4.C.1) Les George White’s Scandals des années '20

Comme nous l'avons vu brièvement (), les George White’s Scandals sont une autre série-phare de Broadway. Elles ont régné presque sans interruption de 1919 à 1939. Créées par George White, un ancien danseur des Follies, ces revues annuelles s’inspiraient ouvertement du modèle Ziegfeld tout en y ajoutant une touche plus vive, jazzy et audacieuse. Le terme “Scandals” évoquait d’emblée un esprit irrévérencieux: White n’hésitait pas à surfer sur les danses à la mode (c’est dans les Scandals qu’est lancée la danse Black Bottom en 1926, provoquant une folie nationale et à proposer des sketches un brin plus osés. Le spectacle misait sur un tempo enlevé, des chœurs de girls sexy (les Scandal Girls exécutant le fameux “Scandal Walk”) et une bonne dose de comédie burlesque. Beaucoup d’artistes y ont fait leurs premières armes: Ray Bolger (futur épouvantail du Magicien d’Oz) y perfectionne ses numéros de danse excentrique, Ethel Merman y lance sa carrière de chanteuse à voix puissante, Bert Lahr (le futur lion peureux d’Oz) y rôde son comique loufoque, tout comme les Trois Stooges y affinent leur slapstick délirant. Cette pépinière de talents a contribué à la longévité de la série.

Avant les années '30, il y eu des George White's Scandals chaque année de 1919 à 1929, sauf en 1927. En 1930, George White ne produisit pas de Scandals sur scène, et cela semble dû à plusieurs facteurs combinés:

  • Transition vers Hollywood: George White s’était fortement intéressé au cinéma parlant dès la fin des années '20. Il avait déjà produit George White's Scandals version filmée en 1929 avec Alice White. En 1930, il semble concentrer son énergie sur le développement de projets cinématographiques plutôt que scéniques, ce qui aurait mis la production théâtrale annuelle en pause.
  • Contexte économique: 1930 est aussi l’année où les effets du krach boursier d’octobre 1929 commencent à vraiment se faire sentir sur Broadway. De nombreuses productions ferment ou sont annulées. Même les producteurs établis comme George White doivent faire preuve de prudence. Il est possible qu’il ait jugé l’année trop risquée pour lancer une nouvelle édition coûteuse des Scandals.
  • Repositionnement artistique : D’un point de vue artistique, George White préparait peut-être une reformulation du format, ce qui expliquerait l’année blanche. Il reviendra en force en 1931 avec une édition très réussie (Ethel Merman, Rudy Vallée, etc.), qui laisse penser qu’il peaufinait une relance plus ambitieuse après ce court retrait.

Bref, 1930 fut probablement une année de repli stratégique, entre désirs de reconversion cinématographique et prudence face à la crise. La série reprendra en 1931 avec éclat, confirmant que White n’avait pas dit son dernier mot.

4.C.2) «George White’s Scandals» of 1931

L’édition de 1931 est particulièrement mémorable. George White’s Scandals of 1931 réunit en effet un casting impressionnant:

  • le danseur Ray Bolger fait virevolter ses jambes élastiques
  • la jeune Ethel Merman enflamme la salle en introduisant la chanson « Life Is Just a Bowl of Cherries » (chanson joyeuse devenue l’hymne optimiste de l’ère Dépression). Cette chanson, interprétée par Merman avec sa voix éclatante, deviendra un standard instantané, symbolisant la capacité des revues à produire des hits populaires.
  • on applaudit aussi en 1931 le crooner vedette Rudy Vallée, idole des radios
  • on découvre une toute jeune Alice Faye (futur étoile de la Fox) parmi les Scandal Girls
  • côté comédie, le duo Willie et Eugene Howard déclenche l’hilarité avec un sketch farfelu intitulé “Pay the Two Dollars”
  • même la satire s’invite: un certain Everett Marshall chante “That’s Why Darkies Were Born”, numéro parodique sur les stéréotypes raciaux de l’époque.

