4.
1918-1938
L'Autriche de
l'entre-deux guerres

 

 


 5.2.
1938-1945
L'Autriche dans
le IIIème Reich

 6.
1945-2022
L'Autriche
contemporaine

A) 12 février 1938 : le piège de Berchtesgaden

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Photo de la vue depuis le salon d'Hitler au Berghof

L’ambassadeur allemand en Autriche, Franz von Papen, est rappelé par Hitler à Berlin. Il suggère à Hitler d’«inviter» Schuschnigg dans au Berghof à Berchtesgaden l'une des résidence pricnipales du Führer.

Hitler - qui a réalisé lui-même les plans d'agrandissement du lieu - voulait impressionner ses invités par un tour de force technique permettant une vue imprenable sur les montagnes des alentours. La baie vitrée était en effet gigantesque, on parle de 8m de long sur 4 m de haut, et était composée de 90 vitres! «J'ai fait construire la maison autour de cette vitre.» déclarait Hitler.

Schuschnigg est convoqué sans ménagement par le Fürher et il s’y rend le 12 février 1938. Signalons que ce lieu symbolique où Hitler a pris ses plus grandes décisions, est situé à quelques centaines de mètres de la frontière autrichienne. Cette entrevue est un piège, car Hitler lance un véritable ultimatum à Schuschnigg.

«Vous avez tout fait pour empêcher une politique amicale […]. L'histoire de l'Autriche n'est qu'un acte ininterrompu de haute trahison. […] Ce paradoxe historique doit maintenant parvenir à son terme, qui devrait être depuis longtemps échu. Et je puis vous l'affirmer ici, monsieur Schuschnigg : je suis absolument résolu à ce que cela cesse. Le Reich allemand est l'une des grandes puissances et personne n'osera élever la voix s'il décide de régler le problème de ses frontières.»

Adolf Hitler au Chancelier autrichien Kurt Schuschnigg

 

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La Une du «Wiener Bilder» du 20 février 1938
Reportage sur la rencontre Hitler-Schuschnigg du 12 février

Dans l’après-midi, Hitler lui présente un accord à signer! Il lui précise que cet accord n’est pas négociable… Schuschnigg perd pieds, lui dont l’État Autoritaire Corporatiste Chrétien se construit depuis quatre ans en dehors de toute réalité tant en politique intérieure que dans son rapport avec son voisin, l’Allemagne nationale-socialiste. Surtout depuis qu’ils ont perdu la protection de l’Italie mussolinienne. Cette accord impose une liberté d’action politique aux nationaux-socialistes en Autriche et une plus large participation de leurs responsables au gouvernement autrichien. Lors d’une seconde entrevue du chancelier autrichien avec Hitler, celui-ci le menace explicitement d'une intervention militaire en cas de refus: Schuschnigg finit par céder, ce qui inspire à Hitler le commentaire que «les canons parlent toujours le bon langage».

Dans les trois jours, le gouvernement autrichien annonce l'amnistie générale des nazis emprisonnés, y compris des assassins du chanceleir précédent, Engelbert Dollfuss, et la nomination de Seyss-Inquart – un avocat autrichien national-socialiste partisan de l’Anschluss - comme Ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, poste oh combien stratégique. Mais on s’en prend aussi à l’armée: le général de l’état-major autrichien Alfred Jansa doit quitter son poste et une centaine d’officiers allemands rejoignent l’armée autrichienne et inversement. En «échange» de tout cela, le IIIème Reich confirme les Juli-Abkommen () du 11 juillet 1936.

Le piège de Berchtesgaden signe la fin prochaine de la pathétique expérience corporatiste chrétienne mais aussi très clairement de l’État autrichien indépendant. Au moment de l’accord de Berchtesgaden, de nombreux catholiques, de nombreux «Vaterländische» sont déjà passés au Parti national-socialiste, officiellement ou encore officieusement. N’oublions pas non plus qu’à ce moment le gouvernement Schuschnigg et le Ständestaat ne disposent plus d’aucune crédibilité dans l’opinion.

