2.
1848-1898
Les années Elisabeth

 3.1.
1871-1914
La poudrière
des nationalismes

 3.2.3.
1914-1918
L'Autriche-Hongrie
dans la Première Guerre

 4.
1918-1938
L'Autriche de
l'entre-deux guerres

Rarement la fin d'une guerre a été aussi mal gérée. Bon nombre des décisions prises allaient déboucher sur des frustrations qui allaient données écho aux instincts nationalistes les plus bas et appeler à une seconde guerre mondiale, sorte de deuxième round.

A) Le bilan de la Première Guerre mondiale

A.1) Des nations ravagées

Le nombre de personnes portant les séquelles de la Première Guerre mondiale (militaires et civiles) s'élève à plus de 40 millions, 20 millions de morts et 21 millions de blessés. Ce nombre inclut 9,7 millions de morts pour les militaires et près de 10 millions pour les civils. Les Alliés de la Première Guerre mondiale perdent plus de 5 millions de soldats et les Empires centraux près de 4 millions.

Du côté de la Triple Entente, la France a un bilan très lourd: près de 1.700.000 morts (civils et militaires) et 4.266.000 militaires blessés. Même si leur territoire n'a pas été envahi, les anglais doivent déplorer 1,2 millions de militaires tués, en ce compris les soldats issus de leurs colonies. En Belgique, le nombre de civils tués (62.000) est supérieur au nombre de militaires (42.987). C'est du côté des Russes que le bilan est le plus lourd: 3.311.000 morts (civils et militaires) et 4.950.000 militaires blessés.

Dans le camp de la Triple Alliance, l'Allemagne compte 2.462.897 morts (civils et militaires) et 4.247.143 militaires blessés, l'Empire austro-hongrois compte 1.567.000 morts (civils et militaires) et 3.620.000 militaires blessés.

Mais c'est l'Empire Ottoman qui explose tous les chiffres: 5 millions de morts (800.000 militaires et 4,2 millions de civils) et 400.000 militaires blessés. Ce chiffre énorme de civils tués peut être expliqué en se rappelant que la Première Guerre mondiale est aussi le premier conflit à entraîner une entreprise d’extermination planifiée par un État, de tout un peuple constituant une minorité, sous prétexte de sédition: le génocide arménien est déclenché le 24 avril 1915 par le gouvernement jeune-turc de l’Empire ottoman pour qui, officiellement, il ne s'agit que d'un transfert de la population arménienne loin du front. C'est principalement entre avril 1915 et juillet juillet 1916 qu'entre 800.000 et 1.250.000 Arméniens sont assassinés, soit presque la moitié de la population arménienne ottomane. Dans le même temps, 275.000 Assyriens sont massacrés dans l'est de l'Empire ottoman, selon la même optique d'épuration ethnique. L'Empire ottoman perpètre un autre génocide pendant et après la Première Guerre mondiale, celui des Grecs pontiques. De 1916 à 1923, le massacre fait près de 360 000 victimes.

Pendant le conflit, des massacres surviennent également dans certains pays, en particulier en Belgique où l'armée allemande commet des atrocités envers la population civile. Le mythe du franc-tireur de la guerre de 1870 fait vite son apparition et en représailles, les troupes allemandes vont se livrer à la «déportation» ainsi qu'à l'exécution d'un grand nombre de civils aussi bien en Belgique que dans le nord de la France. L'occupation de ces régions est très dure pour les populations qui doivent fournir dans un premier temps les vivres nécessaires aux troupes d’occupation. De nombreux civils sont réquisitionnés pour des travaux forcés et beaucoup d'entre eux sont également faits prisonniers puis envoyés en Allemagne comme par exemple 1.500 habitants d'Amiens qui sont envoyés dans des camps de travail. Certains vont rester prisonniers jusqu’en 1918.

L'occupation et les transferts de populations sont accompagnés de nombreuses destructions et d'exécutions, dont la plupart se déroulent sur le territoire belge. À Tamines, le 22 août 1914, ce sont 422 personnes qui sont exécutées, à Haybes, ville détruite, 61 civils sont tués et à Dinant, ce sont 674 civils qui sont passés par les armes. À Louvain, les troupes allemandes mettent le feu à la ville et 29 personnes sont fusillées. La Belgique et la France ne sont pas les seuls pays à être touchés. La ville de Kalisz en Pologne est bombardée et incendiée par les Allemands en août 1914, des civils sont tués. Dans les ruines de la ville dévastée, dont la majeure partie de la population est partie en exode, il ne reste plus que 5.000 habitants alors qu'elle en comptait 65.000 avant-guerre.

