Après le triomphe de l’opérette The New Moon sur scène en 1928, Hollywood s’empare rapidement de cette histoire romantique en pleine vague des premiers films parlants. Une première adaptation cinématographique sort dès 1930, produite par Universal Pictures, avec Lawrence Tibbett et Grace Moore – deux stars de l’opéra – en têtes d’affiche. Romberg n’est pas directement impliqué dans cette version, mais sa partition y est utilisée intégralement.
Dix ans plus tard, en 1940, la MGM propose son propre remake de New Moon, cette fois avec Nelson Eddy et Jeanette MacDonald, le couple phare des opérettes filmées de l’époque.
Entre ces deux adaptations, le contexte d’accueil diffère: en 1930, il s’agit de profiter du succès frais de Broadway, tandis qu’en 1940, MGM cherche à capitaliser sur la popularité du duo MacDonald/Eddy. Dans les deux cas, Sigmund Romberg voit sa musique portée à l’écran, gage d’une diffusion plus large, bien qu’il n’ait pas composé de nouveau matériel pour ces films.
Les films suivent globalement l’intrigue de l’opérette : dans la Nouvelle-Orléans pré-révolutionnaire, le fringant officier français Robert Mission se fait passer pour un humble serviteur afin d’échapper à ses ennemis politiques. Il devient l’employé de Marianne, jeune aristocrate créole, et les deux tombent amoureux malgré la différence de statut. Découvert, Robert est emprisonné sur un navire (le New Moon) en partance pour la France. Marianne et ses amis, restés à bord, organisent une mutinerie – c’est le pivot dramatique – et ils s’évadent pour fonder une colonie libre sur l’Île de la Lune. Là, loin des castes sociales, leur amour triomphe. La version de 1930 insiste sur l’aventure en mer et le conflit de classe, tandis que la version de 1940 ajoute des éléments patriotiques (une menace de pirate dans le remake, absent de l’histoire originale). Finalement, dans les deux films, un navire français accoste l’île et, reconnaissant la noblesse d’âme de Robert, lui accorde le pardon royal. Marianne et Robert peuvent alors rentrer ensemble, égaux et unis.
La partition de Romberg (paroles originales de Hammerstein, Mandel et Schwab) est le cœur musical des deux films, avec ses airs célèbres qui sont repris pour l’écran. On retrouve le romantique “Lover, Come Back to Me”, la plainte “One Kiss”, et surtout “Stouthearted Men”, l’hymne vigoureux des mutins. Dans le film de 1930, la présence de Lawrence Tibbett (baryton du Met) assure une interprétation opératique fidèle : ses envolées dans “Softly, As in a Morning Sunrise” et “Lover, Come Back to Me” donnent au film une tonalité très lyrique, comme une opérette filmée quasi intégrale. En 1940, Nelson Eddy apporte une chaleur plus populaire à “Stouthearted Men” (chanté cette fois comme chant martial entraînant) et Jeanette MacDonald illumine “One Kiss” de sa voix cristalline. Les orchestrations diffèrent : en 1930, on reste proche des arrangements scéniques avec orchestre symphonique standard, tandis qu’en 1940, le chef Alfred Newman enrichit la texture sonore (ajoutant par exemple des chœurs supplémentaires et des orchestrations plus hollywoodiennes, avec plus de contrastes dynamiques). MGM prend aussi la liberté d’ajouter quelques morceaux : ainsi, dans la version 1940, un nouveau numéro comique “Chicken Today, Feathers Tomorrow” (non de Romberg) est inséré pour alléger l’ambiance. Néanmoins, l’essentiel de la musique de Romberg brille toujours : les critiques notèrent que c’était la qualité intrinsèque de ces mélodies de 1928 qui portait le film, preuve de leur intemporalité.
Le New Moon de 1930, malgré les voix prestigieuses, souffrit d’une réalisation statique (propre aux premiers talkies) et ne laissa pas un grand souvenir en dehors des cercles d’amateurs d’opéra filmé. En revanche, le remake de 1940 par MGM fut un succès notable, figurant parmi les grandes opérettes filmées de l’âge d’or. MacDonald et Eddy, alors à l’apogée de leur popularité, attirèrent le public, et leurs enregistrements de “Lover, Come Back to Me” et “Stouthearted Men” connurent une large diffusion. Si la critique de 1940 souligna le caractère un peu daté de l’intrigue, elle salua le charme rétro de l’entreprise et le plaisir d’entendre de « vraies chansons » romantiques en pleine époque swing. Romberg, encore vivant en 1940, put mesurer l’impact de ce film sur la revitalisation de son œuvre : The New Moon revint ainsi sur le devant de la scène, avec des reprises scéniques montées dans la foulée dans divers opéras municipaux en Amérique. Aujourd’hui, la version MacDonald/Eddy reste régulièrement projetée dans les festivals de cinéma classique, et contribue à faire connaître The New Moon aux nouvelles générations. Les deux films, par ailleurs, constituent une intéressante étude de contraste dans l’évolution du cinéma musical sur une décennie. Mais quel que soit le médium, c’est bien la partition de Romberg qui assure la pérennité de New Moon, démontrant son adaptabilité et son attrait durable.
