3.
1898-1918
Fin du règne
de François-Joseph Ier

 

 4.1.3.
1927-1933
Démocratie parlementaire
attaquée


 4.2.
1934-1938
État corporatif
chrétien-allemand

 5.
1938-1945
La paranthèse
allemande et nazie

L’insurrection des travailleurs viennois le 12 février 1934 fut, avec la guerre d’Espagne, la seule résistance armée à l’avènement du fascisme. Son échec fait partie des tragédies du 20e siècle.

Décrire l’histoire du mois de février 1934 en Autriche est une chose complexe, comme parler d’une cicatrice non refermée. Certains historiens dénomment ces quelques jours – du 12 au 15 février 1934 – «le soulèvement des sociaux-démocrates» ou du «soulèvement du Schutzbund» gommant totalement l’aspect de «guerre civile». Mais il faut ré-inscrire ces «journées agitées» dans leur époque et il semble clair qu’un réel processus de guerre civile avait été enclenché depuis des mois par les sociaux-chrétiens et, comme nous l’avons vu, leurs alliés politiques du moment les Heimwehren.

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Ludwig Bernaschek
© www.https://12februar1934.at

Comme nous l’avons vu (), début 1934, le gouvernement du chancelier social-chrétien a déjà mis entre parenthèses le parlement, a appelé au gouvernement des représentants des milices fascisantes Heimwehren. Rappelons aussi que dans l’autre camp, les responsables du Parti social-démocrate sont restés très immobiles, malgré quelques rares et molles protestations.

Quel est l’élément déclencheur? Le 11 février 1934, Ludwig Bernaschek, secrétaire-adjoint du Parti social-démocrate et responsable du Schutzbund de Haute-Autriche, prévient personnellement Otto Bauer (qui est entre autre le théoricien de l'austro-marxisme) qu’il a appris que la police fédérale allait intervenir dans les locaux du parti de Haute-Autriche à Linz, avertissant ainsi la «molle» direction du parti que ses camarades résisteront à toute tentative des forces de l’ordre de pénétrer dans leur local. Otto Bauer répond qu’il est totalement opposé à cette réaction. Apparemment les autorités fédérales ont été mises au courant de cet avis, ce qui fragilise évidemment l’éventuelle réaction à Linz.

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L'hôtel Schiff sur la Linzer Landstrasse - 12/2/1934
© DÖW Bibliothek

Le lendemain, le 12 février 1934, tôt le matin, la police fédérale intervient pour chasser les militants ouvriers qui se trouvent à l’Hôtel Schiff de Linz, le siège du Parti social-démocrate.

Comme prévu et annoncé à leurs dirigeants, les militants du Schutzbund répondent en tirant sur la police. Avant son arrestation, Bernaschek réussit à prévenir que les combats ont commencé avec une conséquence immédiate: des membres du Schutzbund de Linz-Urfahr, de Vienne et d’autres localités décident de prendre les armes. Cet embrasement qui va durer entre quelques heures et quatre jours est en fait une guerre civile.

À Vienne, un comité exécutif social-démocrate de six personnes – dont Otto Bauer (le théoricien), Julius Deutsch (président du Schutzbund) et Johann Schorsch (président de la Commission syndicale) – se réunit en urgence dans un appartement. Après deux heures de discussions, ils lancent un appel à la grève générale mais qui ne va pas mobiliser grand monde, la plupart des ouvriers d’usine, tout comme les cheminots, étant au travail. Quelques rares grandes entreprises se mettent en grève. On est loin de l’enthousiasme spontané du 15 juillet 1927.

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Affichage de la loi martiale
© www.https://12februar1934.at

Toute la journée, il règnera dans Vienne une énorme confusion et des tirs vont résonner dans tous les quartiers. Vers midi, le gouvernement fait apposer une affiche décrétant la loi martiale.

En réaction, les Schutzbund occupent les gares de Vienne et s’emparent de quelques commissariats. Ils se replient dans les logements ouvriers de Vienne la rouge qu’ils transforment en forteresse. Des affrontements rudes vont s’y dérouler.

En province, des combats localisés éclatent et sont encore plus violents qu’à Vienne. Les femmes, confinées dans un premier temps à l’intendance et aux renseignements, vont vite devoir faire face aux perquisitions et aux brutalités des Heimwehren.

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Le Karl-Marx-Hof, symbole de Vienne la rouge, après les combats de février 1934
© ÖNB/AKON, Permalink: http://data.onb.ac.at/AKON/AK075_126

Un pas est franchi le jour-même: Dollfuss, Fey et Schuschnigg proclament l’interdiction du Parti social-démocrate, de toutes ses organisations mais aussi des syndicats, confisquant tous leurs biens. Les responsables sont emprisonnés. Le régime est cette fois passé de la «semi-dictature» à la dictature.

