Rebecca sort aux États-Unis au printemps 1940 et bénéficie d’une première de gala le 28 mars 1940 au Radio City Music Hall de New York. Le public se presse, avide de découvrir la nouvelle production Selznick un an après Gone with the Wind. Le succès est immédiat, à la fois critique et commercial. Dès sa critique du lendemain, The New York Times qualifie le film d’ « absolument brillant, envoûtant, plein de suspense, élégant et magnifiquement interprété «. Le prestigieux Film Daily salue une œuvre de « qualité à tous les niveaux – production, réalisation, interprétation, écriture et photographie – créant une nouvelle étoile en Joan Fontaine «, tout en louant Laurence Olivier qui est « splendide « en Maxim. Le magazine Harrison’s Reports applaudit « un puissant drame psychologique pour adultes «, attribuant le mérite à Selznick pour la production somptueuse et à Hitchcock pour son « art de construire des situations à vous glacer et tenir le spectateur en haleine «. Même les quelques réserves formulées par la presse confinent en réalité au compliment. Variety, par exemple, concède que le film est « une réussite artistique « tout en craignant qu’il ne soit « trop tragique et trop psychologique pour plaire au grand public «. En vérité, cette profondeur sombre fera justement son attrait : le bouche-à-oreille est excellent, et loin d’être rebuté, le public revient voir le film, fasciné par cette histoire d’amour et de fantôme sans fantôme. Au box-office, Rebecca réalise des recettes d’environ 6 millions de dollars, un chiffre très élevé pour l’époque (rappelons que le budget tournait autour de 1,2 million). Ce résultat fait de Rebecca l’un des plus gros succès de l’année 1940. Le film cartonne également à l’international, bien qu’en Europe la guerre en cours freine temporairement son exploitation.
La saison des récompenses couronne cette réussite. Rebecca reçoit pas moins de 11 nominations aux Oscars, un record pour l’année 1940. Lors de la 13e cérémonie des Academy Awards, en février 1941, le film remporte l’Oscar du Meilleur Film, la plus haute distinction – une victoire attribuée officiellement à Selznick en tant que producteur. C’est d’ailleurs le seul film de la carrière d’Hitchcock à obtenir l’Oscar du Meilleur Film. En revanche, Alfred Hitchcock, nommé comme Meilleur Réalisateur, s’incline face à John Ford (Les Raisins de la colère). Joan Fontaine, Laurence Olivier et Judith Anderson sont tous trois nommés pour leurs performances magistrales (Meilleure Actrice, Meilleur Acteur et Meilleure Second Rôle féminin respectivement). Si aucun n’emporte la statuette cette année-là, leurs nominations consacrent la révélation de nouveaux talents (Fontaine passera du statut d’inconnue à celui de star grâce à Rebecca). Le film décroche également l’Oscar de la Meilleure Photographie en noir et blanc, récompensant le chef opérateur George Barnes. Ce prix salue le clair-obscur subtil et l’utilisation inventive de la profondeur de champ qui donnent au film son cachet visuel. Les décors, le montage, la musique de Franz Waxman, les effets spéciaux de l’incendie – tous ces éléments techniques, également nommés, témoignent du soin apporté à la fabrication du film.
Au-delà des trophées, Rebecca s’impose durablement dans la culture populaire. Le film marque le public par son atmosphère unique, son personnage de Mrs Danvers inoubliable et la modernité de son propos (explorant le thème intemporel de l’insécurité amoureuse et du passé qui ronge le présent). Dans les décennies suivantes, Rebecca sera souvent cité parmi les meilleurs films d’Hitchcock ou les plus grandes romances gothiques du cinéma. En 1951, il est choisi pour faire l’ouverture du tout premier Festival International du Film de Berlin, preuve de son aura internationale persistante. Des classements contemporains continuent de le plébisciter: en 2008, le magazine Empire le classe parmi les 500 plus grands films de tous les temps (318ème place), et en 2018, la Bibliothèque du Congrès américain l’ajoute au National Film Registry pour préservation, le jugeant « culturellement, historiquement ou esthétiquement important «.
Quant à Hitchcock, s’il minimisait un peu Rebecca à chaud (frustré de ne pas y avoir eu toute latitude), il reconnaîtra plus tard que le film a quelque chose de spécial. « Il a étonnamment bien tenu le coup au fil des ans. Je ne sais pas pourquoi «, confiera-t-il malicieusement à Truffaut. Cette pointe d’ironie ne doit pas tromper: le réalisateur savait pertinemment qu’il avait signé, malgré les compromis, un film de haute tenue, promis à devenir un classique. Rebecca demeure aujourd’hui l’un des fleurons de la collaboration Selznick–Hitchcock, et une référence du cinéma hollywoodien des années 40. Le temps n’a fait qu’ajouter à son prestige, confirmant que la réunion de ces talents et de cette histoire était une formule gagnante.

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