Sunny River est créé à Broadway en décembre 1941, en pleines fêtes de fin d’année et dans l’ombre de l’entrée en guerre des États-Unis. Cette comédie musicale, ultime collaboration entre Sigmund Romberg et Oscar Hammerstein II, visait à ressusciter la grande opérette américaine d’antan en y mêlant l’action d’un livret original d’Hammerstein. La production, assurée par le célèbre Michael Todd, ouvrit au St. James Theatre. Malgré l’expérience de ses créateurs, Sunny River ne parvint pas à s’imposer: elle ferma après seulement 36 représentations début 1942. Cet insuccès s’explique en partie par le contexte (les actualités de guerre monopolisaient l’attention) et par le fait que le spectacle semblait anachronique face aux nouveautés de l’époque (telles Pal Joey ou Oklahoma!). Hammerstein lui-même, qui triomphera quelques années plus tard avec un style renouvelé, s’essayait ici pour la dernière fois à la formule de l’opérette traditionnelle.
L’action se déroule à La Nouvelle-Orléans vers 1870. Sunny River raconte le duel amoureux et social entre deux femmes que tout oppose : d’une part, Daisy (Muriel Angelus), pétulante chanteuse de cabaret au passé modeste, et de l’autre, Clarisse (Helen Claire), riche héritière sudiste. Toutes deux convoitent le cœur de Clay Grillet (Bob Lawrence), un jeune avocat créole idéaliste. Daisy tient un café-concert mal famé (le “Sunny River”), tandis que Clarisse évolue dans la haute société. L’intrigue suit les manigances de Clarisse pour discréditer sa rivale (elle fait fermer le cabaret pour immoralité) et les tentatives de Daisy pour gagner le respect de la bonne société. Clay, partagé entre l’affection sincère qu’il porte à Daisy et la pression familiale qui le pousse vers Clarisse, oscille. Des duels burlesques ont lieu (notamment une scène où Clay et un soupirant jaloux se battent à l’épée en titubant d’ivresse, apportant une touche comique). Finalement, Clarisse, piquée au vif, révèle à Clay un secret sur Daisy pour la diffamer – ce qui brise le couple. Dans un dénouement surprenant pour une opérette, Daisy quitte la ville, refusant de s’imposer dans un milieu qui la rejette. Clay réalise trop tard son erreur : la pièce se termine de manière inhabituellement mélancolique, sur la séparation des deux amants et le mariage de convenance de Clay avec Clarisse. Ce choix d’une fin non conventionnellement heureuse était audacieux mais a sans doute déconcerté le public.
Romberg et Hammerstein composent pour Sunny River une partition qui cherche à concilier l’opulence de l’opérette avec les racines musicales américaines (chant du sud, gospel, etc.). On retrouve la patte de Romberg dans des ballades romantiques comme “It Can Happen to Anyone”, air de Daisy exprimant que l’amour peut toucher n’importe quel cœur, sur une mélodie chaude et plaintive. Cependant, la critique de l’époque a relevé que la musique était souvent « fleurie et vieillotte » et manquait de nouveauté face aux standards changeants. Un numéro marquant est “Butterflies and Bees”, duo bucolique où Clay et Daisy comparent l’amour aux légers papillons – une scène conçue pour rappeler les duos de Maytime ou The Student Prince. Hammerstein incorpore un élément de folklore noir américain dans “Symphonic Pantomime” (tableau d’ouverture sans paroles, où des travailleurs noirs chantent un chœur dans les champs de canne), essayant d’ancrer l’histoire dans le terroir louisianais. L’orchestre, dirigé par Al Goodman, privilégie des sonorités pleines de cuivres chaleureux et de cordes langoureuses, comme pour Show Boat une décennie plus tôt. Mais Sunny River souffre d’un livret jugé maladroit : la Time Magazine de l’époque écrit ainsi que le spectacle « tente de faire revivre l’opérette à grand déploiement, sans en retrouver le charme » et parle d’un récit « poussif, dialogues ampoulés et humour lourdaud », avec une musique « tantôt chaleureuse et romantique, mais plus souvent pompeuse et vieillotte ». Effectivement, la structure musicale respecte les conventions dépassées (final d’acte grandiloquent, polyphonies à l’ancienne), ce qui a pu ennuyer l’auditoire de 1941.
Sunny River fut un échec retentissant. Créé une semaine après l’attaque de Pearl Harbor, il est possible que le public ait été dans un état d’esprit peu réceptif aux nostalgies d’un Vieux Sud idéalisé. Au-delà du contexte, la critique a fustigé le caractère daté de l’œuvre : Time déclara que Sunny River ramenait « les toiles d’araignée des vieux musicals sans la grâce qui allait avec », ce qui fit prendre la « fuite à toute nostalgie » du public dès la moitié du spectacle. Hammerstein lui-même reconnut plus tard que la pièce était un faux pas. Elle ne connut aucune reprise majeure, et la plupart des chansons sombrèrent dans l’oubli – à l’exception notable de “Close as Pages in a Book”, qui ne vient pourtant pas de Sunny River mais de Up in Central Park (souvent confondue car créée la même année). En effet, aucune mélodie de Sunny River ne devint standard, signe de son manque d’impact. Pour Romberg, ce fut la dernière production montée de son vivant à Broadway, clôturant tristement sa carrière scénique sur un flop. Néanmoins, l’œuvre revêt un intérêt historique : elle est un des derniers avatars de l’opérette américaine pré-Seconde Guerre mondiale. Des historiens y ont vu le chant du cygne d’un genre – celui de Victor Herbert et Romberg – qui allait s’éteindre pour laisser place aux musicals modernes. Sunny River est ainsi étudié comme un cas d’école de tentative manquée de ressusciter un style obsolète en 1941, quelques années avant que Hammerstein ne réinvente le genre avec Oklahoma! en 1943.


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