Les revues de Broadway des années 1930 ont perpétué la tradition des spectacles à grand déploiement héritée des Années folles, tout en s’adaptant au contexte de la Grande Dépression. Ces spectacles sans intrigue unifiée enchaînaient tableaux musicaux, numéros de danse et sketches comiques.

Parmi les séries majeures figurent les légendaires Ziegfeld Follies, les George White’s Scandals et les Earl Carroll’s Vanities, qui chacune apportait son style particulier: glamour éblouissant, humour osé ou audaces coquines.

À côté de ces revues phares, la décennie a vu émerger des productions plus originales – tantôt satiriques, tantôt engagées – qui ont marqué l’histoire du théâtre musical.

Nous avons choisi de ne pas suivre un ordre chronologique global mais de nous intéresser séparément à chacune des séries, en soulignant pour chaque cas le concept général, le style distinctif, ainsi que les éditions des années '30 les plus marquantes (avec leurs vedettes, numéros-phares ou innovations). Enfin, nous évoquerons quelques revues moins connues mais significatives de la période.

Comme nous l'avons vu (), les Ziegfeld Follies incarnaient le somptueux spectacle à la Broadway. Imaginées par Florenz Ziegfeld Jr. dès 1907, ces revues fastueuses s’inspiraient des Folies Bergère parisiennes. Le concept central était la «glorification de la femme américaine», avec des Ziegfeld Girls paradant en somptueux costumes dans des décors luxueux. Ce mélange de tableaux visuels éblouissants, de chansons populaires et de sketches comiques servait un divertissement haut de gamme, à mi-chemin entre le vaudeville de luxe et la comédie musicale naissante. Durant les années '20, les Follies avaient accueilli les plus grandes vedettes (W. C. Fields, Eddie Cantor, Fanny Brice ...).

4.B.1) Ziegfeld Follies of 1931 - la dernière de Ziegfeld

En 1931, Ziegfeld monte ce qui sera la dernière revue de sa série originelle. Ziegfeld Follies of 1931, présentée au Ziegfeld Theatre, reflète encore l’opulence habituelle mais dans un contexte économique devenu difficile. On y retrouve la chanteuse Ruth Etting (alors célèbre pour « Ten Cents a Dance ») et la chanteuse de blues Helen Morgan, qui apportent leur aura de vedettes. Le spectacle met aussi en avant des numéros originaux : la danseuse Faith Bacon y exécute un audacieux fan dance (danse avec éventails, suggestive pour l’époque), et le duo afro-américain Buck & Bubbles (tap dance et piano) surprend le public des Follies. Intégrer ces artistes noirs dans la revue était notable, prolongeant l’héritage de Bert Williams (premier artiste noir des Follies dès 1910). Malgré ses attractions, l’édition 1931 souffre du climat économique, et Florenz Ziegfeld lui-même décède en 1932, marquant la fin d’une époque.

4.B.1) Ziegfeld Follies of 1934

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L'affiche du spectacle

Florenz Ziegfeld et les Shuberts avaient été des rivaux durant des années avec leurs revues respectives Ziegfeld Follies et The Passing Show. Mais à la mort de Ziegfeld (et avec ses dettes à l’esprit), sa veuve Billie Burke a vendu les droits de la «marque Ziegfeld Follies» aux Shuberts. Cependant, sur la page de couverture du programme des Ziegfeld Follies of 1934 (), les Shuberts n’étaient pas repris comme producteurs et, dans un geste élégant, le programme disait: «Mme Florenz Ziegfeld (Billie Burke) présente Ziegfeld Follies

La production de cette revue a coûté 110.000$, soit moins de la moitié de ce que le Ziegfeld avait dépensé lors de sa dernière édition. On y trouvait en tête d’affiche Fanny Brice (l’iconique comédienne-chanteuse des Follies, connue pour ses parodies hilarantes et son numéro fétiche « Mon Homme »), les frères Willie et Eugene Howard, soutenus par les danseurs Buddy et Vilma Ebsen (frère et sœur, aux numéros de claquettes endiablés), la chanteuse Jane Froman, le baryton du Metropolitan Opera Everett Marshall, la comédienne Eve Arden, les danseuses Cherry et June Preisser, et le chanteur Brice Hutchins (qui plus tard a changé son nom pour Bob Cummings).

