Après la disette de 1931–1932, Hollywood retrouve sa voix, sa couleur et sa grâce. Les musicals deviennent des architectures de mouvement: Busby Berkeley sculpte la foule, Fred Astaire invente la danse narrative, et les studios transforment la caméra en partenaire de scène.

5.B.1) 1933–1939 en un coup d’œil

Impulsion & contexte
Studios & visages
Films repères (non exhaustif)
Commentaires
1933
Rebond spectaculaire
Climat pré-Code encore libre
Warner (Berkeley)
Goldwyn
RKO (début du duo Astaire/Rogers)
42nd Street
Gold Diggers of 1933
Footlight Parade
Roman Scandals
Flying Down to Rio
La caméra devient chorégraphe
Le «backstage musical» relance le marché.
1934
Application stricte du Production Code (dès juillet)
Warner (revues plus sages)
Goldwyn
RKO (Astaire/Rogers s’installent)
The Gay Divorcee
Dames
Kid Millions
Moins de piquant, plus d’élégance
La danse s’intègre davantage au récit.
1935
Stabilisation
Musicals avec des stars
Warner
Fox (Shirley Temple)
RKO
MGM
Top Hat
Roberta
Gold Diggers of 1935
Broadway Melody of 1936
Curly Top
Astaire/Rogers au sommet
Berkeley signe «Lullaby of Broadway»
1936
Tendance «prestige»
Classicisation
Fox
RKO
MGM (gros budgets)
Swing Time
The Great Ziegfeld
Show Boat (1936)
Born to Dance
Oscars et panache: le musical devient «respectable»
1937
Léger tassement
Diversification
RKO
MGM
Disney (Animation)
Shall We Dance
A Damsel in Distress
Broadway Melody of 1938
Snow White and the Seven Dwarfs
L’animation prouve que le musical parle à tous les âges.
1938
Nostalgie
Biopics de compositeurs
Essor du Technicolor
RKO
Fox
MGM
Goldwyn
Alexander’s Ragtime Band
Carefree
The Goldwyn Follies
Sweethearts
La couleur devient un argument central du spectacle.
1939
Année faste d’Hollywood
Cap sur la fantaisie et la jeunesse
RKO
MGM (Garland/Rooney)
The Wizard of Oz
Babes in Arms
The Story of Vernon and Irene Castle
Fantaisie
Enfants prodiges
Standardisation «grand public»

5.B.2) 1933: le déclic

Quand Hollywood se remet à chanter

5.B.2.a) Un genre à terre, une industrie en crise

Au début de 1933, tout semble perdu pour le musical hollywoodien. Après l’ivresse des premières années du parlant (1929–1930), le public a tourné la tête : trop de revues, trop de froufrous, pas assez d’histoires. Entre 1931 et 1932, les spectateurs boudent les films chantants, les studios sabordent leurs productions, et certains distributeurs annoncent carrément « plus de musicals pendant au moins cinq ans ». La Grande Dépression a changé les goûts : le rêve ne suffit plus, il faut croire à ce que l’on voit.

Et puis arrive 1933 — année paradoxale: économiquement sinistrée, mais artistiquement explosive. Dans un Hollywood qui doute, la Warner Bros. ose un pari insensé: ressusciter le musical… en le ramenant dans les coulisses.

5.B.2.b) 42nd Street: le musical qui sauva le musical (au cinéma)

Le film de Lloyd Bacon, produit par Darryl F. Zanuck et chorégraphié par Busby Berkeley, sort en mars 1933. Son intrigue tient en quelques lignes: une troupe fauchée répète un spectacle à Broadway. Quand la vedette se casse la jambe, la petite choriste de l’ensemble (Ruby Keeler) prend sa place et triomphe. Rien de neuf, pourrait-on croire. Mais tout, absolument tout, est nouveau.

Backstage musical

Un backstage musical (ou «musical des coulisses») est un film qui raconte la création d’un spectacle — théâtre, revue, comédie musicale, numéro de cabaret — et dont les chansons et danses apparaissent comme faisant partie du spectacle. Autrement dit: les personnages chantent parce qu’ils répètent, jouent ou se produisent, pas parce qu’ils «explosent en chanson» dans la vie quotidienne.

42nd Street invente le genre du backstage musical: les chansons sont justifiées par l’intrigue — on chante parce qu’on prépare un show. Cette trouvaille permet deux choses:

  1. Rendre crédible la présence de musique dans un film «réaliste»
  2. Jouer sur deux niveaux: le spectacle et le monde qui le fabrique.