Les derniers opposants de gauche (organisations ouvrières clandestines et les communistes) s’investissent totalement mais sont dans une sorte de porte-à-faux, comme le montre un tract diffusé dans des entreprises viennoises:

«Nous ne nous battons pas pour le système Dollfuss-Schuschnigg, pas pour conserver le manque de liberté actuel, mais pour une Autriche véritablement libre et indépendante! Protestez partout contre cette politique qui désarme les masses et les conduit à la capitulation devant le IIIe Reich!»

Tract diffusé dans des entreprises viennoises - février 1938

B) Les jours de l’Autriche sont comptés

Le 18 février 1938, les SA défilent en uniforme à Linz avec d'immenses drapeaux à croix gammée. Malgré l'acceptation de l'«accord», Hitler durcit encore le ton lors d'un discours devant les membres du Reichstag, le 20 février 1938:

«Plus de dix millions d'Allemands vivent dans deux des États qui ont une frontière commune avec nous. Pour une puissance mondiale, il est intolérable de savoir qu'à ses côtés des frères de race subissent à chaque instant les plus cruelles souffrances parce qu'ils se sentent solidaires de la nation tout entière, en union avec elle, avec sa destinée et sa Weltanschauung. C'est au Reich allemand de protéger les peuples germaniques qui ne sont pas en mesure d'assurer, par leur propre effort, le long de nos frontières, leur liberté politique et spirituelle.»

Discours d'Hitler au Reichstag - 20 février 1938

 

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Discours de Schuschnigg du 24 février
© «Das interessante Blatt» - Hebdomadaire - 3 mars 1938

Le 24 février 1938, Schuschnigg répond à Hitler par son propre discours. Il le termine par des mots restés célèbres en Autriche «Bis in den Tod Rot-Weiss-Rot! Österreich!» (Rouge-Blanc-Rouge, à la vie et à la mort! Autriche!).

Ce discours ferme de Schuschnigg a surpris et est plutôt mieux reçu par l’opinion que d’habitude. Dans le cadre de cette étude dramaturgique sur le musical Elisabeth, il est fondamental de souligner que ce discours sera instrumentalisé dans l’après guerre pour redonner une virginité à cette Autriche qui avait été incorporée au IIIème Reich durant la guerre et a … collaboré avec ce terrible régime.

La une de la Neue Freie Presse du lendemain retranscrit la situation schizophrénique du peuple autrichien: «Un grand Autrichien, un bon Allemand a parlé hier. C’était une déclaration pour une Autriche libre, allemande, chrétienne et pour la mission allemande de notre État».

Pourquoi ce changement suite au discours de Schuschnigg? En fait, ce dernier sursaut ne vise pas à sauvegarder une «identité autrichienne» mais simplement à tenter de défendre un État autrichien indépendant du Reich nazi et de ses brutalités. Toutes les familles politiques autrichiennes non nationales-socialistes savent que si l’Autriche est incorporée au Reich, elles disparaîtront immédiatement.

Ils ont face à eux, les nationaux-socialistes autrichiens récemment réhabilité, mais leur point faible est que leur parti national-socialiste autrichien est bien plus hétérogène que le monolithique rouleau-compresseur parti nazi allemand. Deux événements sont responsables de ces clivages internes: l’échec du putsch de juillet 1934 () et la signature des Juli-Abkommen () du 11 juillet 1936.

S’ensuit un ensemble de remises en cause internes. Nombreux sont ceux qui refusent le leadership de Josef Leopold. La partie catholique du mouvement, regroupée autour d'Arthur Seyss-Inquart, et la fraction de Carinthie (länder qui regroupe 7,2% des militants de tout le NDSAP) parviennent ensemble à obtenir d’Hitler qu’il destitue Josef Leopold en février 1938.

