Romberg s’enthousiasme pour la nouveauté du cinéma couleur. Il multiplie les allers-retours entre New York et la Californie, cherchant à créer une "nouvelle opérette" spécifiquement filmique. Viennese Nights est le premier scénario original de comédie musicale spécialement conçu pour l’écran par Sigmund Romberg et Oscar Hammerstein II. Produit par Warner Bros et réalisé par Alan Crosland, ce film opérette sort en novembre 1930. Son ambition est notable: tourné entièrement en Technicolor, il s’agit d’une œuvre fastueuse imaginée pour rivaliser avec les opérettes scéniques viennoises sur le nouveau médium du cinéma. Le projet fut lancé avant que la Grande Dépression ne frappe de plein fouet l’industrie, profitant d’un budget confortable (environ 600.000$) et de moyens techniques importants. Bien que n’ayant aucun lien avec une œuvre préexistante, Viennese Nights s’inscrit dans la continuité du style romantique de Romberg, cette fois directement adapté aux possibilités narratives du cinéma.
L’histoire, saga romanesque s’étalant sur quatre décennies, débute à Vienne en 1890. Trois amis inséparables – von Renner, Stirner et Sascher – s’engagent dans l’armée austro-hongroise. Von Renner, promu officier, s’éprend d’Elsa, la fille d’un cordonnier que courtise aussi Stirner. Elsa, séduite par la richesse de von Renner, l’épouse par ambition, brisant le cœur de Stirner. Celui-ci émigre en Amérique avec Sascher, tandis qu’Elsa vit un mariage malheureux. Des années plus tard, en 1930, tous se retrouvent à New York : Elsa, désormais grand-mère, revoit Stirner. Leur amour renaît, mais en découvrant que Stirner a une famille, Elsa renonce par devoir, retournant auprès de son mari vieillissant. L’intrigue se conclut sur une note douce-amère, avec un espoir de bonheur pour la nouvelle génération (la petite-fille d’Elsa s’apprêtant à un mariage heureux, reflétant l’idylle manquée de sa grand-mère). Ce récit, quasi-saga, permet au film de traverser les époques – de l’empire austro-hongrois à l’Amérique moderne – tout en explorant les thèmes du sacrifice amoureux et du poids du destin.
Romberg et Hammerstein composent pour Viennese Nights une série de chansons originales servant pleinement la narration filmique. Parmi elles, “You Will Remember Vienna” ouvre et ferme le film tel un leitmotiv nostalgique, ancrant l’action dans le souvenir impérissable de la Vienne impériale. “I Bring a Love Song”, mélodie passionnée, accompagne les retrouvailles de Stirner et Elsa. D’autres numéros reflètent l’évolution des personnages: “When You Have No Man To Love” est chanté par Elsa dans sa solitude, tandis que “Here We Are” illustre l’arrivée émerveillée des héros à New York. La musique alterne entre des valses viennoises empreintes de nostalgie et des airs plus jazzy pour la partie américaine, montrant la capacité de Romberg à écrire dans le style des comédies musicales contemporaines des années 1930. L’orchestre, dirigé par le chef Leo Forbstein, combine violons romantiques et orchestrations de cuivres plus modernes. Contrairement aux musicals scéniques, Romberg a pu ici user de transitions fluides et de montages musicaux (comme un medley symphonique au milieu du film) pour lier les époques. L’aspect opératique se retrouve dans quelques ensembles polyphoniques et chœurs militaires, mais la structure globale s’adapte au format filmique en proposant des chansons plus courtes et directement intégrées à l’action, sans applaudissements après chaque numéro.
Lors de sa sortie, Viennese Nights n’obtint qu’un succès modeste aux États-Unis, où le public se détournait un peu de l’opérette en pleine Dépression. Néanmoins, le film connut de longues exploitations en Europe et en Australie, où le goût pour l’opérette filmée resta vivace. La critique salua l’ambition visuelle du film – notamment ses séquences Technicolor – et la belle facture de la musique de Romberg, même si certains trouvèrent le scénario mélodramatique un peu laborieux. Au box-office, Warner Bros enregistra des recettes d’environ 950.000$ (dont une majorité à l’international) pour un coût de 604.000 $, ce qui en fait une opération à peine rentable. Malgré cela, Viennese Nights reste une œuvre pionnière : première opérette originale écrite pour le cinéma, elle a ouvert la voie à d’autres créations du duo Romberg-Hammerstein à Hollywood. Aujourd’hui, le film est conservé en couleur (cas rare pour les films Technicolor de l’époque) dans les archives de l’UCLA. Il est régulièrement cité par les historiens du cinéma comme un exemple de transition entre l’opérette scénique et le musical hollywoodien naissant, et pour l’originalité de son intrigue couvrant plusieurs générations.
