Et que faire, après ça? Daphné veut se remettre très vite au travail, retrouver sa solitude face à sa machine à écrire ou son stylo. Pas de roman cette fois — elle n’a pas encore trouvé de nouvelle idée — mais elle souhaite prolonger un peu la magie de Manderley. Alors, elle envisage d’adapter Rebecca pour la scène. L’idée l’enthousiasme. Après tout, elle est fille de comédiens et a grandi dans une atmosphère baignée de théâtre. Elle se lance dans l’écriture de la pièce avec un plaisir nouveau, presque inconnu. Quel étrange ravissement que de replonger, un an plus tard, dans ce monde imaginaire qu’elle a elle-même créé!

Premier défi: ne concevoir qu’un seul décor — le grand hall d’entrée de Manderley, avec vue sur les somptueux jardins. Finies les longues descriptions qui émaillent ses romans; elle doit désormais faire vivre ses personnages uniquement par leurs voix, leurs gestes, leurs silences. Même si Margaret, la nourrice, est au lit avec une migraine, Daphné réussit tant bien que mal à terminer l’adaptation tout en s’occupant de ses filles: Tessa, 6 ans, et Flavia, qui n’en a même pas 2. À la fin, elle est éreintée. «Je ne fais décidément pas partie de ces mères qui vivent pour avoir leurs mioches autour d’elles en permanence», confie-t-elle, épuisée, dans une lettre à Tod.

La pièce ne se termine pas comme le roman. Ici, c’est un vrai happy end : rideau sur M. et Mme de Winter s’étreignant, apaisés et amoureux. Le fantôme de Rebecca a été exorcisé, et Manderley, temple de la mort, devient bastion d’amour. Pourquoi ce revirement ? Parce que la guerre approche. Parce que Daphné a tant entendu de critiques sur la fin de son livre. Parce qu’elle peut, tout simplement. Parce que l’écrivain est libre.

La pièce, intitulée Rebecca: A Play in Three Acts, a été publiée en 1939 par Samuel French Limited.

La première représentation de cette adaptation a eu lieu à Londres le 5 avril 1940 au Queen’s Theatre. La distribution comprenait notamment Margaret Rutherford dans le rôle de Mrs. Danvers. La pièce a connu un succès notable, avec 180 représentations au Queen’s Theatre (5 avril au 7 septembre 1940), la série s’arrêtant suite à la destruction nocturne du théâtre lors d’un bombardement allemand. Elle sera reprise en mai 1942 au Strand Theatre, où elle a été jouée 176 fois supplémentaires.