C) L’aveuglement de Schuschnigg

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Le drapeau à croix gammée agité le 19 février 1938 à la mairie de Graz

En février 1938, l’ambitieux Arthur Seyss-Inquart est en plus nommé Ministre de l’Intérieur autrichien par Schuschnigg, après qu'Hitler l’ait menacé d'actions militaires contre l'Autriche s’il s’opposait à cette nomination. Seyss-Inquart se lance dans un tournée de propagande politique à travers le pays ayant pour but premier de rallier les gens à ses idées. La ville de Graz est alors un des fiefs des nazis autrichiens. Des manifestations à grande échelle s’y déroulent entre le 19 et le 24 février 1938, avec des milliers de partisans défilant dans le centre-ville avec des drapeaux à croix gammée, chantant des chansons nazies et distribuant des tracts. Leur but est simple: ils veulent forcer le gouvernement autrichiens à intervenir contre eux, ce qui aurait donné une justification aux forces allemandes pour intervenir et les défendre. Avec l'accord du maire de l'époque, Hans Schmid, le 19 février 1938, le drapeau à croix gammée a même été hissé à la mairie de Graz. Schmid a été immédiatement démis de ses fonctions par le gouverneur Karl Maria Stepan, un farouche opposant aux nazis.

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Des milliers de nazis ont manifesté au centre-ville de Graz

Et même si on est une semaine à peine après l’entrevue de Berchtesgaden avec Hitler, Schuschnigg a décidé d’envoyer des policiers et des troupes de Vienne à Graz, puisque de nouveaux rassemblements y étaient à prévoir pour le week-end. Toutes les routes d'accès ont été bouclées et contrôlées et des avions militaires ont survolé la ville. Les nationaux-socialistes de Graz se sont dégonflés et les rassemblements SA ont été étonnamment annulés. Pour cette tentative de soulèvement, même si elle a avorté, Hitler offrira à la ville de Graz le titre honorifique officiel de «Ville du soulèvement populaire», le 24 juillet 1938. Il faut dire qu’à ce moment-là, Graz sera devenue une ville du IIIème Reich suite à l’Anschluss. Mais n’allons pas trop vite…

Après ce soulèvement avorté, pour finir de tout perturber, le Ministre de l’Intérieur national-socialiste autrichien Seyss-Inquart se rend à Graz pour un meeting le 1er mars 1938, où il autorise le port de la croix gammée nazie et aussi que l’on effectue le «salut nazi». Quelques jours plus tard, il ira jusqu'à autoriser lors d'un discours radiophonique, le salut hitlérien, l’hymne national allemand et le Horst-Wessel-Lied (l’hymne officiel du parti nazi allemand) ainsi que les drapeaux à croix gammée. La situation est plus que grave et quand on est un ministre officiel autrichien, surtout le Ministre de l’intérieur, avec de telles proclamations, on s’éloigne définitivement de la politique officielle de «Deuxième État allemand» défendue par Schuschnigg.

Dans les premiers jours de mars 1938, le chancelier autrichien recherche le soutien de la classe ouvrière au travers des syndicats et du Parti social-démocrate, dont il a pourtant maintenu l'interdiction prononcée par Dollfuss après la répression de 1934; cela n'empêche pas les socialistes de proclamer leur soutien au gouvernement pour préserver l'indépendance du pays. Ils rencontrent Schuschnigg le 3 mars 1938. Leurs revendication sont simples et concrètes: l’égalité des droits politiques avec les nationaux-socialistes; des élections libres au sein de la Confédération syndicale; l’autorisation d’éditer un quotidien; des garanties concernant une réforme de la sécurité sociale.

Schuschnigg ne comprend toujours pas la contradiction politique dans laquelle il s’obstine à rester: les nationaux-socialistes, ses adversaires les plus acharnés, sont libres de parole et de mouvement, alors qu’il continue à maintenir dans la semi-clandestinité et sans moyens d’action réels celles et ceux qui pourraient le soutenir et qui défendent comme lui l’indépendance de l’Autriche. Dans la soirée du 7 mars 1938 se déroule à Vienne la première réunion publique «non interdite» du mouvement ouvrier depuis janvier 1934. La réunion confirme la série de revendications présentées à Schuschnigg le 3 mars.