Le musical devient une métaphore de l’Amérique elle-même: un pays épuisé, mais qui continue à «mettre un show sur pied».

C’est ici que Busby Berkeley impose sa signature, son style: plongées verticales, formations géométriques, caméras-grues mouvantes, décors kaléidoscopiques. Ce qu’il filme ne pourrait exister sur une scène: c’est un spectacle de cinéma, un art né de la caméra. En un numéro, Berkeley tourne le dos au théâtre musical pour créer le musical de cinéma. Mais derrière l’énergie, il y a une gravité sourde. Les personnages sont des chômeurs, les producteurs au bord de la faillite, les répétitions une métaphore de la survie. Quand le rideau se lèvera à la fin du backstage musical, c’est une victoire morale autant qu’artistique. Et pour le public de 1933, cette victoire est la leur.

5.B.2.c) Gold Diggers of 1933: le musical social

La même année, Warner enfonce le clou. Avec Gold Diggers of 1933, réalisé par Mervyn LeRoy, la formule backstage devient manifeste politique. Le contexte de l'époque y mène tout droit... La crise fait rage, des millions d’Américains sont sans emploi. Le film met en scène un groupe de jeunes femmes sans ressources qui montent un spectacle pour survivre. Ce sont des «gold diggers», certes, mais aussi des travailleuses, des battantes.

Les chansons principales sont:

  • «We’re in the Money»: Ginger Rogers chante couverte de pièces d’or géantes – ironie sublime: l’Amérique n’a plus un sou.
  • «Pettin’ in the Park»: flirt pré-Code, libertin, filmé avec humour et audace.
  • «Remember My Forgotten Man»: hymne funèbre dédié aux vétérans abandonnés par le pays.

Berkeley compose ici une fresque sociale en mouvement: le musical devient une forme de reportage poétique, où la musique dénonce autant qu’elle console. Le spectacle n’est plus seulement évasion, mais résistance. Il incarne la foi américaine dans le collectif, la solidarité, la survie par le travail et l’art.

5.B.2.d) Footlight Parade: la surenchère visionnaire

Toujours en 1933, Berkeley retrouve James Cagney pour Footlight Parade, apothéose du musical délirant. Cette fois, le héros doit inventer des «prologues vivants» pour les cinémas afin de relancer la fréquentation. Le film multiplie les performances spectaculaires:

  • «Honeymoon Hotel», d’une fantaisie grivoise inouïe
  • «By a Waterfall», ballet aquatique avec des dizaines de nageuses filmées en plongée
  • «Shanghai Lil», où James Cagney danse lui-même au milieu d’un décor urbain monumental.

C'est une vraie révolution visuelle. C’est l’explosion absolue du langage Berkeley: grues, miroirs, décors tournants, raccords impossibles. Le musical n’est plus théâtre filmé, mais «cinéma-chorégraphié». L’œil de la caméra devient le vrai danseur.

Mais on nage en plein pré-Code: érotisme, humour, anarchie joyeuse. Mais derrière la légèreté, un message en cette période de terrible cvrise économique: «le spectacle, c’est notre dernier luxe collectif.»

5.B.2.e) 1933 : trois coups de génie, un basculement

En trois films sortis la même année (42nd Street, Gold Diggers of 1933, Footlight Parade), la Warner redéfinit entièrement le genre. Chaque film est un manifeste:

Film
Fonction
Message implicite

42nd Street
Renaissance du genre, foi dans le spectacle
«Le show doit continuer.»

Gold Diggers of 1933
Musical social et féminin
«L’art est un acte de survie.»

Footlight Parade
Expérimentation pure
«Le musical est un langage visuel autonome.»

5.B.2.f) 1933: les raisons du succès

On peut résumer ainsi:

  • Le réalisme: les films parlent de chômage, de pauvreté, de travail – un miroir de la société.
  • L’innovation visuelle: les chorégraphies filmées comme des symphonies optiques.
  • Le rythme: dialogues rapides, montages syncopés, ironie et mélancolie alternées.
  • L’énergie féminine: les héroïnes sont le moteur, pas l’ornement.

5.B.2.g) En conclusion : 1933, la résurrection joyeuse

1933, c’est l’année où Hollywood se remet à croire au chant.