Cette cuvée 1931 des Scandals, riche en vedettes et en chansons marquantes, illustre l’âge d’or de la série, se jouant 202 représentations à l'Apollo Theatre (14 septembre '31 au 5 mars '32).

4.C.3) «George White's Music Hall Varieties» (1932)

En 1932, George White doit faire preuve de créativité pour attirer le public en pleine dépression. L’édition est rebaptisée George White’s Music Hall Varieties – suggérant un format peut-être plus axé sur la variété classique.

Pourtant, le contenu reste très «Scandals» : on y retrouve l’excentrique Bert Lahr, qui fait le pitre dans divers sketches comiques, le chanteur-clown Harry Richman (célèbre pour son numéro avec canne et chapeau haut-de-forme), et, signe des temps, la présence glamour de Lili Damita, une actrice française hollywoodienne, apporte une touche d’élégance européenne. Surtout, cette édition 1932 révèle une prodigieuse danseuse de claquettes de 19 ans: Eleanor Powell, dont les performances éblouissantes aux claquettes la propulsent bientôt vers une grande carrière à Hollywood.

Même si 1932 est une année de transition (cette revue-là ne rencontre qu’un succès mitigé: 71 représentations au Casino Theatre), White a su y intégrer de nouveaux talents qui marqueront la décennie.

4.C.4) «George White’s Scandals» of 1936

Après une pause en 1933–34 (où George White porte ses Scandals sur grand écran à Hollywood), la série revient sur scène plus sporadiquement. George White’s Scandals of 1936 tente un retour aux fondamentaux: l’humour burlesque et la musique swing. On y retrouve l’infatigable Bert Lahr et le chanteur Rudy Vallée en têtes d’affiche, assurant la continuité avec les années précédentes. Les frères comiques Willie & Eugene Howard sont de nouveau de la partie, garantissant des rires familiers. Bien que sans innovation majeure, cette édition 1936 prouve que la recette des Scandals – un cocktail de rires, de jolies filles et de chansons entraînantes – fonctionne toujours pour divertir le public. Ils joueront 110 représentations au New Amsterdam Theatre.

4.C.5) «George White’s Scandals» of 1939

Enfin, en 1939, George White présente ce qui sera la dernière édition de ses revues, bouclant ainsi deux décennies de Scandals. Et il tire sa révérence avec éclat. George White’s Scandals of 1939 aligne un programme hétéroclite particulièrement divertissant:

  • Le trio comique des Three Stooges est engagé et déchaîne un chaos burlesque irrésistible sur scène.
  • La pétillante Ann Miller, à seulement 16 ans, effectue des claquettes ultra-rapides qui la consacrent prodige de la danse​ en.wikipedia.org .
  • La chanteuse écossaise Ella Logan prête sa voix vive (elle triomphera plus tard dans Finian’s Rainbow)
  • Le danseur Ben Blue apporte son humour visuel
  • Même Marie McDonald, surnommée plus tard « The Body » à Hollywood, figure parmi les Scandal Girls de 1939​.

Cette dernière revue montre que George White savait encore surprendre en mêlant talents disparates – du slapstick délirant des Stooges aux pas de danse millimétrés d’Ann Miller – pour créer un spectacle haut en couleur.

En somme, les George White’s Scandals des années '30 ont su maintenir un esprit de fête un peu fougueux, incarnant la face plus espiègle et rythmée des revues new-yorkaises. À travers des chansons inoubliables (comme Life Is Just a Bowl of Cherries​) et des carrières lancées (Merman, Miller, Powell…), White a laissé une empreinte durable. Ses revues mêlaient audace et dérision, offrant au public une bouffée d’énergie et de glamour, en particulier bienvenu dans le climat morose de la Dépression.

Et comme nous l'avons souligné au chapitre précédent, il était un digne représentant des spectacles de 'divertissement pur'.