B) 17 novembre 1943: revival de «A Connecticut Yankee»

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«A Connecticut Yankee» - Partition 1943

Au cours de l’été 1943, après le triomphe d’Oklahoma! (), Rodgers aurait adoré enchaîner avec Hammerstein, son nouveau partenaire, sur la création d’un nouveau musical, comme il le faisait à l’époque avec Hart. Mais Hammerstein, dès avant Oklahoma! (), était engagé dans la création de Carmen Jones () à Broadway sous les auspices du producteur Billy Rose. Il faudrait donc que Rodgers attende un peu.

Et puis une idée lui est venue. Il s’était depuis longtemps creusé les méninges pour imaginer un projet qui pourrait intéresser Hart, mais il avait en même temps craint que ce qu’il trouverait soit trop lourd pour lui dans cette période difficile. Et donc, est-ce qu’organiser un revival de A Connecticut Yankee () ne serait pas idéal?

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«A Connecticut Yankee» - Broadway 1943

Peu après, il a pris contact avec Herbert Fields. Rappelons que très longtemps, le duo Rodgers & Hart a été un trio: Rodgers & Hart & Fields. Ils avaient créé de très nombreux musicals ensemble jusqu’à Chee-Chee (). Il était tout normal que Rodgers se tourne vers Fields pour tenter de ramener Hart à Broadway. Et surtout que Fields était le librettiste de A Connecticut Yankee (). Ensemble, ils ont élaboré une stratégie pour ramener ce musical – et Larry Hart – à Broadway. Tout d’abord, le musical existant pouvait facilement être adapté au goût du jour; il y aurait de nouveaux dialogues à écrire, mais pas un livret complètement nouveau. Il n’y aurait pas non plus besoin d’une nouvelle partition. Ils pensèrent à élargir le rôle de Morgan Le Fay pour faire un magnifique rôle chantant pour Vivienne Segal. Vivienne Segal, quelques paroles à écrire, mais pas trop … tout cela pourrait amener à ce que Hart soit assez enthousiaste à propos du spectacle. Et accepte de le faire. Et cela s’est avéré vrai.

Rodgers ne voulait pas que ce soit un revival mot pour mot, note pour note du spectacle de 16 ans auparavant. Il y aurait de nouveaux dialogues et une demi-douzaine de nouvelles chansons qui viendraient compléter les numéros populaires de l’original. Rodgers a imaginé que, de cette façon, Hart ne serait pas surchargé. Il serait en territoire familier, il travaillerait avec des gens qu’il aimait, et le plus important, tout ceci pourrait enfin se révéler thérapeutique pour lui. Du moins, c’était l’idée qu'il avait imaginée.

Pendant une brève période, Hart a semblé revenir à la vie. Sobre la plupart du temps, il s’est emparé du nouveau spectacle avec beaucoup d’entrain, travaillant dur et rapidement sur l’adaptation du livret. Rodgers se souvient:

«Il venait chez nous dans le Connecticut et nous travaillions régulièrement à des heures raisonnables. Je ne pense pas qu’il ait pris un verre durant cette période. Il ne faisait aucun doute qu’il faisait un véritable effort pour se réhabiliter et pour prouver que le duo «Rodgers et Hart» était toujours une réalité.»

Richard Rodgers

 

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«A Connecticut Yankee» - Broadway 1943

Et Hart a trouvé quelques-unes des paroles les plus charmantes et les plus spirituelles qu’il n’ait jamais écrites, y compris To Keep My Love Alive, un récit tumultueux sur la manière dont la reine Morgan Le Fay (Vivienne Segal) s’est débarrassé de tous ses maris.

Mais une fois les répétitions terminées, une fois que Hart n'avait plus rien à faire, il a tout simplement craqué. Tous ces mois de combats contre ses faiblesses avaient été très difficiles pour lui et il ne pouvait plus résister à sa soif. Il avait réussi à prouver qu’il était encore capable de travailler, mais ce faisant, il s'était approché de son point de rupture. La nuit où A Connecticut Yankee (), a ouvert en try-out à Philadelphie, Hart a sombré dans une beuverie dont il ne s’est jamais remis. Il avait toujours eu l’habitude de laisser son manteau et son chapeau dans les bars, et comme il a plu ou neigé presque tous les jours cette semaine-là, cela n’a fait qu’accélérer sa détérioration physique.

Le soir de la première du spectacle à Broadway, le 17 novembre 1943 – il restait à Hart cinq jours à vivre – Rodgers était tellement inquiet pour Hart qu'il a demandé à deux hommes de la troupe de se tenir près de lui alors qu’il faisait des allers-retours à l’arrière du théâtre. Rodgers s’inquiétait non seulement de la santé de Hart, mais aussi de ce qu’il pourrait faire pour perturber la représentation en cours. Et il s’est avéré que cette préoccupation était fondée.

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«A Connecticut Yankee» - Broadway 1943

Helen Ford a repéré Dorothy Hart, qui s’étonnait qu’aucun billet n’avait été réservé pour Hart et elle. Ils avaient simplement supposé qu’ils auraient une place réservée à la première d’un spectacle de Hart. Les deux femmes sont allées dans les coulisses pour trouver Rodgers qui s’est écrié: «Oh! Mon Dieu! Larry est là?»

Quand le rideau s’est levé et que les lumières se sont éteintes, Hart est apparu à sa place habituelle dans l’allée à l’arrière du théâtre. Ses deux "gardiens" se tenaient à l’affut. Le premier acte s’est déroulé sans incident. À l’entracte, Hart – son manteau était toujours au vestiaire – alla boire un verre dans un bar voisin, ignorant la pluie. Il revint trempé – dans les deux sens du terme – et reprit sa veille à l’arrière de la salle. Il était calme au début, mais au fur et à mesure que le deuxième acte progressait, il a commencé à dire certaines répliques à haute voix, chantant même certaines paroles dans un sous-ton audible qui devenait plus fiévreux et agité. Lorsque sa voix est devenue trop forte pour être ignorée, les deux chiens de garde l’ont attrapé et ont sorti de la salle un Hart qui criait et leur donnait des coups de pied.

Sa femme Dorothy, qui avait entendu la perturbation, est sortie et l’a emmené à son appartement sur la 57ème rue dans un taxi. Après un certain temps, elle l’a installé sur le canapé, et il s’est endormi complètement habillé.

«Quand je l’ai regardé, plusieurs fois au cours de cette nuit, il transpirait et respirait lourdement, mais le matin il avait quitté l’appartement sans le dire à personne. Et sans un manteau.»

Dorothy Hart