4.G.7) Héritage et importance dans l’histoire du musical

« Ou comment des claquettes sur parquet usé ont fait trembler les fondations du théâtre américain »

Dans l’histoire du musical, les revues afro-américaines des années 1930 apparaissent souvent comme des notes de bas de page, des apartés historiques reléguées aux marges du récit “officiel” dominé par Gershwin, Porter et les Follies en plumes blanches. Et pourtant… ce sont elles qui ont fourni la matière rythmique, humaine, poétique sans laquelle Broadway n’aurait jamais trouvé sa voix.

Ces revues, souvent montées avec trois bouts de ficelle, un piano mal accordé et beaucoup de génie, ont forgé une esthétique du musical populaire américain bien avant qu’Oklahoma! ne vienne imposer ses cow-boys en harmonie. On y trouvait déjà, dans un club enfumé de Harlem ou sur la scène bringuebalante d’un théâtre du Mississippi:

  • le chant narratif (Ethel Waters, Supper Time),
  • la chorégraphie intégrée (les Nicholas Brothers, précurseurs des ballets narratifs),
  • le personnage chantant sa vérité au monde, dans un numéro qui suspend le temps.

Mais surtout, les revues noires ont instauré un rapport organique à la scène : ici, pas de séparation entre le musicien, le chanteur, le danseur, le public. Tout est rythme, regard, réaction. Le call and response ne structure pas que la musique : il devient philosophie scénique, appel à l’écoute, au dialogue, au vivant.

On doit à ces spectacles une autre grammaire du théâtre musical — une grammaire de la pulsation, du fragment, du collage, qui sera redécouverte bien plus tard par des metteurs en scène “innovants”… sans toujours en reconnaître l’origine.

Et que dire des corps? Ces corps noirs qui, sur scène, osaient être beaux, puissants, drôles, sublimes, sexuels, tristes, brillants, même quand la société les voulait invisibles. Chaque chorus girl qui levait la jambe au Cotton Club lançait un défi à la bienséance blanche. Chaque pas de tap de Bojangles Robinson était un acte de diction sociale, une façon de dire: je suis là, j’existe, j’ai du style, je suis la mesure.

L’héritage est là, vibrant, encore palpable:

  • dans la comédie musicale engagée (de Hamilton à Dreamgirls),
  • dans la place centrale du rythme et du groove,
  • dans les figures d’artistes complets capables d’unir le politique et le spectaculaire, la mémoire et le swing.

Et si les noms de ces revues sont parfois oubliés, leur empreinte est partout.

Alors non, les revues afro-américaines des années '30 ne sont pas des marges.

Elles sont les margelles du puits, d’où Broadway a puisé son eau la plus vive.

Et si l’histoire les a parfois passées sous silence, le théâtre, lui, s’en souvient.

À chaque pas de danse syncopé.

À chaque note bleue.

À chaque rideau qui se lève.