D) Ultime manœuvre : un réferendum

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Vienne 10 mars 1938
Des partisans du chancelier Kurt Schuschnigg arborant le drapeau du Front patriotique pendant la campagne référendaire en mars 1938.

© Photographe inconnu

Ultime manœuvre pour sauver la situation, le lendemain, le 8 mars, le chancelier Schuschnigg informe le Président fédéral Miklas qu’il a l’intention d’organiser un Référendum le dimanche 13 mars. Cette nouvelle option doit rester secrète jusqu’au discours que Schuschnigg doit faire le lendemain soir à Innsbruck. Schuschnigg en informe aussi son pire ennemi, Seyss-Inquart. Même si ce dernier est son Ministre de l’Intérieur, cette décision reste incompréhensible car Seyss-Inquart va immédiatement mettre au courant Berlin de ce qui va se passer à Innsbruck.

Le lendemain, le 9 mars 1938, à Innsbruck, Schuschnigg révèle sa volonté d’organiser un Référendum. Pour continuer dans les maladresses, le question est particulièrement mal choisie : «Es-tu pour une Autriche libre et allemande, indépendante et sociale, chrétienne et unie?». Que font les non-chrétiens ? Ils votent non, et donc oui à Hitler… Ou alors ils se parjurent en votant pour une Autriche chrétienne. Jusqu’au bout l’illusion et la confusion sont entretenues. Des jeunes distribuent un tract dans un arrondissement de Vienne dans lequel ils appellent à voter «oui» au référendum prévu pour le 13 mars, poussant à dépasser ses incohérences : «L’heure est grave… La jeunesse ouvrière veut une Autriche libre et sociale».

Le 10 mars 1938, à Berlin, Hitler rappelle le Général von Reichenau en poste au Caire. Lors d’une réunion à la chancellerie, le général Jodl explique les détails de l’opération «Sonderfall Otto», nom de code de l’Anschluss. La 8ème armée allemande est mobilisée. La direction des nationaux-socialistes autrichiens est mise au courant du plan allemand.

À Vienne, Seyss-Inquart impose à Schuschnigg la nomination de trois nouveaux nationaux-socialistes dans le gouvernement (Rheinthaller, Jury et Fischboeck) ce qui – no comment – rassure Schuschnigg, le persuadant que le Plébiscite serait un succès pour l’Autriche.

E) 11 mars 1938: le dernier jour de l’Autriche indépendante

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Arthur Seyss-Inquart
quand il devient chancelier le 13 mars 1938

Le 11 mars 1938, Schuschnigg est réveillé, à 5h30 du matin, par un appel téléphonique du chef de la police autrichienne qui lui annonce la fermeture de la frontière à Salzbourg, l'arrêt des transports ferroviaires entre l'Allemagne et l'Autriche et des concentrations de troupes allemandes.

À 10 h, Arthur Seyss-Inquart prévient le chancelier autrichien qu’Hitler exige l’annulation du Plébiscite sous peine d'invasion militaire. Il s’agit d’un ultimatum expirant normalement à midi, avant d’être reporté jusqu’à 14h. A cette heure, Schuschnigg accepte d'annuler le Plébiscite. Prévenu de cette décision par Seyss-Inquart, et après avoir conféré avec Hitler, Hermann Goering rajoute de nouvelles exigences: la démission de Schuschnigg et son remplacement par Seyss-Inquart. Il demande également à ce dernier d'envoyer, dès sa nomination, un télégramme demandant aux autorités allemandes d'envoyer des troupes en Autriche pour y maintenir l'ordre.

Goering fait pression sur Seyss-Inquart pour que tout le gouvernement Schuschnigg démissionne. Ce dernier présente sa démission au Président autrichien Miklas qui, dans un premier temps, la refuse, puis finit par l’accepter mais exclut de nommer Seyss-Inquart chancelier. Goering se rend chez Hitler, dont il obtient, après une demi-heure de discussion, qu'il donne l'ordre à la 8ème armée d'entrer en Autriche à l'aube du 12 mars.

