Virginia est une tentative singulière dans la carrière de Schwartz: il s’agit d’une opérette à grand spectacle plutôt qu’une comédie musicale. Schwartz y compose la musique, mais les paroles ne sont pas de Dietz – elles sont confiées à Albert Stillman, tandis que le livret est signé par Laurence Stallings et Owen Davis. L’histoire se déroule au XVIIIe siècle en Amérique coloniale, sur fond de guerre d’Indépendance américaine. Le projet, financé par la riche famille Rockefeller, vise à créer une œuvre de prestige patriotique. La première a lieu au Center Theatre (Radio City) le 2 septembre 1937. Malgré de larges moyens (décors de Lee Simonson, costumes d’Irene Sharaff) et une distribution fournie (Mona Barrie, Gene Lockhart, Nigel Bruce, etc. – y compris le danseur de claquettes John W. Bubbles dans un rôle de domestique), Virginia peine à trouver son public. Le rideau tombe le 23 octobre 1937, après seulement 60 représentations.

L’action se déroule à Williamsburg en 1776, au moment de la Déclaration d’Indépendance. On y suit les destins croisés de colons, d’officiers britanniques et de patriotes américains. L’héroïne éponyme, Virginia, est la fille d’un gouverneur colonial et se retrouve au cœur d’intrigues amoureuses et politiques dans cette période troublée. Le livret mêle romance (Virginia doit choisir entre un capitaine anglais et un officier américain) et événements historiques (un bal à la cour du gouverneur, la lecture des premières nouvelles de la révolte). L’ambition de l’opérette est de marier le style léger de Broadway avec le souffle de l’histoire américaine naissante.

Virginia reçoit des critiques mitigées. Si la production est saluée pour ses valeurs techniques (beaux décors et costumes d’époque) et quelques passages musicaux entraînants, l’ensemble paraît désuet et peu dynamique. Le New York Times souligne la lourdeur du livret, trop respectueux du texte original et manquant de peps dramatique. Le public, peut-être moins sensible à un sujet historique sérieux dans un format d’opérette, ne se passionne pas pour l’œuvre. Après deux mois à l’affiche, le spectacle ferme, accusant un échec financier notable pour ses producteurs.

Pour Arthur Schwartz, Virginia restera une parenthèse un peu décevante. C’était l’occasion pour lui d’explorer un registre plus classique (l’opérette historique, proche des œuvres de Sigmund Romberg ou Rudolf Friml) en s’éloignant de la modernité urbaine de ses revues. Si la partition comportait sans doute de jolis morceaux (peu enregistrés, hélas, et donc tombés dans l’oubli), Virginia n’a pas eu de postérité. On peut y voir un décalage entre l’attente du public de 1937 – désireux de divertissements légers ou de swing – et ce spectacle aux allures un peu académiques. Schwartz reviendra par la suite à des projets plus contemporains et personnels. Virginia demeure comme un échec instructif, reflétant la difficulté à imposer un style d’opérette sur Broadway à la veille de la Seconde Guerre mondiale.

Stars In Your Eyes est une comédie musicale créée le 9 février 1939 au Majestic Theatre, fruit de la collaboration entre Arthur Schwartz (musique) et la célèbre parolière Dorothy Fields (connue pour Annie Get Your Gun ou Swing Time). Il s’agit d’une satire de Hollywood montée à Broadway, dans laquelle Schwartz délaisse temporairement Howard Dietz pour s’associer à Dorothy Fields. La mise en scène est signée Joshua Logan (un jeune metteur en scène qui fera ensuite South Pacific) et le décor planté est celui d’un grand studio de cinéma à Hollywood. La distribution est très prometteuse: la reine de Broadway Ethel Merman tient le rôle principal, aux côtés du comique Jimmy Durante et de la ballerine Tamara Toumanova. Malgré cela, le spectacle ne connaît qu’un succès modéré avec 127 représentations, se terminant le 27 mai 1939.

L’action se déroule intégralement sur un plateau de tournage hollywoodien fictif, Monotone Pictures Studio. La star capricieuse Jeanette Adair (Ethel Merman), actrice glamour, veut à tout prix séduire un jeune dramaturge idéaliste John Blake venu adapter son œuvre engagée au cinéma. John, quant à lui, tombe amoureux d’une figurante russe, Tata (Tamara Toumanova), qui rêve de devenir danseuse. Bill (Jimmy Durante), un « idée-man » farfelu du studio, tente d’aider tout ce beau monde et de sauver le film chaotique en cours de tournage. La comédie joue donc sur le choc entre l’art et le commerce : d’un côté la vedette superficielle et le système hollywoodien prêt à édulcorer une pièce sociale, de l’autre l’auteur intègre et sa muse spontanée. Les numéros incluent des parodies de scènes de film (ballets, chansons de plateau) et des quiproquos sentimentaux.