Le musical, qu’on croyait mort, renaît par le travail collectif, la caméra chorégraphique et la foi dans le «show business» comme métaphore de la survie nationale. Busby Berkeley, en sculpteur de foule, en donne la forme; les auteurs de la Warner, en chroniqueurs de la Dépression, en donnent la chair.

Le résultat? Une trinité d’œuvres flamboyantes, audacieuses, presque insolentes — la dernière avant la chape morale du Code. Quelques mois plus tard, en 1934, Hollywood chantera encore… mais en gants blancs. Le musical aura perdu son insolence, mais gagné son style.

5.B.3) 1934: l’euphorie cadrée (entrée en vigueur du Code)

L’entrée en vigueur du Code et la naissance du charme codé

5.B.3.a) Le contexte: de la débauche joyeuse à la discipline morale

Depuis 1930, Hollywood s’amuse avec le parlant: des revues étourdissantes, des girls en cascade, des doubles sens à la chaîne. Mais après quatre années de liberté — et de plaintes croissantes des ligues religieuses —, les studios sentent venir le couperet.

En juillet 1934, la Production Code Administration (PCA) dirigée par Joseph I. Breen entre réellement en action (voir ci-dessous ).

Dès lors, aucun film ne peut sortir sans son visa. C’est le retour à l’ordre moral, parfois féroce:

  • fini les sous-entendus sexuels
  • interdiction de montrer un couple au lit, même marié
  • le crime, l’adultère, la corruption ne peuvent plus être glorifiés
  • la satire sociale devient suspecte

Pour le musical, c’est un choc. Le genre qui s’était nourri de la sensualité des girls, des parodies de mœurs et des regards coquins doit tout réinventer dans les limites. Mais Hollywood, malin, transforme cette contrainte en raffinement.

5.B.3.b) Warner Bros.: Busby Berkeley s’adapte à la censure

Busby Berkeley, roi des extravagances pré-Code (42nd Street, Gold Diggers of 1933, Footlight Parade), doit composer avec un monde plus chaste.

Son premier film sous l’œil du Code, Dames (1934), en est un modèle d’équilibrisme. Il s'agit d'une satire adoucie. Le scénario est simple: un financier hypocrite veut fermer un spectacle «immoral» monté par sa nièce et son fiancé — autrement dit, la morale contre la fantaisie. Tout y est: les choristes, la censure, l’autodérision. Mais désormais, les numéros osés se transforment en figures géométriques, presque abstraites.

Un très bon exemple est «I Only Have Eyes for You». Berkeley filme le visage de Ruby Keeler démultiplié à l’infini dans une chorégraphie de miroirs et de travellings: plus de corps, presque plus de jambes — le désir devient regard, la sensualité devient art optique. On passe de l’érotisme explicite à l’érotisme graphique. C’est la transmutation du charnel en géométrique, du flirt en illusion. Et c’est superbe.

Ce que cela change? Le musical Warner reste exubérant, mais plus «conceptuel». Le Code, paradoxalement, pousse Berkeley à inventer un langage visuel — celui du rêve stylisé.

5.B.3.c) RKO: la naissance du raffinement amoureux

Pendant que Berkeley sublime la contrainte, un autre style émerge: le musical du désir civilisé. Et son ambassadeur, c’est Fred Astaire. Le meilleur exemple est: The Gay Divorcee (1934, RKO). RKO, flairant la fatigue du public pour les revues, mise sur le couple Astaire-Rogers, révélé dans Flying Down to Rio (1933). Ici, Astaire incarne un danseur mondain, Rogers une jeune femme empêtrée dans une demande de divorce —déjà un sujet délicat, traité avec une ironie élégante.

Les chansons, signées Cole Porter à Broadway mais remplacées à l’écran par d’autres titres (Code oblige), s’inscrivent dans une tonalité plus romantique que grivoise. Le grand numéro, «The Continental», dure dix-sept minutes: une chorégraphie fluide, sans extravagance, où la grâce remplace la provocation.

Le style est caractéristique:

  • Décors art déco, robes aériennes, smoking parfaits.
  • Humour léger, presque britannique.
  • Danse intégrée à l’émotion: le musical devient une comédie sentimentale chorégraphiée.

Avec The Gay Divorcee, le musical quitte la revue pour entrer dans le monde du récit raffiné. L’époque des girls s’éteint, celle du couple danseur commence.