Mis sous pression par Goering et Seyss-Inquart toute l’après-midi, le Président Miklas ordonne à Schuschnigg de faire un discours à la radio pour protester contre les demandes allemandes et informer le monde que l’Autriche cède à la force. À 19 h 45, Schuschnigg fait son discours d’adieu à la radio.

«Le gouvernement allemand a remis aujourd'hui au président Miklas un ultimatum lui ordonnant, dans un délai imposé, de nommer au poste de chancelier une personnalité désignée par le gouvernement allemand ; en cas de refus, les troupes allemandes envahiraient l'Autriche. […] Le président Miklas m'a demandé de faire savoir au peuple d'Autriche que nous avons cédé à la force parce que nous refusons, même en cette heure terrible, de verser le sang. Nous avons donc décidé d'ordonner aux troupes autrichiennes de n'opposer aucune résistance. Je prends donc congé du peuple autrichien, en lui adressant cette formule d'adieu allemande, prononcée du plus profond de mon cœur: Dieu protège l'Autriche.»

Kurt Schuschnigg à la radio - le 11 mars 1938


Suite à cette annonce, la foule se déchaîne à Vienne, brisant les vitrines des commerces appartenant à des Juifs ou molestant ceux-ci; selon un journaliste témoin des faits, «la ville se transforme en un cauchemar peint par Jérôme Bosch. […] Ce qui se déchaîne à Vienne est un torrent d'envie, de jalousie, d'amertume, d'aveuglement, une malveillante envie de revanche.»

À 20h15, Seyss-Inquart – qui quelques heures auparavant était encore Ministre de l’Intérieur – intervient à la radio en précisant qu’il ne saurait être question d’opposer une quelconque résistance à l’Armée allemande, «même de la part de la force publique». Dans les heures suivantes, les nationaux-socialistes autrichiens s’emparent des ministères, des gouvernements provinciaux, des radios.

Le refus du président Miklas de constituer un gouvernement nazi dirigé par Seyss-Inquart et l'absence d'un télégramme d'appel à l'aide venant de celui-ci mettent Hitler hors de lui: à 20 h 45, il donne formellement l'ordre d'invasion.

Mais pour terminer cette terrible journée, le Président Miklas se résigne à 23 heures à nommer Seyss-Inquart comme chancelier. Hitler est enfin parvenu à ses fins. Il lui aura fallu quand-même près de 4 ans depuis ses premières envies d’annexion de l’Autriche en 1934 () que Mussolini avait fait avorter. Cette fois, Hitler s’est assuré la bienveillance de Mussolini qui «a accepté toute l’affaire de façon très amicale» et qui «envoie ses amitiés» si l’on en croit une lettre personnelle de ce dernier à Hitler.

F) 12 mars 1938: le premier jour de l’Autriche annexée

Le 11 mars 1938 à 5h30 du matin, les troupes de la Wehrmacht franchissent la frontière austro-allemande. Elles ne rencontrent aucune résistance de la part de l’armée autrichienne. Bien au contraire: elles sont accueillies par des acclamations de la population, des «Heil Hitler», des drapeaux nazis et des fleurs. Après les unités motorisées, l'infanterie entre en Autriche, non en formation de combat, mais en défilant avec drapeaux et musique militaire. Pour un officier, «jamais des troupes allemandes n'ont été accueillies aussi chaleureusement depuis le défilé triomphal de Bismarck lors de la fondation du Reich». 105.000 militaires assistés de 16.000 forces de police sont engagés dans cette invasion, ainsi que des unités de la SS et de la Gestapo.