A.2) Des traces à long terme

Cette saignée de millions de morts, s’accompagne d’un déficit considérable des naissances. Le déficit des naissances par rapport à l'avant-guerre s'élève en Allemagne à 5.436.000 et en France à 3.074.000. Lle déficit russe est le plus élevé et atteint 26 millions!!!. La stagnation démographique française se prolonge, avec un vieillissement de la population qui ne cesse de croître qu’avec le recours à l’immigration.

Les productions agricole et industrielle se sont effondrées à cause des impératifs de l’économie de guerre et de la mobilisation d’un grand nombre d’actifs: la France perd 17,3% de ses mobilisés, le Royaume-Uni 5,1% et l'Allemagne 9,8%. La guerre entraîne une désorganisation des circuits commerciaux traditionnels. Il fallut reconstruire, relancer l’activité et revenir à une économie de paix tout en faisant face à une grave pénurie de maind’œuvre. En France par exemple, 50% des paysans sont morts.

À tout ceci s’ajoutent de graves séquelles psychiques et sanitaires: les «gueules cassées», trauma psychologiques, choc et contre-choc de la grippe espagnole qui a fait entre 20 et 50 millions de morts entre mars 1918 et juillet 1921, soit près de 5% de la population mondiale de l'époque.

Il y a également des non-dits notamment quant aux répressions des mutineries de 1917 chez les Français, les Allemands et les Britanniques, comme la mutinerie d'Étaples. En quatre ans, 2.400 «poilus» auront été condamnés à mort et 600 exécutés, les autres voyant leur peine commuée en travaux forcés. Parmi ces soldats fusillés pour l'exemple, quelques uns dont Félix Baudy ont été rétablis dans leur honneur dans les années '20 ou '30. Sans oublier le sort réservé aux déserteurs, fusillés au début du conflit puis déportés au bagne quand ils refusent de se soumettre. Ce conflit mondial laisse des millions d’orphelins, de désœuvrés et surtout, un esprit de haine et de revanche qui prépare déjà la Seconde Guerre mondiale.

A.3) Un monde redessiné par les traités de paix

Petit flashback... Cette guerre a débuté par lo'position de deux blocs: Triple Alliance (Allemagne, Autriche-Hongrie, Italie) contre Triple Entente (France, Russie, Angleterre). Très vite (3 août 1914) l'Italie s'est déclarée neutre avant de basculer dans le camp adverse par le Traité de Londres (26 avril 1915). La Bulgarie, suite à la «Deuxième Guerre Balkanique», se trouve naturellement dans le camps de la Triple Alliance et entre dans le conflit à leurs côtés en octobre 1915. Enfin, durant les trois premiers mois du conflit, l'Empire ottoman reste dans une prudente expectative malgré les traités d'alliance du 2 août 1914 qui le lie à l'Empire allemand. Mais très vite, il prend position en faveur des Empires centraux (Allemagne et Autriche-Hongrie) et entre en guerre à leurs côtés en octobre 1914.

En d'autres termes, la Triple Entente initiale se transforme une alliance de quatre pays: Allemagne, Autriche-Hongrie, Bulgare et Empire Ottoman. Comme nous l'avons vu () , dans les derniers jours de la guerre en 1918 l'Autriche-Hongrie a explosé. Ils sont donc cinq pays dont les vainqueurs vont devoir décider du sort. Cela fera donc cinq «Traités de Paix». Jamais un terme n'a été plus mal choisi

  Les «Quatorze Points Wilson»  En janvier 1918, une dizaine de mois avant la fin de la Première Guerre mondiale, le président américain, Woodrow Wilson, avait rédigé une liste de propositions d'objectifs de guerre, intitulée «Quatorze points». Huit de ces points concernaient plus particulièrement les accords territoriaux et politiques associés à la victoire des puissances de l'Entente, notamment l'idée d'autodétermination nationale pour les populations ethniques en Europe. Les principes restants concernaient la prévention des conflits et le dernier proposait la création d'une Société des Nations destinée à arbitrer les litiges internationaux (la SDN sera l'ancêtre de l'ONU). Wilson espérait que ses propositions conduiraient à une paix juste et durable, une paix sans victoire pour que la Grande guerre soit la Der des ders.

Lorsque les dirigeants allemands signèrent l'armistice, beaucoup d'entre eux crurent que les «Quatorze points» formeraient la base du futur traité de paix, mais les chefs du gouvernement britannique, français et italien révélèrent un tout autre projet lorsqu'ils rencontrèrent à Paris leur homologue américain afin de définir les conditions du traité. Considérant l'Allemagne comme le principal instigateur du conflit, les puissances alliées européennes imposèrent finalement, dans le cadre du traité, des obligations particulièrement strictes à l'Allemagne vaincue.

