1.B) Encore une fille

À l’approche de la fin de sa grossesse, Daphné se résigne à l’idée d’avoir une seconde fille. Cette fois, son intuition ne la trompe pas: le 2 avril 1937, une petite fille voit le jour. Ce matin-là, sa sœur Angela avait emmené Daphné faire un tour dans sa nouvelle voiture, une Morris Eight au confort rudimentaire — niveau suspension, on repassera. Cela a dû précipiter les choses, car l’accouchement survient deux semaines avant terme. «Le bébé a littéralement fusé hors de moi!», écrit Daphné à Tod. Et Angela, dans son style inimitable, déclare que le nouveau-né ressemble à un petit radis rouge. Daphné espérait tant un garçon, mais elle se console en pensant «jamais deux sans trois». Tommy, de retour en Angleterre pour trois mois de permission, choisit lui-même le prénom de leur seconde fille: Flavia.

Le 12 mai 1937, le couronnement du roi George VI, frère d’Édouard VIII, met tout le pays en liesse. Le lendemain, la famille fête les trente ans de Daphné. La jeune mère rit, sourit, ouvre ses cadeaux, savoure son gâteau, mais en secret, son esprit vagabonde vers son prochain roman. Elle y pense sans cesse. Les idées prennent forme, lentement mais sûrement. Reste à trouver le temps d’écrire — ce qui est loin d’être simple avec un mari, deux enfants, et même une aide-ménagère permanente. Comment retrouver la solitude indispensable à sa création?

Sa sœur Angela affirme avancer sur son propre roman, mais il est clair qu’elle n’a pas besoin du même isolement que sa sœur. À 33 ans, toujours célibataire — ce qui ne la dérange pas le moins du monde — Angela rayonne d’une jovialité contagieuse. Elle multiplie les voyages à travers l’Europe. Son plaisir suprême: un long trajet en train, toujours en première classe, toujours dans des hôtels somptueux — au grand amusement de Daphné, qui voit là un trait hérité de leur père.

Le roman d’Angela met en scène une héroïne déchue qui fait le mauvais choix et en paie le prix. Daphné l’écoute, hoche la tête. Elle n’est nullement inquiète de voir sa sœur devenir romancière: elle en est fière. Tout comme elle est fière de leur petite sœur Jeanne, qui ambitionne d’entrer aux Beaux-Arts pour vivre de sa peinture. Bien qu’elle soit mariée et mère de famille, les liens avec ses sœurs restent d’une solidité indéfectible.

Son bébé, la petite Flavia, semble plus fragile que sa grande sœur. Daphné décide donc de laisser ses deux filles sous la garde de leurs grands-mères — Nancy Browning et Muriel du Maurier — ainsi que de leur nourrice, Margaret. Pas question d’emmener un nourrisson et une fillette de trois ans dans la fournaise d’Alexandrie, où Tommy doit repartir cinq mois de juillet à la mi-décembre 1937.