Les combats vont durer pendant deux ou trois jours dans certains endroits bien spécifiques: l’armée, la police et les Heimwehren pilonnent par exemple les immeubles ouvriers et procédant à de nombreuses arrestations. Les photos et les récits de l’époque témoignent de la violence des combats: cadavres, blessés, personnes malmenées, militants arrêtés, immeubles éventrés, locaux incendiés. Les militants corporatistes chrétiens et fascisants font preuve d’une rage de revanche inouïe envers Vienne la rouge et ses réalisations.

Pratiquement partout en Autriche, les membres du Schutzbund, en manque d’armes lourdes, sont vaincus. Les ouvriers, très majoritairement, n’ont pas participé aux combats. Mais dans ces combats, il faut noter l’attitude des nationaux-socialistes. Si, dans certaines localités, ils font le coup-de-poing avec les Heimwehren contre les sociaux-démocrates, dans d’autres ils aident les militants ouvriers, les cachent, leur prêtent de l’argent ou soutiennent financièrement les familles ou ailleurs encore ils regardent leurs adversaires s’entredéchirer.

Ces événements vont faire des centaines de morts (chiffre officiel : 314 – chiffre des opposants : plus de 1.500) et un millier de blessés. Dans les jours qui suivent, neuf militants sont pendus dont trois deviennent des martyrs emblématiques de cette révolte: Koloman Wallisch (dont nous avions parlé ci-dessus ()), Karl Münichreiter et Georg Weissel, le commandant du poste des pompiers de Floridsdorf. Mais les arrestations et les condamnations se poursuivent jusqu’à la mi-avril: 7.823 personnes ont été emprisonnées et 1.894 passeront devant un tribunal.

Le ministre de la justice, le social-chrétien Schuschnigg, fait preuve d’une très grande intransigeance. Une fois les militants ouvriers vaincus, les autorités déploient quatre croix potencées sur le monument à la République sur le Ring viennois, font draper de blanc les bustes de trois sociaux-démocrates Jakob Reumann, Ferdinand Hanusch, Viktor Adler et y collent un portrait de Dollfuss.

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«Das Denkmal der Republik» (ou Monument de la République)
Commémoration à Vienne la création de la République Autrichienne le 12 novembre 1918.

© Creative Commons

Ce monument rend hommage à trois figures majeures de Vienne la rouge:

(1853-1925)
Premier maire social-démocrate de Vienne
mettant en eouvre une politique très sociale
symboliques de Vienne la rouge.

(1852-1918)
Fondateur en 1888 du Parti ouvrier
social-démocrate d'Autriche (SAPÖ),
il le préside jusqu'à sa mort.

(1866-1923)
Ministre du bien-être social 1918-1920, 1er directeur de la Ch. du travail, symbole de la législation sociale de Vienne la rouge

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«Das Denkmal der Republik» - 13 février 1934
© ÖNB, Bildarchiv und Grafiksammlung


Comme le montre la photo ci-contre, ce monuùmnet fut emballé et on y ajouta un portrait de Dollfuss.

Cela peut paraître banal ou annecdotique, mais il n'en est rien. Effacer l’œuvre de Ferdinand Hanusch, artisan de la législation sociale autrichienne ou celle de Vienne la rouge ne se limite pas à lui recouvrir le visage d’un sac blanc, mais consiste à anéantir tous les acquis sociaux dont les salariés autrichiens pouvaient encore profiter jusqu’à la fin 1933.

La hargne des bandes armées et de l’Armée fédérale se lit non seulement dans l’acharnement contre les personnes mais aussi contre les logements ouvriers de Vienne, symboles de la politique sociale de la municipalité de Vienne la rouge, dont le maire social-démocrate Karl Seitz, arrêté dans son bureau dès le 12 février, a été remplacé par le social-chrétien Richard Schmitz nommé commissaire fédéral pour Vienne et assisté de Karl Ernst Winter, nommé maire adjoint.

L’expérience de l’Autriche de 1918 à 1934 est riche d’enseignements, tant dans ses différentes étapes que dans son aboutissement. La fin héroïque de Vienne la Rouge contraste avec l’effondrement en 1933 du mouvement ouvrier allemand, social-démocrate et communiste. Après la défaite de 1934 vint, en mars 1938, l’Anschluss (rattachement à l’Allemagne nazie). L’austrofascisme lui avait ouvert la voie.