  Les cinq «Traités de Paix»  

  1. Traité de Versailles le 28 juin 1919: il décide du sort de l'Allemagne
    À Versailles! Quel hazard_ Au même endroit que la proclamation du IIème Reich en 1871….
    Ce traité est une honte.
  2. Traité de Saint-Germain-en-Laye le 10 septembre 1919: il décide du sort de l'Autriche
  3. Traité de Neuilly le 27 novembre 1919: il décide du sort de la Bulgarie
  4. Traité de Trianon le 4 juin 1920: il décide du sort de la Hongrie
  5. Traité de Sèvres le 10 août 1920: il décide du sort de l'Empire Ottoman
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Carte de l'Europe en 1923
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A.4) Parenthèse: le Traité de Versailles

Le Traité de Versailles contraignait l'Allemagne à accorder des territoires à la Belgique (Eupen-Malmédy), à la Tchécoslovaquie (territoire d'Hultschin) et à la Pologne (Poznan, la Prusse occidentale et la Haute-Silésie). L'Alsace-Lorraine, annexée en 1871 après la Guerre franco-prussienne, revint à la France. Toutes les colonies allemandes d'outremer devinrent des mandats de la Société des Nations et la ville de Dantzig, dont la population était majoritairement allemande, devint une ville libre. Le Traité de Versailles exigeait la démilitarisation et l'occupation de la Rhénanie, ainsi qu'un statut spécial pour la Sarre, sous autorité française. Des plébiscites devaient déterminer l'avenir des régions du Nord Schleswig à la frontière du Danemark avec l'Allemagne et de certaines parties de la Haute-Silésie.

La partie la plus humiliante du Traité de Versailles pour l'Allemagne vaincue fut sans doute l'article 231, la «clause de culpabilité de guerre», qui contraignait l'Allemagne à accepter l'entière responsabilité du déclenchement de la Première Guerre mondiale. L'Allemagne fut tenue pour responsable de tous les dommages matériels et le Premier ministre français, Georges Clemenceau, insista particulièrement sur l'imposition d'énormes paiements au titre des réparations. Clemenceau et les Français étaient conscients que l'Allemagne ne serait probablement pas en mesure de s'acquitter d'une dette si importante mais ils craignaient néanmoins une récupération rapide de l'Allemagne et une nouvelle guerre contre la France. C'est pourquoi ils cherchèrent, dans le système de traités d'après-guerre, à limiter les efforts de récupération de la supériorité économique et de réarmement de l'Allemagne. L'effet sera totalement inverse et favorisera l'arrivée d'Hitler au pouvoir.

L'armée allemande devait être limitée à 100.000 hommes et la conscription interdite. La flotte de la Marine fut restreinte aux bateaux de moins de 10.000 tonnes et l'acquisition ou l'entretien d'une flotte sous-marine interdits. L'Allemagne ne fut pas autorisée à conserver une force aérienne. L'Allemagne fut tenue de traduire en justice l'Empereur Guillaume II pour crimes de guerre et d'autres dirigeants pour avoir mené une guerre d'agression. Ce fut le procès de Leipzig, au cours duquel ni Guillaume II ni les dirigeants nationaux importants ne se trouvèrent sur le banc des accusés. Le procès se conclut principalement par des acquittements et fut perçu, même en Allemagne, comme une imposture.

Le nouveau gouvernement démocratique allemand considéra le Traité de Versailles comme un diktat, le diktat de Versailles. Les conditions sévères réclamées par la France, qui avait subi davantage de dommages matériels que les autres alliés, ne contribuèrent pas au règlement des conflits internationaux engendrés par la Première Guerre mondiale. Au contraire, le traité eut plutôt tendance à entraver la coopération européenne et à accentuer les tensions qui avaient été à l'origine de la Première Guerre mondiale. Les terribles sacrifices de guerre et les pertes humaines considérables pesèrent lourdement non seulement sur les pays vaincus mais également sur les vainqueurs, comme l'Italie dont les réparations étaient sans commune mesure avec le prix très élevé qu'elle avait payé en sang et en biens matériels.

Pour les populations des puissances vaincues (l'Allemagne, l'Autriche, la Hongrie et la Bulgarie), les traités de paix respectifs apparurent comme une punition injuste. Leurs gouvernements, qu'ils soient démocratiques comme en Allemagne ou en Autriche, ou autoritaires comme en Hongrie et, par intermittence, en Bulgarie, violèrent rapidement les termes militaires et financiers des accords. Réviser et défier les dispositions les plus lourdes des traités de paix devinrent des éléments clés de leurs politiques étrangères et furent des facteurs de déstabilisation de la politique internationale. La clause de culpabilité de guerre, les paiements au titre de réparations et les limites imposées aux forces militaires allemandes furent particulièrement difficiles à accepter pour les Allemands. La révision du Traité de Versailles fut une des revendications sur lesquelles les partis de droite radicale en Allemagne, dont le Parti nazi d'Adolf Hitler, basèrent leur crédibilité et séduisirent l'électorat au début des années 1920 et 1930.

