tous deux la réputation de composer des chansons politiques percutantes pour le théâtre de gauche, et il semble peu probable qu’ils auraient endossé «l’esprit démocratique américain évoqué par l’Ouest Américain»…

Malgré plusieurs rappels de Gassner, Helburn ne les contacta jamais car elle semblait avoir décidé autre chose… Mais même après s’être fixée sur Rodgers et Hammerstein, sa propre vision de ce que devait être l’adaptation de Green Grow the Lilacs semble avoir longtemps persisté. Le 8 octobre 1942, elle suggéra à Rodgers et Hammerstein d’assister au rodéo du Madison Square Garden (qui se déroulait du 7 au 25 octobre). Et même encore en février 1943, la Guild était à la recherche de numéros de square-dance mais aussi de lasso! Le musical Oklahoma! () qui a finalement émergé était très différent, bien que les tensions entre les ambitions de Rodgers et Hammerstein et les visions de Helburn de mai 1942 allaient perdurer jusqu’à la première.