Le 13 mars 1938, à midi, Hitler se met en route pour Braunau, son village natal autrichien, où il s’arrête vingt minutes avant de continuer vers Linz. En raison de la foule amassée sur son passage, il n'y arrive que vers 19h30 et y reçoit un accueil enthousiaste; lorsqu'il y prend la parole d'un balcon de l'hôtel de ville, il est acclamé par près de 80.000 autrichiens. Bizarre réaction pour un pays envahi…

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Hitler à Linz (13 mars 1938)
Hitler, à la tête d'un cortège, traverse Linz. Les rues sont bordées de nombreuses personnes saluant.
© Õsterreichische Nationalbiblothek

Le 14 mars 1938, Hitler quitte Linz pour se diriger vers Vienne à 20km/h afin de satisfaire la foule. Peu avant 18h, le Führer pénètre à Vienne par la Ringstrasse et se rend à l'hôtel Impérial pour y rencontrer les membres du nouveau gouvernement dirigé par Seyss-Inquart. Bien que la foule ait été avertie que Hitler était trop fatigué pour prendre la parole, des milliers de personnes restent massés à l'extérieur de l'hôtel: Hitler adresse cependant à la population un bref discours qu'il conclut par:

«Personne ne pourra jamais diviser à nouveau le Reich allemand tel qu'il existe aujourd'hui.»

Hitler - Vienne - le 14 mars 1938

 

Scandale théâtral en 1988

La pièce de théâtre Heldenplatz (Place des Héros) créée le 4 novembre 1988 au Burgtheater de Vienne dans le cadre des 50 ans de l’Anschluss et en pleine affaire Kurt Waldheim. Elle est le plus grand scandale théâtral de l'histoire de la Deuxième République autrichienne, beaucoup d'hommes politiques et de puissants relais d'opinion réclamant l'interdiction de cette œuvre.

Le thème est simple: le suicide d'un vieux professeur juif de retour dans la capitale autrichienne après avoir immigré à la veille de la Seconde Guerre mondiale.

L’auteur Thomas Bernhard, au travers de ses personnages, se livre à une critique, d'une violence extrême, d'une Autriche plus que jamais «antisémite», d'une Autriche où il ne pouvait «écouter Beethoven sans penser à Nuremberg», où «il ne prévoyait pas que les Autrichiens après la guerre seraient beaucoup plus haineux et encore plus antisémites qu’avant la guerre».

Il faut dire que l’Autriche, à l’époque, se camoufle encore dans la VICTIMISATION. Cette même victimisation qui amènera à la création du musical Elisabeth.

Le lendemain, le 15 mars 1938, au milieu de la matinée, près de 250.000 personnes se dirigent vers la Heldenplatz de Vienne, où Hitler arrive vers 11h et reçoit un accueil triomphal de la part de la foule rassemblée sur la place et ses alentours. Cette manifestation planera sur la mauvaise conscience autrichienne pendant toute la Seconde République. Il est très clair que la foule autrichienne présente ovationne Hitler. Il sera très difficille à la fin de la 2ème guerre mondiale, d'affirmer que le peuple autrichien a été contraint à la collaboration par Hitler. Et pourtant, cela va fonctionner. Et le peuple autrichien, dans sa très grande majorité va y croire juqu'à la fin des années '80 et au début des années '90. Nous y reviendrons…

Par la suite, Hitler commentera cet épisode:

«Certains journaux étrangers ont prétendu que nous nous sommes abattus sur l'Autriche en employant des méthodes brutales. […] Quand j'ai franchi la frontière, j'ai été submergé par un flot d'amour tel que je n'en avais jamais connu. Nous ne sommes pas arrivés en tyrans mais en libérateurs…»

Hitler

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Adolf Hitler à Vienne, le 15 mars 1938, après l'annexion de l'Autriche:
il proclame devant une foule enthousiaste le retour de son pays natal dans l'empire allemand.