Romberg traverse une période d’incertitude: les temps changent, le public boude les opérettes, et la Grande Dépression fragilise Broadway. Il expérimente des sujets modernes et des collaborations audacieuses, mais peine à trouver un ton juste.
En octobre 1931, en pleine période de vaches maigres pour Broadway, Sigmund Romberg s’associe à Oscar Hammerstein II pour créer East Wind. Cette comédie musicale, présentée comme une «musical comedy», ouvre au Manhattan Theatre mais ne reste à l’affiche que 23 représentations. Le livret et les lyrics sont coécrits par Hammerstein et Frank Mandel, tandis que Romberg signe la musique. East Wind survient dans un contexte difficile: la Grande Dépression frappe Broadway et le goût du public s’oriente vers les revues légères. Romberg et Hammerstein tentent ici d’insuffler l’esprit de l’opérette dans un format plus moderne. Malgré l’expérience d’Hammerstein et la renommée de Romberg, East Wind s’avère un échec commercial, clôturant après seulement trois semaines en novembre 1931.
L’action, ancrée dans le monde contemporain des années 1930, suit les tribulations sentimentales d’une jeune mondaine américaine, Elizabeth, éprise d’un diplomate oriental, le prince Harun. Celui-ci est en mission à New York pour négocier un traité (le « vent d’Est » symbolisant l’influence de l’Orient sur l’Occident). La pièce joue sur le choc des cultures : Elizabeth se rend incognito dans le pays d’Harun pour prouver son amour, tandis que lui découvre avec candeur les mœurs new-yorkaises. Intrigues politiques et quiproquos romantiques se mêlent lorsqu’un complot menace le prince et que la jeune femme intervient pour le sauver. Finalement, Harun choisit l’amour au détriment de ses obligations diplomatiques, et Elizabeth gagne sa place à ses côtés, scellant l’union de l’Est et de l’Ouest.
Musicalement, East Wind oscille entre deux univers. Romberg compose des thèmes exotiques pour évoquer le pays imaginaire d’Harun (mélopées orientalisantes, gammes pentatoniques, usage de percussions atypiques pour Broadway) et, en contrepoint, des numéros dans le style américain Roaring Twenties pour les scènes new-yorkaises (rythmes de fox-trot et d’art déco). La chanson-titre “East Wind” ouvre et clôt le spectacle comme un motif symbolique. Oscar Hammerstein II, qui excelle à marier intrigue et chansons, livre ici des lyrics romantiques teintés de philosophie Est-Ouest. On compte une ballade notable, “So Near and Yet So Far East”, duo d’amour où les protagonistes comparent leurs cultures, ainsi qu’un air comique, “In Martigny’s Café”, où le prince s’étonne du jazz et de la danse occidentale. L’orchestration par Robert Russell Bennett mélange violons orientalisants et sections de jazz-band, créant un hybride musical audacieux mais déroutant pour le public de 1931. Malgré cette ambition sonore, aucune chanson de East Wind ne devint un standard, symptôme de la difficulté de Romberg à s’adapter aux goûts des musical comedies naissantes.
East Wind fut mal reçu par la critique. Les journalistes de l’époque jugèrent le livret confus et le ton indécis – ni véritable opérette, ni comédie musicale pétillante. Les mélodies de Romberg, bien que plaisantes, furent considérées comme démodées ou inégales face aux succès de Cole Porter ou George Gershwin qui triomphaient simultanément. En définitive, la pièce fit un flop retentissant: elle ne tint que 23 représentations, un échec pour des auteurs de cette stature. Son retrait rapide laissa peu d’impact : East Wind ne connut ni reprise, ni adaptation filmée. À noter qu’un extrait de East Wind fut chanté à la télévision expérimentale dès 1931 par la soprano Helen Haynes, ce qui en fait possiblement la première interprétation d’un morceau de Hammerstein sur le petit écran. Pour l’essentiel, East Wind est resté dans l’ombre, symbole des difficultés rencontrées par l’opérette traditionnelle pour se réinventer au début des années 1930.
Romberg cherche à évoluer. Il s’inspire du jazz naissant, collabore avec Caesar, parolier au style populaire. Il veut se moderniser sans renier sa plume. L’expérience est sincère, mais comme on va le voir, le public n’adhère que partiellement.
