Arthur Schwartz naît en 1900 à Brooklyn, dans une famille juive. Enfant autodidacte, il apprend l’harmonica et le piano, accompagnant même des films muets dès l’adolescence. Bien que passionné de musique, il suit la voie tracée par son père avocat et décroche un Juris Doctor en droit à l’Université de New York, étant admis au barreau en 1924. Parallèlement à ses études, il enseigne l’anglais dans le secondaire et commence à écrire des chansons. Dès 1923, il publie sa première composition et fréquente des figures comme George Gershwin ou Lorenz Hart qui l’encouragent à persévérer. L’année 1927 marque un premier succès modeste : une de ses chansons est incluse dans la revue The New Yorkers de Cole Porter. En 1928, Schwartz ferme son cabinet d’avocat pour se consacrer entièrement à la musique. Il convainc alors Howard Dietz – parolier déjà reconnu ayant collaboré avec Jerome Kern – de former avec lui un tandem créatif. Leur entente artistique donne rapidement naissance à une série de revues et comédies musicales à Broadway qui jalonneront la fin des années 1920 et les années 1930. Arthur Schwartz voit ainsi sa carrière lancée avec une première revue d’un nouveau genre en 1929.

Comme nous l'avions vu dans le chapitre des années '30 (), The Little Show est une revue musicale née de la collaboration inaugurale du duo Arthur Schwartz (musique) et Howard Dietz (paroles). C'est en fait la première collaboration entre Arthur Schwartz et Howard Dietz. Cette revue est produite par William Brady Jr. et Dwight Wiman et elle est conçue en réaction aux grandes revues à grand spectacle de l’époque, privilégiant à l’inverse l’esprit et l’élégance.

La formule provient de soirées de variétés dominicales organisées par Tom Weatherly, dont l’idée était d’offrir un divertissement plus raffiné que les extravagances de Broadway. Créé au Music Box Theatre, le spectacle ouvre le 30 avril 1929 et rencontre un franc succès avec 321 représentations jusqu’en février 1930. C’est la première d’une série de onze productions mettant en vedette les chansons du tandem Dietz & Schwartz.

The Little Show aligne des numéros variés (chants, sketches et danses) servis par un trio de têtes d’affiche: le comédien Fred Allen s’illustre par ses monologues caustiques, la chanteuse Libby Holman envoûte avec sa voix de torch singer, et le dandy Clifton Webb apporte son flegme sophistiqué. La revue se distingue par des scènes ingénieuses plutôt que par le faste visuel: par exemple, Holman crée la sensation avec la chanson langoureuse “Moanin’ Low” dans un décor sobre de taudis, suivie d’un tango dramatique avec Webb. L’humour pince-sans-rire règne, notamment dans le sketch The Still Alarm de George S. Kaufman où deux gentlemen discutent avec détachement au milieu d’un incendie. Côté chansons, c’est également dans The Little Show qu’est introduit “I Guess I’ll Have to Change My Plan”, numéro sophistiqué taillé pour Webb en smoking, qui deviendra plus tard un standard.

La critique salue cette revue innovante. Selon l’historien Ken Bloom, The Little Show prouve qu’«il n’est pas nécessaire d’avoir les artifices à la Ziegfeld pour qu’une revue soit divertissante». Le ton spirituel et la sobriété élégante de la mise en scène remportent l’adhésion du public et de la presse. Fort de ses 321 représentations – un score plus qu'honorable – The Little Show est considéré comme un triomphe dans son genre.

Ce coup d’essai propulse Arthur Schwartz au premier plan de la scène musicale new-yorkaise. Le concept de la revue intime et sophistiquée va influencer Broadway en pleine crise de 1929, en montrant qu’on peut séduire sans débauche de moyens. Pour Schwartz et Dietz, c’est le début d’une fructueuse décennie de collaborations.