5.B.3.d) Le Code comme metteur en scène invisible

Le Code agit ici comme une main invisible qui modèle le genre:

  • Les décors s’élèvent (palais, hôtels, transatlantiques, lieux «propres»).
  • Les dialogues s’affûtent: on dit moins, on suggère plus.
  • Le romantisme remplace la sensualité brute.
  • Le couple devient la cellule morale du récit: désormais, tout musical classique repose sur deux figures qui s’aiment, se perdent, se retrouvent, mais toujours dans les règles.

La censure, paradoxalement, impose au musical son schéma dramaturgique éternel.

5.B.3.e) Le ton musical: du jazz à la mélodie civilisée

Musicalement, la transition est nette. Le jazz outrancier des revues de 1930–1932 s’adoucit. Irving Berlin, Cole Porter et Jerome Kern deviennent les modèles d’une chanson urbaine et sophistiquée. Les paroles se concentrent sur l’amour, le rêve, la distance, la séduction — pas sur le flirt ou la fête. C’est la civilisation du swing: le rythme subsiste, mais la ligne mélodique s’impose.

5.B.3.f) L’équilibre trouvé: euphorie cadrée

1934 ne tue pas le musical — elle le discipline, et donc le renforce. Les créateurs apprennent à parler entre les lignes. Berkeley transforme l’interdit en spectacle visuel. Astaire et Rogers transforment la retenue en grâce amoureuse. Le Code, censé moraliser Hollywood, invente involontairement le langage du musical classique: la pudeur rythmée, le sourire filtré, le désir chorégraphié.

1933, c’était l’excès
1934, c’est la maîtrise
... et de cette maîtrise naît le style.

En une seule année, le musical hollywoodien passe: du cabaret à la salle de bal, de la jambe nue à la jambe voilée, du clin d’œil à la connivence. Le Code pensait imposer la morale; il a créé l’élégance. Et c’est de cette élégance que naîtra, dès 1935, le classicisme lumineux de Top Hat et le lyrisme feutré des chefs-d’œuvre à venir.

5.B.3.g) Petite comparaison de deux films, ou l'avant et l'après le Code

Gold Diggers of 1933
Dames (1934)

Contexte
Réalisé par Mervyn LeRoy, chorégraphie de Busby Berkeley. Période pre-Code, la plus libre de l’histoire hollywoodienne.
Réalisé par Ray Enright et Busby Berkeley. Première grande production musicale Warner sous le contrôle de la Production Code Administration.
Sujet
Des choristes sans travail montent un spectacle en pleine Dépression. Satire sociale et regard ironique sur l’Amérique ruinée.
Une héritière conservatrice tente d’empêcher le financement d’un spectacle jugé immoral — reflet direct des tensions morales du moment.
Tonalité générale
Frondeuse, audacieuse, sociale, sexy. Mélange d’humour et de colère.
Souriante, adoucie, abstraite. L’énergie se concentre dans la forme et la chorégraphie plutôt que dans la provocation.
Représentation des femmes
Les «gold diggers» sont indépendantes, rusées, solidaires. Elles manipulent les hommes pour survivre, non par frivolité.
Les danseuses deviennent des figures stylisées, interchangeables, presque abstraites: l’individu disparaît au profit du motif.
Érotisme et regard
Le corps féminin est célébré frontalement: jambes nues, chorégraphies suggestives, caméra caressante.
Le corps est sublimé: le regard de la caméra devient géométrique. La sensualité se transforme en architecture visuelle.
Numéro emblématique
«Remember My Forgotten Man»: finale bouleversant, mêlant nudité symbolique, misère et dénonciation sociale. Un chant de colère contre l’injustice.
«I Only Have Eyes for You»: numéro de pure abstraction visuelle. Ruby Keeler démultipliée à l’infini dans un jeu de miroirs. Poésie de la forme pure.
Message implicite
L’Amérique souffre mais résiste; les femmes y portent la dignité du peuple.
L’Amérique rêve encore, mais sous surveillance. Le spectacle s’intériorise, devient métaphore de l’ordre retrouvé.
Effet du Code
Aucune censure: les thèmes de la pauvreté, du sexe et de la satire politique passent librement.
Application stricte du Code: suppression des allusions sexuelles et sociales, recentrage sur la romance et la moralité.
Bilan artistique
Explosion de liberté, musical «de combat».
Éblouissante maîtrise visuelle; la contrainte engendre la stylisation.
Héritage
La dernière grande revue sociale avant le bâillon moral.
Le premier musical de «l’ère stylisée»: la caméra devient chorégraphe du rêve.


