Lieu et date |
Personnages |
Château de Laxenburg, Laxenburg Printemps 1854 |
François-Joseph, Élisabeth, Sophie, Comtesse Esterházy-Liechtenstein, la Mort et serviteurs |
La scène 8 parle du protocole qui écrase Elisabeth et approfondit les rapports avec Sophie et François-Joseph. Ce qu’on lui demande, c’est de «briller». Mais il ne faut pas oublier que nous sommes en pleine lune de miel ce que la scène ne met pas en évidence car cette information fait partie de la culture générale du public-cible de la création.
A) À Laxenburg
Laxenburg, une résidence d’été de la Cour, est un château reconstruit sous le règne de Marie-Thérèse, au cœur d’un parc de deux cent cinquante hectares. L’ensemble a l’exotisme des jardins à l’anglaise, enrichi de fabriques, de grottes et de cascades qui avaient été très à la mode dans la seconde moitié du XVIIIème siècle. Mais le goût pour la redécouverte du style gothique est également à l’honneur avec, dressé sur une petite île, un château imitant l’architecture médiévale, avec tours de guet et vitraux. Elisabeth adore.
Dans ce décor romantique, loin des regards, dans une nature apaisante, elle reprend espoir, l’espoir d’une vie simple avec son mari. Hélas! elle va vite perdre ses illusions, car François-Joseph, premier fonctionnaire de son Empire, ne s’accorde aucune détente. Chaque matin, il part pour Vienne, travailler comme toujours, et ne revient que le soir avec, comme seule exception, une chasse de temps en temps, où le couple disparaît dans les bois, mais toujours suivi, à distance, d’un personnel chargé de sa sécurité. Un empereur qui a été victime d’un attentat ne peut se promener seul.
Elisabeth va dans ces premiers mois souffrir de ne pouvoir être seule avec l’Empereur, que tout soit en permanence organisé. Elle a 16 ans et il y a un an elle grimpait aux arbres. Elle passe d’une liberté totale – induite par son père – à une prison de haute sécurité.
Mais le problème est simple: son mari est l’Empereur d’Autriche. Rappelons qu’il ne devrait pas l’être mais que son oncle a dû abdiquer – car sans Metternich, il n’avait pas le niveau – et que son père est totalement incapable d’assumer cette fonction écrasante. Pour sauver l’Empire, on l’a bombardé à 18 ans à ce poste. Il est en porte-à-faux en essayant de rester neutre dans la guerre de Crimée, son armée est trop faible. Et il n’y a pas d’héritier si il lui arrivait quelque chose: il n’a pas d’enfant et ses frères sont très jeunes et n’ont pas été formés. Au sens du XIXème siècle, il est « logique » que Sophie – dont la vie a été décidée au Congrès de Vienne en 1815 – fasse tout pour que son fils « paraisse » comme puissant, en total contraste avec son sacre « improvisé » en exil. Et Elisabeth est un élément fondamental de l’image de l’Empire, son apparence. Si le problème est simple, la question qu’elle induit est tout aussi simple: Elisabeth est-elle la bonne personne? C’est ce que nous avons vu dans la scène 7a.
Il y a quelque chose qui inquiète par dessus tout Sophie: un attentat contre son fils qui lui enlèverait toute solution. Une angoisse irrationnelle? Non.
Le 18 février 1853 à Vienne, un ancien tailleur et forgeron s’était précipité sur François-Joseph qui, depuis un rempart, observait les troupes à l’exercice. Armé d’un couteau à longue lame et à double tranchant, l’homme avait frappé le souverain. Mais un instant avant, un cri de femme avait alerté l’empereur; il avait détourné la tête et la lame avait glissé entre le col de l’uniforme et la boucle métallique de la cravate. À quelques centimètres près, François-Joseph aurait été égorgé. Il avait interdit que l’on exécute son agresseur, un Hongrois nommé János Libényi. La blessure, moins bénigne qu’on ne l’avait cru, avait bouleversé l’opinion et amplifié la popularité de l’empereur, victime du premier attentat contre un Habsbourg. Le monarque avait été sauvé par son uniforme, tout un symbole…
C’est la première tentative d’assassinat d’un Habsbourg!!!! De tous les temps.