The Little Show établit le style Dietz & Schwartz: des chansons raffinées, mêlant humour urbain et romantisme désabusé, qui deviendront leur signature. Le fait que l’une de ses chansons soit réutilisée plus tard dans le film MGM The Band Wagon (1953) confirme l’héritage durable de cette première revue.

Face au succès du spectacle précédent, les producteurs montent rapidement une suite intitulée ironiquement The Second Little Show. Créée à peine un an plus tard, le 2 septembre 1930 au Royale Theatre, cette nouvelle revue réunit à nouveau Schwartz et Dietz à la musique et aux paroles, avec Dwight Wiman à la production. La formule reste celle de la revue à sketches et numéros musicaux. Toutefois, la distribution diffère: exit Clifton Webb et Libby Holman, remplacés par des talents un peu moins renommés (le comique Jay C. Flippen, par exemple). Malgré quelques chansons originales de Dietz & Schwartz, l’ensemble manque de numéros forts pour égaler l’éclat du premier opus.

Le public ne suit pas autant. The Second Little Show ne reste à l’affiche qu’63 représentations en septembre-octobre 1930, un score modeste qui en fait un échec commercial relatif. La critique note que la magie et la fraîcheur du premier spectacle ne sont pas entièrement au rendez-vous. Ce demi-échec incite Schwartz et Dietz à renouveler leur approche. Plutôt que d’abandonner la revue, ils participent peu après à un projet concurrent plus ambitieux (Three’s a Crowd, voir ci-dessous). The Second Little Show reste dans l’histoire comme une suite en demi-teinte, souvent éclipsée par les revues plus marquantes de l’époque. Néanmoins, l’expérience enrichit Schwartz qui contribue durant cette année 1930 à pas moins de six spectacles entre New York et Londres, prouvant sa polyvalence et sa popularité grandissante comme compositeur.

En octobre 1930, quelques semaines après The Second Little Show, Schwartz rebondit avec Three’s a Crowd. Cette revue est produite par Max Gordon et bénéficie d’un livret et d’une mise en forme orchestrés par Howard Dietz lui-même (« compiled by » Dietz). Fait notable, Three’s a Crowd reprend le trio de vedettes du premier Little Show – Fred Allen, Libby Holman et Clifton Webb – reconstituant la formule gagnante de 1929. La première a lieu au Selwyn Theatre le 15 octobre 1930, au pire de la Grande Dépression, mais la satire mondaine et l’élégance du show trouvent leur public. La revue triomphe avec 271 représentations, se jouant jusqu’en juin 1931.

Three’s a Crowd demeure une revue misant sur des tableaux raffinés et numéros chantés dans un style cabaret. Libby Holman brille dans des chansons mélancoliques, en particulier “Something to Remember You By” – une ballade de rupture que son personnage chante à un marin de dos sur scène, créant un moment d’émotion retenue. Clifton Webb apporte sa touche sophistiquée dans des scènes de comédie satirique sur les cercles huppés. Le répertoire inclut également “Body and Soul”, superbe chanson jazzy de Johnny Green ajoutée au spectacle, qui devient le grand tube de la soirée (c’est d’ailleurs le numéro le plus applaudi). Les contributions de Schwartz et Dietz ne sont pas en reste: outre “Something to Remember You By”, on leur doit le entraînant “Time On My Hands” (non mentionné dans l’article mais souvent associé au spectacle) et d’autres morceaux originaux qui s’intègrent harmonieusement à l’ensemble. La mise en scène par Hassard Short et les chorégraphies d’Albertina Rasch apportent du dynamisme visuel tout en restant de bon goût.

La presse célèbre ce spectacle comme une réussite. The New York Times souligne son esprit léger et sophistiqué: «Ceux qui ont assemblé Three’s a Crowd ont concocté un show brillant, intelligent et de bon ton… d’une légèreté agréable et d’une gaieté sans efforts, avec un point de vue connaisseur et ironique.» Le public, en quête de divertissement raffiné en ces temps difficiles, plébiscite la revue. La chanson “Body and Soul” devient un standard instantané, éclipsant presque les autres numéros, tandis que “Something to Remember You By” s’impose durablement comme l’une des meilleures inspirations du tandem Dietz-Schwartz.