© Rue des Archives/©Suddeutsche Zeitung/Rue des Arc

G) 13 mars 1938 : début de la réunification de l’Autriche au Reich allemand

Après cette invasion bien accueillie, le dimanche 13 mars 1938 on passe aux affaires juridiques. Une loi organisant la réunification de l’Autriche au Reich allemand, rédigée par un haut fonctionnaire allemand, est proposée au nouveau gouvernent autrichien dirigé par Seyss-Inquart. Elle prévoit que l’Autriche deviendra une province du Reich allemand, l’Ostmark. Le Président fédéral Wilhelm Miklas préfère démissionner plutôt que signer le projet d’Anschluss. Mais le Conseil des ministres présidé par maintenant par Seyss-Inquart prend acte que l’Autriche est désormais une province du Reich allemand. À 20 h 30, le «chancelier fédéral» Seyss-Inquart proclame du haut du balcon de la Chancellerie la loi sur l’Anschluss et annonce un plébiscite pour le 10 avril. Ainsi prend fin l’Autriche indépendante. Partout, des molles réactions.

Oubliant son soutien apporté à Dollfuss puis à Schuschnigg, le Cardinal autrichien Theodor Innitzer, déclare dès le 12 mars:

«Les catholiques viennois devraient remercier le Seigneur pour le fait que ce grand changement politique se soit déroulé sans effusion de sang, et prier pour un grand avenir pour l’Autriche. Il va de soi que tout le monde devrait obéir aux ordres des nouvelles institutions.»

Cardinal Theodor Innitzer - 12 mars 1938


Le 18 mars, il publie une déclaration officielle de soutien à l’Anschluss et appose la mention Heil Hitler, resté tristement célèbre, à côté de sa signature !!!

Du côté des sociaux-démocrates, Karl Renner, pourtant père fondateur de la Première République, annonce son soutien à l’Anschluss et déclare le 3 avril qu'il votera favorablement lors du Plébiscite.

La position officielle du Royaume-Uni est exprimée par le Premier ministre Neville Chamberlain, à la Chambre des communes, le 14 mars 1938:

«J'imagine que, suivant les tempéraments des uns et des autres, les événements que nous avons à l'esprit aujourd'hui peuvent susciter des regrets, de la tristesse et peut-être de l'indignation. Ils ne peuvent être vus par le gouvernement de Sa Majesté avec indifférence ou sérénité. Ils auront des conséquences qui ne peuvent encore être mesurées. Leur résultat immédiat est l'intensification du sentiment d'insécurité en Europe. […] Ce n'est pas le moment de prendre des décisions hâtives ou de prononcer des mots imprudents. Nous devons analyser la nouvelle situation rapidement, mais de sang-froid.»

Neville Chamberlain - Chambre des Communes - 14 mars 1938


Devant la Chambre des communes, ce même 14 mars 1938, Winston Churchill met en garde, en vain, contre les conséquences de cette orientation:

«L’Europe est confrontée à un programme d’agressions, un programme soigneusement calculé et minuté, qui se déroule étape par étape, et il ne reste plus qu’un seul choix, pas seulement pour nous, mais aussi pour les autres pays qui se trouvent malheureusement concernés – ou bien se soumettre, comme l’Autriche, ou bien prendre des mesures efficaces pendant qu’il reste encore du temps pour écarter le danger ou, si on ne peut l’écarter, lui faire face.»

Winston Churchill - Chambre des Communes - 14 mars 1938


La France est en pleine crise politique et n’a pas de gouvernement. C'est de l'étranger que s'élèvent des voix autrichiennes contre l'Anschluss: un groupe d'artistes cosmopolites, dont Joseph Roth à Paris, Oskar Kokoschka à Londres et Stefan Zweig à Bath, fondent le mouvement Autriche libre qui regroupera, en 1943, 27 organisations comptant plus de sept mille membres.

La disparition de l’Autriche s’opère donc dans l’indifférence générale, seul le Mexique émet une protestation officielle.

H) 10 avril 1938: référendum-plébicite

Le 13 mars, Hitler charge le Gauleiter de la Sarre, Josef Bürckel, de réorganiser le NSDAP en Autriche et de préparer le référendum «libre et au vote secret» du 10 avril qui doit définitivement sceller le rattachement de l’Autriche occupée à l’Allemagne nationale-socialiste.

