Bruxellons! - Histo des musicals - Années '20: en Europe - Le Royaume-Uni
«Tentative d'histoire des musicals»
Chapitre 3 - 1866 1927 - Recherches (142/154)
Phase Années '20: en Europe (11/23)
2) Le Royaume-Uni (3/13)
Les années folles britanniques voient coexister et s’épanouir plusieurs formes de théâtre musical. Chacune de ces formes – la revue, l’opérette et la comédie musicale dite musical comedy – possède ses codes, ses auteurs de prédilection et son public. En voici un tour d’horizon.
2.B.1) La revue intimiste et satirique
Genre phare de la décennie, la revue britannique se distingue par son esprit satirique et son format en tableaux successifs mêlant chansons, sketches comiques et numéros dansés. Contrairement aux revues américaines fastueuses de la même époque (telles que les Ziegfeld Follies à Broadway avec leurs somptueux ensembles de danseuses), les revues londoniennes des années '20 privilégient souvent une atmosphère plus intimiste et un humour sophistiqué.
2.B.1.a) Les revues intimistes d'André Charlot
André Charlot (1882-1956)
André Charlot
Né le 26 juillet 1882 à Paris, André Charlot était un imprésario et acteur français. Il a débuté sa carrière en collaborant à la gestion de plusieurs théâtres parisiens, dont les célèbres Folies Bergère et le Théâtre du Palais-Royal. En 1912, il s'installe à Londres et devient co-directeur de l'Alhambra Theatre, où il introduit le concept de la revue intime, contribuant ainsi à populariser ce genre en Angleterre. Face aux difficultés financières engendrées par la Grande Dépression, Charlot s'est tourné vers le cinéma. Après son déménagement à Hollywood en 1937, il a joué des rôles secondaires dans plus de 50 films entre 1942 et 1955. André Charlot est décédé le 20 mai 1956 à Woodland Hills, en Californie, des suites d'un cancer.
L’imprésario français André Charlot joue un rôle majeur dans ce courant: installé à Londres, il produit une série révolutionnaire de revues de petit format qui misent sur l’élégance visuelle, la férocité d’esprit et la qualité musicale des partitions.
Pour ses revues, Charlot choisit des théâtres de taille modeste, comme le Vaudeville, qui peut accueillir 700 personnes. Un spectacle typique de Charlot mettait en vedette un petit orchestre, et sur scène jusqu’à six stars soutenues par un ensemble qui savaient tous chanter, danser et jouer.
Surnommé malgré lui «le Ziegfeld britannique», Charlot révèle au public de la West End de nouveaux talents comme Jack Buchanan, Noël Coward, Jack Hulbert, Gertrude Lawrence, Beatrice Lillie, Jessie Matthews et Ivor Novello, qu’il réunit dans des spectacles devenus légendaires tels que:
London Calling! (1923): une revue musicale britannique produite par André Charlot, avec des musiques et des paroles principalement de Noël Coward. Le spectacle a ouvert ses portes au Duke of York's Theatre à Londres le 4 septembre 1923.
Gertrude Lawrence avec Noël Coward dans «London Calling!»
Le spectacle a connu un formidable succès avec 318 représentations. Cette production marque la première œuvre musicale de Coward présentée au public. Parmi les chansons, "Parisian Pierrot", interprétée par Gertrude Lawrence, est devenue l'un de ses premiers grands succès et une de ses chansons emblématiques. Cette revue innovante et satirique est historiquement importante parce qu'elle a a contribué à établir la réputation de Noël Coward et a renforcé la position d'André Charlot en tant que producteur influent dans le théâtre londonien des années '20.
The Charlot Revue (1924): Charlot connut un grand succès à Broadway avec Charlot’s Revue de 1924, une compilation de numéros et de sketches, principalement de Coward, tirés des spectacles de Charlot dans le West End. Il a pris New York d’assaut – Le Daily News a rapporté que «The Charlot Revue met la foule en liesse» – mais surtout il a présenté Buchanan, Lawrence, Lillie et Matthews sur la scène new-yorkaise et, selon les mots des historiens du théâtre Mander et Mitchenson, «a enfin établi une revue intime de l’autre côté de l’Atlantique». Le spectacle a été présenté à Broadway pendant 298 représentations, puis a fait une tournée aux États-Unis et au Canada. Le succès à Broadway d'œuvres britanniques est suffisamment rares dans ces années-là que pour le souligner.