Fort de ce succès, Arthur Schwartz assoit sa réputation de compositeur phare des revues Broadway du moment. Three’s a Crowd est souvent considéré comme le sommet de sa série de revues débutées en 1929, combinant le brio musical et l’élégance scénique. Le fait d’avoir intégré des chansons d’autres auteurs (Johnny Green, Vernon Duke…) démontre aussi l’esprit collaboratif et la volonté de qualité du projet, ce qui contribue à son succès. Ce spectacle marque la fin d’une trilogie de revues intimistes à succès pour Dietz & Schwartz, qui vont ensuite chercher de nouvelles directions (notamment la création de véritables comédies musicales à intrigue).

Signalons ici, même si nous n'allons pas le détailler, en 1930, Schwartz participe également à d’autres productions, notamment en Angleterre. À Broadway, il contribue à la musique additionnelle de l’opérette Princess Charming en octobre 1930, montrant l’étendue de son activité créatrice cette année-là.

The Band Wagon est une revue ambitieuse produite par Max Gordon, avec un livret co-écrit par George S. Kaufman et Howard Dietz. Créée en pleine saison 1931, elle bénéficie d’un atout de taille: la présence du légendaire duo de danseurs Fred et Adele Astaire en têtes d’affiche. C’est d’ailleurs la dernière fois que le frère et la sœur Astaire se produisent ensemble sur scène avant qu’Adele ne prenne sa retraite. La première a lieu le 3 juin 1931 au New Amsterdam Theatre, et la revue tient l’affiche jusqu’au 16 janvier 1932, totalisant 260 représentations – un succès considérable.

Comme les précédentes, The Band Wagon est une suite de numéros sans lien narratif strict, mais avec une production plus somptueuse. La mise en scène de Hassard Short et les décors d’Albert Johnson créent une atmosphère visuelle éblouissante, à la hauteur des talents des Astaire. Ceux-ci exécutent plusieurs numéros de danse inoubliables, dont “Hoops” où ils jouent avec des cerceaux, et “I Love Louisa” dans un décor de manège bavarois. Le spectacle introduit également l’un des futurs grands standards de Schwartz: “Dancing in the Dark”. Présenté ici sous forme d’un ballet onirique dansé par Tilly Losch sur une scène inclinée et réfléchissante, avec un chanteur (John Barker) interprétant la mélodie, ce morceau mélancolique deviendra l’un des classiques du répertoire américain. D’autres chansons marquantes incluent “New Sun in the Sky” (chanté par Fred Astaire) et “High and Low”. Les sketches humoristiques sont écrits par des auteurs réputés (Dietz, Kaufman…), ce qui confère à l’ensemble un ton sophistiqué. On retrouve l’actrice comique Helen Broderick et l’acteur Frank Morgan pour assurer la partie théâtre et comédie, équilibrant le volet dansé.

The Band Wagon est acclamé tant pour sa qualité artistique que pour la performance légendaire des Astaire. Le public de Broadway, friand de danse, est enchanté par les chorégraphies élégantes d’Albertina Rasch sur les pas d’un Fred Astaire au sommet de son art. La critique souligne la fluidité du spectacle et son caractère innovant: l’utilisation d’un film projeté en arrière-plan pendant le numéro “Louisiana Hayride” (mise en scène par Norman Bel Geddes) est saluée comme un effet scénique novateur donnant de la profondeur visuelle. Surtout, “Dancing in the Dark” connaît un succès immédiat – la chanson sort du cadre du spectacle pour devenir un hit repris par de nombreux orchestres. La revue inspire même plus tard deux adaptations cinématographiques, dont le célèbre film musical The Band Wagon (1953) de la MGM, qui reprend le titre et certaines chansons.