Gold Diggers of 1933 incarne la musique du chaos, Dames (1934) incarne la géométrie du désir contenu. Entre les deux, le Code est passé — et avec lui, une idée du cinéma: celle d’un art populaire sans tabou, remplacée par un art de suggestion et de surface, où la beauté du mouvement devient langage de substitution. Berkeley, contraint de taire le corps, invente la poésie du regard. Et le musical, sous la contrainte morale, devient un genre stylisé et universel.

 



 



Le Production Code — souvent appelé Hays Code — est un ensemble de règles morales et religieuses imposées à Hollywood pour encadrer le contenu des films américains. Officiellement, il visait à garantir des films «propres» et «moraux». En réalité, il servait surtout à éviter la censure étatique et rassurer les ligues catholiques et les ligues de vertu qui menaçaient de boycotter les studios.

1) La naissance du Code (1930)

En 1930, les studios hollywoodiens, réunis dans la Motion Picture Producers and Distributors of America (MPPDA) dirigée par Will H. Hays (ancien ministre presbytérien et républicain très conservateur), adoptent un texte rédigé par deux catholiques: le prêtre Daniel A. Lord et l’éditeur Martin Quigley.

Ce texte énonce des principes moraux généraux:

  • «Aucune image ne doit abaisser les standards moraux des spectateurs.»
  • «La loi, naturelle ou humaine, ne doit jamais être ridiculisée.»
  • «Le vice et le crime ne doivent pas être présentés de manière à susciter la sympathie.»

Mais à ce stade (1930–1934), rien n’est vraiment appliqué: les studios continuent à faire ce qu’ils veulent.

2) La période dite Pre-Code (1930–1934)

Entre 1930 et 1934, Hollywood traverse ce qu’on appelle la période pré-Code, où le cinéma regorge de sexe, crime, ironie et femmes libres.

Les musicals en profitent à fond !

  • Les «Gold Diggers» (1933) ou «Footlight Parade» débordent de girls à moitié nues, d’humour grivois et de satire sociale.
  • Les héroïnes de films comme Baby Face (1933) ou Red-Headed Woman utilisent leur sexualité pour grimper socialement.
  • On y fume, on boit, on couche, on se moque de l’autorité, on parle d’argent, de politique et même d’homosexualité de façon voilée.

Bref: le cinéma hollywoodien de ces années-là est vivant, insolent et adulte. Mais ça commence à déranger sérieusement les ligues catholiques et les politiciens.

3) Le grand tournant: 1934

En 1934, sous la pression du Catholic Legion of Decency (qui menace d’un boycott national), les studios décident d’appliquer enfin le Code avec rigueur. Pour cela, ils créent un véritable organe de censure: la Production Code Administration (PCA), dirigée par Joseph I. Breen, un catholique très pratiquant.

Dès le 1er juillet 1934, aucun film ne peut sortir sans le certificat PCA. Et Breen ne rigole pas.

4) Ce que le Code interdit ou restreint

  • Sexe et nudité: interdits. Même un décolleté trop généreux est coupé.
  • Adultère: toléré seulement s’il est puni à la fin.
  • Homosexualité: taboue, même sous-entendue.
  • Criminalité: les criminels ne peuvent triompher, ni apparaître sympathiques.
  • Religion: interdiction de ridiculiser le clergé.
  • Violence: pas de meurtres réalistes, ni de sang visible.
  • Langage: pas de jurons, ni de «damn», «hell», etc.
  • Relations interraciales: strictement prohibées.
  • Danse suggestive / baisers trop longs: coupés. (Et ça, pour les musicals, c’est un casse-tête !)

5) Conséquences sur le musical

Entre 1933 et 1935, le changement est flagrant:

  • Les revues sulfureuses et satiriques à la Busby Berkeley (Gold Diggers of 1933, Footlight Parade) cèdent la place à des comédies sentimentales raffinées (Top Hat, The Gay Divorcee).
  • Le corps féminin se couvre, les dialogues s’aseptisent, mais la mise en scène devient plus inventive: la sensualité se déplace dans la chorégraphie, les regards, la caméra.
  • Astaire et Rogers incarnent parfaitement cette nouvelle morale: romantisme, élégance, séduction sans scandale.

6) L’après

Le Code restera en vigueur jusqu’en 1968 (!!!), date à laquelle il sera remplacé par le système de classifications par âge (G, PG, R…). Mais jusque dans les années 1950, il façonne l’imaginaire hollywoodien: les scénaristes rusent, les réalisateurs suggèrent, les chorégraphes érotisent sans montrer.