Ces revues «de salon» instaurent une complicité inédite entre les artistes et la salle – une intimité élégante et non pas une simple interactivité burlesque, comme le décrira plus tard Gertrude Lawrence en évoquant l’atmosphère unique créée par Charlot.
2.B.1.b) Les revues de C.B. Cochran
Parallèlement aux productions de Charlot, d’autres revues animent la scène londonienne. Charles B. Cochran, surnommé "le showman britannique", est un impresario et producteur de théâtre influent des années '20, célèbre pour ses revues spectaculaires qui ont marqué le paysage théâtral londonien.
Parmi ses productions notables de cette décennie, on compte:
"London, Paris and New York" (1920 - London Pavilion - 366 représentations): une revue avec une musique de Herman Darewski (), reflétant l'effervescence culturelle de ces trois grandes villes.
"Fun of the Fayre" (1921 - London Pavilion - 239 représentations): une production qui a apporté une touche de légèreté et d'humour au public londonien.
"The League of Notions" (1921 - New Oxford Theatre - 359 représentations): une revue satirique qui a captivé les spectateurs par son esprit mordant et sa vision satirique des questions contemporaines et de la politique internationale. Elle présentait un mélange de numéros musicaux, de costumes élaborés et de sketches comiques, reflétant le climat social et politique de l’après-Première Guerre mondiale.
"On with the Dance" (1925 - London Pavilion - 229 représentations): cette revue a marqué le début de la collaboration fructueuse entre C.B. Cochran et Noël Coward, qui a contribué avec des sketches et des chansons. Le spectacle a été salué pour son mélange de comédie, de musique et de danse.
"This Year of Grace" (1928 - London Pavilion - 315 représentations): une autre collaboration avec Coward, cette production a été acclamée pour son innovation et son éclat artistique.
En plus de ses propres productions, Cochran a introduit des talents internationaux sur la scène londonienne, notamment en présentant "Blackbirds" (1926 - London Pavilion - 279 représentations), une revue afro-américaine dirigée par Lew Leslie et mettant en vedette Florence Mills. Le spectacle a connu un immense succès à Londres, renforçant la réputation de Cochran en tant que découvreur de talents et innovateur théâtral. Nous allons revenir plus en détail ci-dessous sur les revues afro-américaines à Londres.
Les revues de Cochran des années 1920 étaient réputées pour leur sophistication, leur élégance et leur capacité à capturer l'esprit du temps, consolidant ainsi sa place en tant que figure emblématique du théâtre britannique.
2.B.1.c) «The Co-Optimists»
L’une des sensations de la décennie est The Co-Optimists, une revue de variétés qui a fait ses débuts à Londres le 27 juin 1921. Conçue par Davy Burnaby, la production a initialement été présentée au Royalty Theatre avant d'être transférée au Palace Theatre en raison de son succès. Le spectacle a d’abord été joué 499 fois; Il a été entièrement réécrit et relancé à intervalles réguliers pour le garder frais. L’édition finale, date de 1935 et sera la 13ème version.
2.B.1.d) Les revues afro-américaine à Londres - Exemple Blackbirds of 1926
Blackbirds of 1926, également connue sous le nom de Lew Leslie's Blackbirds of 1926, est une revue musicale afro-américaine créée et produite par l'imprésario blanc Lew Leslie (). Ce spectacle mettait en vedette des artistes de renom tels que Florence Mills, Edith Wilson et Johnny Hudgins, avec une musique composée par George W. Meyer et Arthur Johnston, et des paroles de Grant Clarke et Roy Turk. La revue est une évolution des précédentes productions de Lew Leslie, notamment la Plantation Revue, et est la première d'une série de spectacles qui se poursuivront pendant plus d'une décennie.
Origines et Développement: aux États-Unis, Lew Leslie, initialement artiste de vaudeville, s'est reconverti en producteur, mettant en avant des talents noirs dans des spectacles destinés principalement à un public blanc. Leslie avait clairement à l’esprit une revue annuelle entièrement noire qui ressemblerait aux Ziegfeld Follies ou George White’s Scandals. Il a conçu le Blackbirds en s'inspirant des spectacles de cabaret du Plantation Club à Harlem, fréquenté exclusivement par des blancs.