Présentée à Broadway en février 1933, Melody est sous-titrée «musical romance» et marque une tentative de Sigmund Romberg de s’adapter aux goûts du public pendant la Grande Dépression. Le livret est de Edward Childs Carpenter, avec des paroles d’Irving Caesar (célèbre pour Tea for Two). Créé au théâtre Casa Mañana, le spectacle bénéficia d’une mise en scène intimiste comparée aux grandes opérettes précédentes de Romberg. Melody connut une série de 79 représentations jusqu’en avril 1933 – un score moyen, qui reflète tant la conjoncture économique difficile que l’évolution du public. Romberg était également coproducteur du spectacle, montrant son investissement personnel dans cette œuvre qu’il espérait voir renouer avec ses succès passés.
Melody raconte l’histoire de Lisa, jeune compositrice classique ambitieuse vivant à Paris, et de Tom, un parolier de chansons populaires américain. Le duo se rencontre par hasard en cherchant refuge dans le même café un soir de pluie. Malgré leurs approches opposées de la musique (l’une est dévouée à l’art sérieux, l’autre à la variété), ils décident de collaborer sur une chanson – la fameuse « Mélodie » du titre – et tombent amoureux au fil de la création. Par orgueil, Lisa refuse d’abord d’admettre que la musique légère de Tom puisse égaler son art. Le couple se sépare lorsqu’une opportunité mène Lisa à Vienne pour créer un concerto, tandis que Tom triomphe à Broadway avec une revue. Finalement, Lisa comprend que la sincérité des émotions compte plus que le genre musical : elle rejoint Tom à New York, où ils présentent ensemble une nouvelle œuvre fusionnant leurs styles. L’intrigue se conclut sur la première de cette composition mixte – une symphonie jazz – et sur la réconciliation amoureuse des deux artistes, célébrant l’union de la grande musique et de la chanson populaire.
La partition de Melody est un terrain de jeu où Romberg s’essaye à des styles variés. Fidèle à son surnom, le compositeur y a multiplié les airs « choc », c’est-à-dire à fort pouvoir mélodique. La critique spécialisée a relevé que Melody est « truffé de chansons » accrocheuses et plus sophistiquées harmoniquement que ses œuvres précédentes. On y trouve d’élégantes valse-boston comme “One Day of Spring” (chantée par Lisa, reflétant ses aspirations classiques), et des numéros de swing naissant comme “Tonight or Never” (numéro de revue américain intégré à l’intrigue). Irving Caesar fournit des refrains simples et universels, qui s’entrelacent avec des envolées orchestrales quasi-symphoniques lorsque le personnage de Lisa s’exprime en musique. La mélodie emblématique du spectacle, répétée en filigrane, mêle un thème lyrique de violoncelle à un rythme de fox-trot au piano, symbolisant la fusion des deux mondes musicaux. Bien que Romberg innove ici plus qu’à l’accoutumée – incorporant par exemple des touches de blues et une structure de finale en medley – le cœur de son style persiste : des harmonies riches, de larges intervalles mélodiques et un lyrisme sentimental dominant.
Melody reçut un accueil mitigé. Si le public apprécia la beauté des chansons et la virtuosité de certaines scènes, la critique pointa une intrigue convenue et un manque de dynamisme scénique, défauts souvent attribués aux romantic operettas dans l’ère du swing. Les New York Times reconnurent toutefois la qualité de la partition et saluèrent quelques airs, tout en regrettant que l’émotion ne soit pas au niveau des meilleures œuvres de Romberg. Au bout de deux mois, le spectacle ferma ses portes, ne laissant que peu de traces. Aucune adaptation cinématographique ne vit le jour, mais Melody demeura présente dans l’esprit des fans de Romberg: plusieurs de ses numéros furent enregistrés par des orchestres, et le spectacle fut exhumé en 2016 dans un enregistrement studio illustrant Melody comme «une des partitions les plus abouties du maître de l’opérette américaine». Cette redécouverte discographique a mis en lumière la richesse insoupçonnée de Melody, confirmant qu’en 1933 Romberg avait tenté d’évoluer avec son temps, même si le succès populaire ne fut pas au rendez-vous.
Romberg entame une période de retrait relatif. Il compose encore, mais se consacre davantage à la direction musicale, aux concerts et à la mise en valeur de ses anciennes œuvres. May Wine est pour lui une forme d’hommage au style viennois de sa jeunesse.