C’est une des explications de l’attitude «terrifiante» de Sophie. Mais dans The Crown, c’est souvent la même chose…
Acte I – Scène 8a |
Même si elle a l’impression d’avoir fait un mariage d’amour, Elisabeth doit faire son métier et pour cela, elle doit: obéir, briller et enfanter. Même si elle est en « voyage de noces », en « lune de miel ».
L’Empereur part tôt tous les matins à Vienne pour travailler et revient tard le soir. Malgré cela, Elisabeth ne peut faire de grasse matinée. Dès l’aube, cette jeune femme de 16 ans voit débarquer dans sa chambre la Comtesse Etserházy…
Acte I – Scène 8a |
La Comtesse, accompagnée d’une horde de dame d’honneur, lui apporte religieusement un document où sont consignées les obligations du jour.
Elle est toujours écrasée par le protocole qui lui impose de manger avec des gants à table, la durée du repas est minutée, elle ne peut porter qu’une fois une paire de chaussure et puis doit en faire cadeau à une femme de chambre, …
Le plus pénible pour Elisabeth est de ne jamais pouvoir être seule et de savoir que 229 dames de qualité appartenant au 23 plus prestigieuses familles de l’Empire ont leurs entrées chez elle. Elle doit donc être prête dès l’aube à recevoir tous ces gens dans le plus grand cérémonial.
Même quand elle est avec François-Joseph, elle n’est jamais seule, pour des raisons de sécurité. Rappelons la tentative d’assassinat moins d’un an auparavant.
Alors, pendant ce premier été, Elisabeth va se révolter et provoquer des « scandales »…
B) Scandales
B.1) Premier scandale
Acte I – Scène 8a |
Elle veut boire de la bière à table! REFUSÉ: elle n’est pas dans une taverne bavaroise. Elle vit maintenant à Vienne!
B.2) Deuxième scandale
L’Impératrice, élevée au contact bénéfique de la nature, veut une baignoire. Elle veut prendre un bain tous les jours. REFUSÉ: même s’il est difficile de comprendre au jourd’hui pourquoi, Sophie lui répondra que cela montre qu’elle est pour l’anarchie. Se laver nue ferait s’écrouler l’Empire. Il y a assez de femmes de chambres pour apporter cuvettes, brocs et pots divers…
B.3) Troisième scandale
Acte I – Scène 8a |
Pendant son séjour à Laxenburg, elle se rendra à Vienne (15 km) avec une escorte réduite à une seule dame d’honneur pour faire des achats. Elle parle aux vendeuses, qui sont effarées. Elle agit comme si elle tétait la femme d’un notaire. Sophie va être hystérique par rapport à cette attitude et lui faire promettre de ne JAMAIS recommencer. «Je n’ai pas recommencé» confiera l’Impératrice songeuse près de vingt années plus tard à son carnet.
B.4) Quatrième scandale
Elle n’est jamais seule avec son mari. Veut-elle prendre le thé avec François-Joseph le jour où il rentre moins tard que d’habitude? Un rond de dames obséquieuses les entoure. Veut-elle flâner avec l’empereur sans but précis? Ils doivent se réfugier dans la chapelle où on leur consent un isolement provisoire. Aussi, puisqu’elle ne le voit pas assez, Elisabeth a l’idée de l’accompagner à Vienne. Par ruse, un matin, elle se glisse dans l’équipage, et François-Joseph, ému et amusé, ne s’y oppose pas. Funeste ambition! L’archiduchesse Sophie foudroie sa nièce: se prendrait-elle pour l’épouse d’un commerçant, d’un bourgeois, voire d’un petit fonctionnaire ?
En vain sous le ciel bleu,
Je languis, en prison
Les barreaux, rudes et froids,
Insultent ma nostalgie.
Ou un autre dont le titre est un aveu, Nostalgie:
Que m’importe à moi le charme du printemps
Dans ce pays d’exil,
Je me languis de toi, soleil de mon pays,
De vous, rives de l’Isar,
De vous, arbres sombres,
Et de toi, fleuve vert,
Qui doucement la nuit, dans mes rêves,
M’a chuchoté un au revoir.