Après une défaite et une paix humiliantes, les promesses de réarmement, de récupération du territoire allemand notamment à l'Est, de remilitarisation de la Rhénanie et de retour du pays parmi les premières puissances européennes et internationales, alimentèrent le sentiment ultranationaliste et contribuèrent à ce que l'électorat moyen s'accommode souvent des éléments plus radicaux de l'idéologie nazie.

«Jamais n’a été infligée à un peuple, avec plus de brutalité une paix aussi accablante et aussi ignominieuse qu’au peuple allemand la paix honteuse de Versailles. Dans toutes les guerres des derniers siècles, des négociations entre vainqueur et vaincu avaient précédé la conclusion de la paix. (…)
Mais une paix sans négociations préalables, une paix dictée comme celle de Versailles, est aussi peu une vraie paix qu’il n’y a transfert de propriété quand un brigand renverse à terre un malheureux et le contraint ensuite à la lui remettre son porte-monnaie.
La paix de Versailles nous a ravi plus de soixante-dix mille kilomètres carrés et plus de sept millions d’habitants.
(…) Pour garder le géant enchaîné, on a mis deux sbires à ses flancs, la Pologne et la Tchécoslovaquie, qui ont reçu le droit, conservé aussi par les Etats vainqueurs, d’augmenter librement leurs forces militaires, tandis que notre armée, autrefois la plus forte et la plus brave du monde, était réduite à n’être qu’une force de police à peine suffisante; pour maintenir l’ordre intérieur.»

Von Bülow, Mémoires, Plon, 1931

«La paix de Versailles contenait déjà en elle la Seconde Guerre. Fondée ouvertement sur la force, elle proclamait l'Évangile auquel allait se référer tout coup de force.»

Ernst Jünger - Orages d'acier, 1920, Traité du rebelle, 1951

«Le traité n’est pas fameux ; je suis tout prêt à le reconnaître. Mais, et la guerre, a-t-elle été fameuse ? Il a fallu quatre ans et je ne sais combien de nations pour venir à bout de l’Allemagne. (…) Vingt fois pendant la guerre, on a cru que tout était fini. (…) Or la France sort de là vivante, son territoire reconstitué, son empire colonial agrandi, l’Allemagne brisée, désarmée…»

Interview de G. CLEMENCEAU, président français pendant la Première Guerre, 1928

B) Sort de l'Autriche: Traité de Saint-Germain-en-Laye

Le 10 septembre 1919, près de trois mois après le Traité de Versailles entre les Alliés et l'Allemagne, le Traité de Saint-Germain-en-Laye met fin officiellement à l'Autriche-Hongrie.

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 Empire Austro Hongrois en 1914  -  L'Europe centrale après les traités de Paix 
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  1. Les Alliés refusent aux Autrichiens de langue allemande le droit de s'unir à l'Allemagne. Cédant à la pression des indépendantistes tchèques, ils créent une petite Autriche indépendante de 7 millions d'habitants: l'Autriche proprement est réduite aux provinces de langue allemande qui entourent Vienne. Cet état est trop petit pour être viable, avec une capitale démesurée de 2 millions d'habitants, Vienne. 17 ans à peine s'écouleront avant qu'Hitler ne décide de la rattacher au IIIe Reich
  2. Un État slave artificiel est créé à partir de la Bohème-Moravie et de la Slovaquie: la Tchécoslovaquie. Sur les frontières du «quadrilatère de Bohème», dans les monts Sudètes, il compte une importante minorité germanophone (Hitler ne va pas tarder non plus à s’en occuper). La Slovaquie compte elle-même d'importantes minorités hongroises et polonaise.
  3. Au Sud, Croates et Slovènes sont rattachés à la Serbie pour former une fédération hétérogène des Slaves du Sud, la Yougoslavie.
  4. La Pologne ressuscitée récupère la région de Cracovie.
  5. L'Italie récupère le Trentin et l'Istrie, y compris le port de Trieste.

C) Sort de la Hongrie: Traité de Trianon

Près d’un an plus tard, les vainqueurs de la Grande Guerre signent au Trianon un traité de paix avec la Hongrie le 4 juin 1920. La nouvelle Hongrie est amputée des deux tiers de son territoire et trois millions de Hongrois se retrouvent à l'extérieur, dont la plus grande partie en Roumanie.