La partition de Schwartz et Fields offre des morceaux adaptés au talent puissant de Merman – notamment “This Is It”, un air entraînant qu’elle chante avec sa voix de stentor, devenu le slogan musical du spectacle. D’autres chansons comme “A Lady Needs a Change” (chantée par Merman) ou “Terribly Attractive” explorent avec humour le personnage de diva de Jeanette. Tamara Toumanova, danseuse étoile, est mise en valeur dans des séquences de ballet sur mesure (par exemple “Night Club Ballet”). Enfin, Jimmy Durante apporte son numéro signature comique avec “It’s All Yours”, où il distille ses calembours caractéristiques. Le style des chansons oscille entre le swing hollywoodien et la tradition Broadway, avec l’empreinte de Dorothy Fields dans des lyrics vifs et colloquiaux.

Si Stars In Your Eyes amuse les initiés du milieu du spectacle par ses clins d’œil satiriques, la critique reste tiède. On loue l’énergie d’Ethel Merman – toujours excellente dans le registre de la diva comique – et on apprécie les intermèdes dansés de Toumanova qui apportent une touche de grâce. En revanche, le livret (signé J. P. McEvoy) est jugé inégal, ne sachant pas toujours quel ton adopter entre la parodie acerbe et la romance sincère. Le public répond présent au début grâce à la notoriété de Merman, mais l’intérêt s’émousse relativement vite. Le spectacle s’arrête après quatre mois sans laisser de véritable tube impérissable (si ce n’est “This Is It” connu des amateurs).

Cette comédie musicale illustre la difficulté de représenter Hollywood sur une scène de Broadway. Malgré son pedigree (Schwartz et Fields sont des auteurs chevronnés), Stars In Your Eyes n’atteint pas la postérité de certaines œuvres contemporaines. Néanmoins, elle constitue une collaboration notable entre Schwartz et Dorothy Fields, prélude à leurs succès des années 1950. C’est aussi le dernier grand rôle d’Ethel Merman à Broadway avant qu’elle ne parte triompher à Hollywood à son tour. Pour Schwartz, la fin des années 1930 marque un ralentissement de son activité théâtrale (après ce show, il se consacrera surtout au cinéma pendant la guerre). Stars In Your Eyes reste un objet curieux, témoignage des tentatives de métathéâtre musical d’avant-guerre, où Broadway se moque gentiment de Hollywood.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Arthur Schwartz ralentit considérablement ses activités à Broadway et oriente sa carrière vers Hollywood, où il compose des chansons pour des films et s’investit dans la production cinématographique. Voici ce que l'on peut dire de ses activités principales pendant cette période (1941–1945):

7.L.1) Compositeur et producteur de l’effort de guerre culturel à Hollywood

Schwartz s’éloigne temporairement de Broadway à partir de 1939 et se concentre sur le cinéma, principalement pour la Warner Bros. et Columbia Pictures. Il compose des chansons pour des films patriotiques, comme “They’re Either Too Young or Too Old” pour le film Thank Your Lucky Stars (1943) – paroles de Frank Loesser. Il s'agit d'une chanson satirique sur le rationnement amoureux en temps de guerre: une femme déplore que tous les bons partis soient soit au front, soit trop jeunes ou trop vieux. Elle est chantée dans le film par… Bette Davis, dans une prestation comique qui fait le tour des États-Unis. La chanson devient un succès radiophonique et vaut à Schwartz une nomination à l’Oscar de la Meilleure chanson originale en 1944.

Schwartz est également producteur associé sur plusieurs films musicaux:

  • Cover Girl (1944, avec Rita Hayworth et Gene Kelly) – il ne compose pas la musique (signée Jerome Kern), mais il coproduit le film.
  • Night and Day (1946) – biopic très romancé de Cole Porter, produit pour Warner Bros, avec Cary Grant. Schwartz joue ici un rôle important dans la supervision artistique.

7.L.2) Engagement indirect dans l’effort de guerre

Il n’a pas, à notre connaissance, pris part à des actions militaires ou à des tournées USO (comme Irving Berlin ou Cole Porter), mais il contribue à l’effort moral par la musique et le divertissement: en composant des chansons patriotiques ou consolatrices et en produisant des œuvres à fort impact culturel pour les civils et les soldats.

7.L.3) Moins de productions scéniques

Entre Stars in Your Eyes (1939) et Park Avenue (1946), aucune nouvelle comédie musicale de Schwartz n’est créée à Broadway. Il semble avoir fait une pause scénique volontaire, concentré sur le cinéma, peut-être aussi pour des raisons familiales (ses enfants sont encore jeunes à l’époque) ou pragmatiques (les théâtres new-yorkais tournent au ralenti pendant la guerre).