Elisabeth est en exil.
Le cri Ich gehör nur mir approche…
C) ???
Acte I – Scène 8a |
Même s’il est absorbé par l’affaire de Crimée, l’Empereur se rend compte de l’état dépressif d’Elisabeth et lui promet qu’ils iront se promener tous deux à cheval… sans escorte! Un miracle que le comte Grünne n’approuve pas, sans doute plus pour des raisons de sécurité que pour des questions de convenances. Le parc de Laxenburg est sûr, mais tout de même…
Inutile de dire la joie d’Elisabeth, enfin seule avec son époux dans la journée et pour une échappée sans témoins dans les bois. L’exploit – c’en est un! – sera renouvelé quelques fois, pour le plus grand bonheur des époux amoureux. Elisabeth est heureuse car la mère de l’empereur n’aura finalement pas pu s’opposer à ces escapades…
D) Preuve en deux temps
Mais ces quelques escapades à cheval ne doivent faire oublier le problème principal mis en lumière par cette lune de miel: François-Joseph a beaucoup de difficulté à prendre position entre sa mère et sa femme, entre sa fonction et ses sentiments, entre le paraître et l’être. Sophie crie: « Il faut paraître » et Elisabeth lui répond: «Il faut être». Inconciliable. On revient au dialogue de la scène 7a.
L’un des plus grands historiens allemands, spécialiste de la dynastie des Habsbourg, le Comte Egon Corti (1886-1853) résume laconiquement le drame d’Elisabeth dès Laxenburg: «Il ne s’agit pas d’être mais de paraître et c’est bien là ce qui est pénible »
Même si il a imposé Elisabeth à la cour d’Autriche, il ne peut se passer de sa mère en ces temps troubles. Et en plus, il est convaincu que pour défendre l’Autriche, il doit sacrifier son être à son paraître. Ce qui n’invalide pas son amour sincère pour Elisabeth mais en complique son expression. La « raison d’état » est prioritaire…
Acte I – Scène 8a |
E) La «révolte»
C’est dans cette logique où Elisabeth se sent abandonnée par l’homme qu’elle aime, qu’elle va commencer à dire non. Et agir concrètement en fonction de ce qu’elle désire: elle retire ses gants à table, remettra ses bottines plus d’une fois et ne se confessera que quand elle le jugera utile. Même si ces refus semblent minuscules, il ne peuvent que le résultat de quelqu’un qui s’est dit: « je ne serai pas que ce que l’on attend de moi. Je serai aussi ce que je veux car je n’appartiens qu’à moi ».
Acte I – Scène 8a
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F) Voyage à Prague et premier enfant
Cette pression ne s’arrête – momentanément – que pour son premier voyage officiel. Ce sera à Prague. Rappelons que Prague est l’une des premières villes où en 1848 des révoltes avaient éclaté contre le pouvoir central de Vienne. Il ne s’agit pas d’un voyage facile.
Sophie voudrait qu’il s’y rende seul, mais ce serait une grave erreur politique: les Tchèques seraient vexés de ne pas rencontrer l’impératrice, qui est aussi leur souveraine. Sophie a l’heureuse idée de ne pas être du voyage et cette bonne nouvelle est accompagnée d’un appréciable complément: la première dame d’honneur de l’impératrice, la sévère comtesse Esterházy-Liechtenstein, a le bon goût de se sentir trop âgée pour ce périple dans les chaleurs estivales. Elle se fait remplacer par la troisième dame d’honneur. Une aubaine! Et encore mieux: face à sa mère qui persiste à lui démontrer que la présence d’Elisabeth ne s’impose pas, l’empereur tient bon, pour la première fois: Elisabeth accompagnera son époux! Il le veut autant par amour que par stratégie politique: les terres de l’Empire doivent connaître l’impératrice. Nous verrons dans la scène 9 que Sophie s’opposera une autre fois à ce qu’Elisabeth accompagne son mari, et cette fois la conséquence sera terrible.