La partition a été composée par de nombreuses mains, et la ballade la plus mémorable de la revue est celle d’E.Y. Harburg et Vernon Duke, I Like the Likes of You, interprétée par Brice Hutchins et Judith Barron. Les paroles comiques de Harburg dérivent la nervosité de jeunes amants qui ne savent pas exactement comment se dire ce qu’ils ressentent. Le final du premier acte se terminait par To the Beat of My Heart, qui critiquait la SDN (Société des Nations, ancêtre de l’ONU), lui reprochant son inefficacité. Ce numéro était très critique pendant les try-out de Boston et a été adouci pour Broadway.

Le spectacle a été monté avec goût, et sans doute grâce à l’attrait de la présence de Fanny Brice et une gestion financière rigoureuse, cette édition s’est avérée rentable. Mais il faut quand-même relativiser: ce fut un succès modéré. Le spectacle a été toutefois enregistré entièrement sur disques 78 tours à l’époque, témoignage précieux édité plus tard en album.

4.B.3) Ziegfeld Follies of 1936

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Couverture brochure des partitions

C’est la Ziegfeld Follies of 1936 qui redonne vraiment du lustre à la marque en misant sur une production haut de gamme et une distribution sensationnelle. Produite par Billie Burke avec les Shubert, mise en scène par John Murray Anderson, cette revue bénéficie de numéros inédits écrits par Ira Gershwin (paroles) et Vernon Duke (musique). La chorégraphie est assurée par George Balanchine, tout juste arrivé de l’Opéra de Paris, qui insuffle une touche de ballet moderne aux tableaux. Les décors et costumes signés Vincente Minnelli rivalisent de créativité.

Mais, surtout, la scène est dominée par Fanny Brice, à nouveau star incontestée – son humour juif new-yorkais fait mouche au point que lorsque Brice tomba malade, le spectacle dut fermer prématurément en mai 1936. Elle s’est montrée particulièrement amusante dans le sketch Baby Snooks Goes Hollywood où, dans un studio de cinéma, elle se moque de Clark Gable et Joan Crawford, incarnés respectivement par Rodney McLennan et Jane Moxon.

Autour d’elle, une pléiade de vedettes:

  • Bob Hope (jeune comédien alors peu connu du grand public) s’illustre notamment en interprétant la chanson «I Can’t Get Started», futur standard de jazz popularisé par Bunny Berigan​.
  • La grande Joséphine Baker fait une apparition très remarquée – la célèbre danseuse/chanteuse afro-américaine, star de Paris, apporte son exotisme et son charisme aux Follies of 1936.
  • Judy Canova (dans un registre country-comique)
  • La chanteuse Gertrude Niesen
  • La jeune acrobate June Preisser​.
  • Innovation notable, les Nicholas Brothers, duo de danseurs noirs virtuoses, enflamment la scène avec leurs claquettes acrobatiques...

On a une intégration d’artistes noirs dans un ensemble principalement blanc, assez audacieuse pour l’époque.

En reprise tardive de l’édition 1936, la célèbre strip-teaseuse Gypsy Rose Lee rejoindra même la troupe sur la fin​.

Avec 227 représentations (115 représentations en première série puis un retour de 112 supplémentaires la même année)​, cette édition 1936 redonne temporairement vie à l’esprit flamboyant des Follies.

4.B.4) La fin?

Ainsi, malgré les soubresauts de la décennie, les Ziegfeld Follies des années '30 ont su maintenir un certain standard de glamour et d’innovation scénique, glorifiant toujours la beauté et le talent. Elles ont mis en lumière des numéros mémorables (du fan dance de 1931 au standard I Can’t Get Started de 1936) et des personnalités de légende comme Fanny Brice, qui reste l’âme comique indissociable de ces revues fastueuses.

Pour être complet, signalons que le nom Ziegfeld Follies sera encore utilisé par d’autres producteurs avec moins de lien avec les Follies originales. Ces productions ultérieures ont toutes échoué lamentablement.

Enfin, signalons encore le musical Follies de Stephen Sondheim (1971) qui se déroule lors d’une réunion de showgirls des Weissman Follies, une revue de fiction inspirée des Ziegfeld Follies. En plus de mettre en vedette des "fantômes" de showgirls issue de la période d’or des revues, le musical comprend de nombreuses chansons et numéros qui sont destinés à évoquer les types de divertissement typiquement présentés dans les Ziegfeld Follies et les autres revues de l’époque.