Ce spectacle consacre définitivement Arthur Schwartz comme un compositeur de premier plan. En introduisant “Dancing in the Dark”, il enrichit le Grand Répertoire des standards américains. The Band Wagon version Broadway restera dans les annales pour avoir réuni une distribution exceptionnelle et pour son apport esthétique (notamment le mariage de la danse et de technologies scéniques). Pour Schwartz, c’est l’apogée de sa période revues – il a désormais contribué à élever ce genre au niveau des beaux-arts du spectacle. Après The Band Wagon, toutefois, le goût du public évolue vers des œuvres à intrigue: Dietz et Schwartz vont donc se tourner vers la création de vraies comédies musicales (musical comedies) tout en continuant ponctuellement les revues.

En 1932, Arthur Schwartz et Howard Dietz poursuivent sur la lancée des revues avec Flying Colors. Cette nouvelle revue, montée par les mêmes auteurs, s’ouvre le 15 septembre 1932 à l’Imperial Theatre. Bien que créée en pleine Grande Dépression, Flying Colors parvient à attirer le public pendant 188 représentations, jusqu’en janvier 1933. La production est codirigée par Howard Dietz lui-même (qui supervise également la mise en scène) et la chorégraphe Albertina Rasch.

Il s'agit d'une revue sans fil narratif, Flying Colors se distingue par ses sketches satiriques et son regard moqueur sur la société du moment. Les auteurs comme George S. Kaufman contribuent à des saynètes humoristiques de qualité. La distribution mêle nouveaux venus et habitués : on y découvre une jeune Imogene Coca (future star de la télévision comique), le fantaisiste Clifton Webb revient, aux côtés de l’actrice comique Patsy Kelly et du duo de danse Buddy et Vilma Ebsen. Musicalement, Schwartz et Dietz offrent plusieurs chansons originales. Deux numéros feront date : “Alone Together”, une ballade sophistiquée chantée par Webb et Tamara Geva, qui deviendra un standard de jazz, et “A Shine on Your Shoes”, tableau de claquettes entraînant mené par les Ebsen (ce duo de danseurs apporte une touche folk et humoristique avec ce numéro de cireurs de chaussures). À noter que “A Shine on Your Shoes” connaîtra une seconde vie lorsqu’il sera intégré plus tard dans le film The Band Wagon (1953), interprété à l’écran par Fred Astaire. Sur le plan scénique, Flying Colors innove dans son finale de l’Acte I : pour la chanson “Louisiana Hayride”, le décorateur Norman Bel Geddes projette un film en toile de fond, créant une illusion de profondeur – une mise en scène cinématographique pionnière saluée par la critique.

Flying Colors reçoit un accueil positif, quoique un peu moins enthousiaste que The Band Wagon. Le public apprécie l’humour grinçant des sketches et la variété des styles de performances – du numéro burlesque (“Smokin’ Reefers” par exemple, clin d’œil audacieux au jazz et à la culture des clubs) aux moments de grâce comme “Alone Together”. La presse note l’ingéniosité de la production (notamment l’effet spécial de Bel Geddes) et l’excellence de certains numéros dansés. Toutefois, aucun titre ne devient un énorme hit populaire durant la saison (les chansons mettront parfois du temps à s’imposer hors contexte du spectacle). Avec 188 représentations, la revue réalise malgré tout un beau parcours commercial en ces temps difficiles.

Cette revue consolide le rôle d’Arthur Schwartz comme compositeur à la fois prolifique et inventif. Flying Colors sera la dernière grande revue Dietz/Schwartz avant qu’ils ne tentent une véritable comédie musicale à livret original (Revenge with Music en 1934). Le spectacle témoigne aussi d’une transition: on y voit déjà poindre le désir d’innover (par la technologie scénique) et d’explorer d’autres formats. En somme, Flying Colors clôt avec panache la série des revues purement thématiques de Schwartz, en enrichissant encore le répertoire de deux standards mémorables (“Alone Together”, “A Shine on Your Shoes”) qui assurent l’héritage musical du spectacle.