Le départ est fixé le 3 juin en direction de Prague, dans un train spécial. Même si ce voyage impose un cortège de personnes indispensables, des aides de camp aux femmes de chambre en passant par un médecin et un prêtre, Elisabeth est heureuse d’un voyage officiel où elle peut être elle-même; elle ne se sent pas épiée, elle est accompagnée. Nuance! Et elle est avec son mari. Elle conquiert les cœurs et amorce une courbe de popularité personnelle très impressionnante et révélatrice: elle sera adorée en Europe centrale et d’autant plus mal aimée et critiquée en Autriche, particulièrement à Vienne. François-Joseph est enchanté. Que les Tchèques et les communautés allemandes rivalisent d’hommages est un succès politique, d’autant plus que la souveraine a très vite appris quelques mots de tchèque, une attention fort appréciée.
Cependant, le rythme du voyage des amoureux est épuisant et Elisabeth, spontanément et foncièrement attentive aux détresses, court de couvent en orphelinat, d’hôpital en pensionnat, acclamée et saluée partout. Parades, défilés, spectacles, discours des notables: le programme, chargé, se veut exemplaire, dans un esprit de réconciliation. Au bout de quinze jours, l’illustre visiteuse, bien que très heureuse, est épuisée et victime de malaises. Elle regagne Vienne, mais c’est une mauvaise nouvelle car, en l’absence de François-Joseph qui doit continuer son voyage vers Cracovie et la Galicie, sa mère ne va pas se priver de critiques…
La pâleur du visage et les yeux cernés d’Elisabeth finissent par inquiéter Sophie qui fait venir le médecin de la Cour, le Dr Seeburger. L’examen est plus que rassurant: l’impératrice est enceinte! La merveilleuse nouvelle est transmise au plus vite à l’empereur. Mais ce début de grossesse fournit un argument à l’archiduchesse pour intervenir de nouveau, sous le moindre prétexte. Elle entend veiller sur l’avenir de l’Empire et personne ne l’en empêchera! Cette procréation est son affaire! Son fils absent, Sophie représente l’autorité indiscutable. L’enfer reprend.
Comment échapper à l’archiduchesse? Dans la journée, l’impératrice a l’idée de s’installer dans sa «ménagerie» qui l’a suivie depuis Possenhofen, ce qui scandalise ses dames d’honneur. Bonne nouvelle, elles s’éloignent de l’impératrice qui transforme la Cour en cirque. Les animaux, voilà son monde. Un chien sur ses genoux, entourée d’autres chiens, Elisabeth reprend ses habitudes bavaroises. Même à table, elle les épouille, écrasant tiques et puces au milieu des assiettes! Son entourage est horrifié! Sophie, honteuse du sans-gêne de sa belle-fille, envoie un courrier aussi alarmant que burlesque à son fils: «Je ne pense pas que Sissi devrait s’occuper de ses perroquets car si, dans les premiers mois, une femme enceinte regarde trop les animaux, les enfants risquent de leur ressembler.»
Dès le début de la grossesse, Sophie part en guerre!
Alors que François-Joseph a rejoint Elisabeth enceinte à Bad Ischl, à la fin de son voyage officiel, Sophie décide de rentrer à Vienne. Elisabeth s’inquiète de ce départ qui ne lui ressemble pas.
Quand elle le découvre, elle est d’abord incrédule: sa belle-mère dirige des travaux pour aménager une chambre d’enfant à côté de ses propres appartements, au lieu de laisser l’héritier ou l’héritière proche de ses parents.
Elisabeth est effondrée: sa belle-mère ne s’est effacée que pour mieux s’arroger des droits de future grand-mère. Accablée, elle s’enferme et demande à François-Joseph de raisonner sa mère: l’enfant à naître n’est pas le sien, il est le leur! L’impératrice est surtout stupéfaite que, sept mois avant sa naissance probable, le bébé soit déjà l’otage de l’archiduchesse. Il y aura de nombreuses discussions de ce type entre Elisabeth et François-Joseph, jusqu’à ce qui sera un ultimatum, l’objet de la scène 12.
Autant l’empereur avait tenu tête à sa mère pour le voyage chez les Tchèques, autant, dans cette question du choix de l’endroit de la nurserie, beaucoup plus sensible, il cède.
Tout cela est très difficile pour l’Impératrice, surtout que la situation politique submerge l’Empereur de travail.