En décembre 1935, Sigmund Romberg renoue avec Broadway avec May Wine, une opérette présentée comme une «comédie musicale viennoise» mêlant romance et humour. Il s’adjoint pour l’occasion les talents d’Oscar Hammerstein II aux paroles et de Frank Mandel au livret. L’ouvrage s’inspire d’un roman d’Erich von Stroheim et Wallace Smith intitulé The Happy Alienist, adaptant son intrigue à la scène. May Wine est créée au St. James Theatre et rencontre un succès modeste mais réel: la production tient 213 représentations jusqu’en juin 1936. Ce score honorable s’explique en partie par l’aura toujours intacte d’Hammerstein et Romberg, et par une critique globalement positive quant à la partition.
L’intrigue se déroule à Vienne, dans les années 1900. Le professeur Johann Volk, riche et distrait professeur de psychologie, tombe éperdument amoureux de Marie, une baronne désargentée connue pour sa beauté. Toutefois, Marie est impliquée dans un complot de chantage orchestré par le Baron Kuno Adelhorst, qui l’a poussée à séduire le professeur pour lui soutirer de l’argent. Marie, d’abord manipulatrice malgré elle, s’attache sincèrement à Johann en découvrant sa bonté naïve. Jaloux et cupide, Kuno tente d’exploiter la situation tandis que Johann, apprenant la trahison, sombre dans une fureur tragique. Au point culminant, le professeur, fou de douleur, manque de tuer Marie d’un coup de pistolet, mais la balle la manque. Ce choc ramène tous les personnages à la raison : Johann réalise que Marie l’aime véritablement et lui pardonne, tandis que Kuno est démasqué. En parallèle, un couple secondaire apporte une touche comique – Friedl, modèle fantasque amoureuse de l’attention des hommes, parvient à attirer Kuno dans ses filets, punissant ainsi le baron manipulateur. Le dénouement voit Johann et Marie se marier dans le bonheur retrouvé, sous le ciel de mai viennois porteur de renouveau.
Romberg, épaulé d’Oscar Hammerstein II, livre avec May Wine l’une de ses dernières grandes partitions d’opérette, saluée pour son « style viennois » assumé et élégant. La musique baigne dans une ambiance de valse printanière : le numéro d’ouverture “Something in the Air of May” plante le décor avec une valse lente et bucolique chantée par Johann. L’influence de l’opérette viennoise se ressent dans “A Chanson in the Prater”, tableau musical évoquant les plaisirs du fameux parc de Vienne avec un chœur enjoué. Hammerstein insuffle son sens de la dramaturgie musicale : chaque chanson fait progresser l’intrigue. Par exemple, “You Wait and Wait and Wait” est un duo tendu entre Marie et Kuno où les paroles soulignent le dilemme moral de l’héroïne. “I Built a Dream Today”, motif musical poignant du professeur, revient à plusieurs reprises pour marquer l’évolution de Johann (d’abord chanté en trio léger, puis repris en solo brisé après la trahison). Sur le plan stylistique, May Wine alterne entre des airs sentimentalement riches (proches de The Student Prince dans l’esprit) et quelques touches plus modernes : ainsi “(Just) Once Around the Clock”, chanson de cabaret entraînante interprétée par Friedl, adopte un rythme de foxtrot, rappelant que l’action se situe au XXe siècle naissant. L’orchestration, signée Don Walker, fut très remarquée : Walker réussit à marier la légèreté des violons viennois à des timbres plus jazzy par moments, témoignant d’une subtile modernisation du son Romberg.
Lors de la première, May Wine fut globalement bien accueilli. Les critiques admirent la grâce de la partition de Romberg, son « style viennois » raffiné qui constituait presque un hommage aux opérettes de Lehar, et plusieurs mélodies furent saluées comme du Romberg inspiré. En revanche, le livret de Frank Mandel fut jugé faible : on reprocha à l’intrigue d’être tirée par les cheveux et aux dialogues de manquer de naturel. Malgré ces réserves, le spectacle attira suffisamment le public pour se maintenir plus de 200 soirs, un succès convenable en 1935. May Wine n’eut pas d’adaptation cinématographique directe, mais certaines de ses chansons connurent une seconde vie. En 1936, Jeanette MacDonald enregistra “Always Be a Gentleman” et “One Day”, contribuant à diffuser la musique au-delà de la scène. L’œuvre tomba ensuite dans un relatif oubli, éclipsée par les comédies musicales du duo Rodgers & Hammerstein qui allaient dominer la fin des années 40. Ce n’est qu’en 2007, lors de recherches musicologiques, que May Wine fut redécouvert comme un jalon intéressant de la collaboration Romberg-Hammerstein, intégrant des éléments d’intrigue osés (le chantage amoureux) dans une forme encore très classique. Bien que rarement rejoué, May Wine reste cité comme l’une des dernières opérettes à succès de Broadway avant l’avènement du musical moderne.


.png)
.png)




