« Entre Mlle Yvon et Maupassant, Daphné du Maurier trouve sa propre voix. »
À 18 ans, désireuse d’élargir ses horizons, Daphné part parfaire son éducation en France. Elle intègre en 1925 une petite « finishing school » à Meudon, près de Paris – un pensionnat pour jeunes filles de bonne famille – afin d’y améliorer son français et sa culture générale. En fait, une « finishing school », ce n’était pas une école au sens académique strict. Il ne s’agissait pas de préparer des examens ni d’accéder à l’université. Le but n’était pas tant d'instruire que de former socialement. C’était, en somme, un établissement d’éducation pour adolescentes de l’élite, destiné à leur apprendre à « devenir des femmes accomplies » – selon les standards de l’époque: élégantes, cultivées, bien élevées… et prêtes à entrer dans le monde, sous-entendu à faire un bon mariage. Il est évident que cette attente convient fort peu à notre Daphné du Maurier, âgée de 18 ans…
2.A) Une Anglaise à Paris: éveil culturel et choc des mondes
Quoi qu’il en soit, quand Daphné du Maurier débarque à Meudon, banlieue chic et encore très provinciale aux portes de Paris, elle n’a que 18 ans et son éducation anglaise était jusqu’alors assez insulaire, voire protectrice. Ses parents l’envoient durant l’années scolaire 1925-1926 à la Villa Camposenea, l’«école de finition» dirigée par Mlle Wicksteed, c’est-à-dire une école qui a pour but premier de la «polir», de faire d’elle une jeune femme cultivée, élégante, parfaitement bilingue. Mais pour Daphné, cette parenthèse devient une véritable bouffée d’air intellectuel et émotionnel, bien au-delà des ambitions familiales.

Villa Camposenea - Finishing School à Fleury-Meudon (Paris)
Elle découvre à Paris une culture moins guindée, plus vive, plus sensuelle que celle de l’Angleterre d’alors. Si l’école en elle-même est assez stricte (chambres glaciales, discipline, règles alimentaires… très peu portées sur la poésie !), les sorties dans Paris des années folles deviennent de véritables fenêtres sur un monde en ébullition:
- le Louvre, qu’elle visite régulièrement
- les galeries d’art
- les théâtres et concerts
- les flâneries sur les quais de la Seine
- et bien sûr, les librairies
Elle s’aventure même dans les cafés littéraires où bouillonnent les idées nouvelles.
C’est à cette époque qu’elle dévore des classiques français, mais aussi des romans contemporains qu’on ne lui aurait jamais laissés lire à la maison. Elle se passionne notamment pour Maupassant, dont les nouvelles la fascinent par leur noirceur sous-jacente et leur construction serrée. Elle lit Zola avec une forme d’horreur curieuse. Et Colette, dont elle admire la sensualité des descriptions (même si elle s’en méfie, y voyant une féminité trop libre pour son éducation).
Elle va aussi découvrir le style français, plus épuré, plus suggestif, qui l’influence discrètement. Elle ne cherche pas à l’imiter, mais elle intègre une certaine musicalité, une pudeur poétique dans son propre style narratif. Cette période marque aussi ses premiers essais d’écriture «sérieuse»: elle rédige des poèmes en anglais, des récits courts qu’elle partage parfois avec son entourage proche, notamment Mlle Yvon, une enseignante charismatique et cultivée à laquelle elle voue une grande admiration. Nous allons y revenir…
2.B) Une littérature de suggestion, pas de démonstration
Le plus grand apport de la culture française dans la formation de Daphné du Maurier, c’est peut-être le goût du sous-entendu, du non-dit, du détail qui murmure plutôt qu’il ne proclame. En France, on ne dramatise pas à la manière anglaise ou américaine. On insinue. On psychologise. On enveloppe l’horreur dans de la brume.
Or, cette esthétique du flou, du secret et du sentiment trouble trouve un écho direct chez Daphné, qui se sent instinctivement proche de ce langage-là. C’est un monde où l’ambiguïté est permise, où les identités sont floues, et où les passions n’ont pas à être criées. C’est exactement ce qu’elle développera plus tard dans ses romans, notamment dans:
- Rebecca, où l’identité de la narratrice reste floue et sans prénom
- Le Bouc émissaire (The Scapegoat), qui met en scène une confusion d’identités digne d’un roman symboliste
- My Cousin Rachel, dont toute la tension repose sur l’impossibilité de trancher le vrai du faux

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