Bürckel lance officiellement la campagne à Vienne, en émaillant son discours de nombreuses attaques antisémites, qui sont applaudies avec beaucoup d'enthousiasme; dans les jours qui suivent, les principaux dirigeants nazis allemands, dont Hitler, Göring, Goebbels et Himmler, sillonnent l'Autriche pour soutenir l'annexion. Les nazis jouent sur un double registre, alliant propagande et répression. Pour influencer favorablement le vote des Autrichiens, Göring annonce, le 26 mars, un investissement de soixante millions de marks dans le développement de l'industrie et la modernisation de l'agriculture autrichienne; dans les jours qui suivent, le système de sécurité sociale allemand est étendu à l'Autriche, le paiement d'allocations aux chômeurs est repris par l'Allemagne, dix mille écoliers et vingt-cinq mille adultes y sont envoyés en vacances, et des distributions de nourriture sont organisées pour les plus pauvres.

Mais les méthodes brutales utilisées par avec pour éliminer toute opposition en Allemagne sont immédiatement mises en place en Autriche dans les semaines qui précèdent le Plébiscite. Avant même l’intervention de la Wehrmacht, Himmler et quelques officiers SS arrivent à Vienne dès le 12 mars, bientôt rejoints par quarante mille membres des forces de sécurité allemandes. Durant les quelques semaines qui séparent l’Anschluss du Plébiscite, 70.000 personnes (sociaux-démocrates, démocrates-chrétiens, communistes et autres opposants politiques, Juifs…) sont arrêtées et emprisonnées ou envoyées en camp de concentration.

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Bulletin de vote du 10 avril 1938.
«Êtes-vous d'accord avec la réunification de l'Autriche avec le Reich allemand qui a été promulguée le 13 mars 1938 et votez-vous pour la liste de notre chef Adolf Hitler?»

© Auteur inconnu
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Caricature du magazine Punch (GB) 13 avril 1938
© Punch Magazine (1841-2002)

Le jour du Plébiscite, le 10 avril 1938, certains ne sont pas autorisés à quitter leur résidence pendant les opérations de vote. Dans la plupart des bureaux, il n’est pas question de passer par l’isoloir. Les résultats officiels affichent 99,71 % de «oui» pour 99,73 % de suffrages exprimés, il n’y aurait eu que 11 260 voix contre l’Anschluss. En Allemagne, il y a 99,08% de «oui».

Si les historiens s’accordent sur le fait que le résultat du Plébiscite n’a pas été truqué, le processus de vote n’a été ni libre ni secret: des officiels sont présents à côté des isoloirs et reçoivent le bulletin de vote de la main à la main, contrairement aux pratiques du vote secret, au cours duquel les bulletins sont déposés par les électeurs dans une urne scellée; de larges fentes sont en outre aménagées dans les isoloirs afin de pouvoir constater comment votent les électeurs. Pour l'historien britannique Richard J. Evans, le scrutin fait l'objet de manipulations et d'intimidations massive. L’Autriche fait désormais partie du IIIème Reich et le restera jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Une dernière petite remarque: Schuschnigg va être incarcéré à la prison de Vienne pendant 7 ans. Il y est logé comme un invité de marque. Ainsi, il s'installe avec sa nouvelle épouse, Vera Fugger (née comtesse Czernin), qu'il épouse en prison, en juin 1938. De cet amour naît en prison une fille, en 1941. La même année, lui et toute sa famille sont transférés, avec un traitement spécial, à la prison (Zellenbau) du camp de Sachsenhausen, où il partagea le même baraquement que Herschel Grynszpan, puis en 1944 à celui de Dachau. Le 4 mai 1945, aux derniers jours du IIIème Reich, un ordre d'exécution est lancé contre lui, mais il est sauvé in extremis par les Américains lors de la libération du camp. En 1956, il obtiendra la nationalité américaine.