De ces performances est née la Plantation Revue, présentée au 48th Street Theatre et au Lafayette Theatre, toutes deux situées à Harlem. L'imprésario anglais Charles B. Cochran () a ensuite invité la troupe à se produire au London Pavilion en 1923 dans un spectacle baptisé Dover Street to Dixie. Après Londres, cette revue a été présentée avec succès au Broadhurst Theatre de New York en 1924-1925 sous le titre de Dixie to Broadway, le spectacle a été remanié pour devenir Blackbirds of 1926, présenté à l'Alhambra Theatre de Harlem. Le nom du spectacle a été inspiré par la chanson thème «I’m a Little Blackbird Looking for a Blu:ebird», une protestation à peine voilée contre l’injustice raciale, que Florence Millsa avait chantée pour la première fois dans le spectacle Dixie to Broadway, en 1924.
Tournée Européenne et Réception: après une période de Try-Out prolongée de 5 semaines à l'Alhambra de Harlem, sans passer par Broadway, la revue a traversé l'Altlantique. Blackbirds a débuté le 28 mai 1926 à Paris, au cabaret Les Ambassadeurs, récemment rénové en "théâtre-restaurant" pour attirer le nombre croissant de touristes américains. Ce lancement faisait suite au succès retentissant de la Revue Nègre avec Joséphine Baker en 1925. Le numéro d'ouverture, "Down South", où Florence Mills surgit d'un immense gâteau pour célébrer l'anniversaire de sa "mammy", a été particulièrement acclamé. Le spectacle a immédiatement conquis le public parisien, notamment grâce à la performance de Johnny Hudgins, dont le pantomime silencieux en blackface et gants blancs, accompagné par la trompette sourdine de Johnny Dunn, a captivé l'audience. Le spectacle de deux heures et demie comprenait également les Three Eddies, chanteurs en harmonie rapprochée et danseurs de claquettes, ainsi que le Plantation Orchestra dirigé par le violoniste Ralph "Shrimp" Jones.
En juillet 1926, des ajustements ont été apportés avec l'arrivée de l'orchestre de Paul Whiteman, et le spectacle a été rebaptisé Dixie to Paris. Initialement, il était prévu que les Blackbirds cèdent la place au groupe de Whiteman, mais leur popularité a conduit à une alternance des performances entre Les Ambassadeurs et le Théâtre des Champs-Élysées. Après une semaine de représentations au Casino-Kursaal d'Ostende en Belgique, les Blackbirds sont retournés à Paris avant de partir pour Londres, où C.B. Cochran les avait programmés- juste retour des choses car il était quand-même un peu à la base de cette aventure.
Le spectacle londonien a débuté au London Pavilion le 11 septembre 1926 et a connu 279 représentations jusqu'en 1927. Comme à Paris, le spectacle a été un succès financier et artistique, suscitant une véritable "Blackbirds mania" dans la culture populaire londonienne, avec des soirées thématiques organisées par la haute société. L'intérêt du jeune prince de Galles, Edward, pour les Blackbirds et le jazz en général a grandement contribué à la popularité de la revue. À la fin des représentations, le prince avait assisté au spectacle au moins onze fois, et Florence Mills est devenue "la sensation de la saison".
Fin et Héritage: Blackbirds of 1926 a marqué l'apogée de la carrière de Florence Mills, malheureusement écourtée par sa disparition prématurée. Le spectacle a également propulsé la carrière d'autres artistes, tels qu'Edith Wilson et Johnny Hudgins. Lew Leslie a poursuivi la série avec Blackbirds of 1928, qui a connu un succès encore plus grand, lançant les carrières de Bill "Bojangles" Robinson et Adelaide Hall.
Malgré le succès et la popularité des artistes noirs auprès du public, la troupe a été confrontée à des préjugés raciaux, même dans des villes cosmopolites comme Paris et Londres, bien loin de la ségrégation raciale des États-Unis. À Paris, peu après le début des représentations aux Ambassadeurs, un incident a éclaté lorsqu'un homme noir et une femme blanche ont dansé ensemble, provoquant la protestation d'un groupe d'Américains. À Londres, l'orchestre du Pavilion a refusé de jouer aux côtés de musiciens noirs, obligeant la direction à suspendre temporairement les musiciens blancs pour éviter une action syndicale.
En résumé, Blackbirds of 1926 a été une revue révolutionnaire qui a non seulement mis en lumière le talent des artistes afro-américains sur la scène internationale, mais a également contribué à façonner la perception de la culture noire dans les années 1920 en Europe.