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Ce schéma ne comprend que les spectacle se jouant durant la saison 1927-1928.
Les saisons 1926-1927 et 1928-1929 sont incomplètes.

D) 26 avril '28: «Present Arms» - Déception

D.1) Duo ou trio?

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Partitiion de «Hallelujah!»
de «Hit the Deck»

Le librettiste habituel de Rodgers et Hart, Herb Fields, n’avait pas participé à She’s My Baby (). Comme nous l’avons vu, il s’agissait d’une «commande» faite par Dillingham à Rodgers et Hart. Elle avait pour librettistes Guy Bolton, Bert Kalmar & Harry Ruby. Clairement, Rodgers et Hart formaient un duo mais leur relation avec Herb Fields était beaucoup plus libre. En fait, assez curieusement, Herb n’était pas passionné par le théâtre en tant que tel. Il était toujours plein d’idées, et Rodgers et Hart ont aimé travailler avec lui, plus qu’avec tout autre librettiste. Mais aucun d’eux trois ne s’est jamais considéré comme faisant partie d’un trio indissoluble, même si, jusqu’en 1927, Herb n’avait jamais écrit de musicals avec d’autres auteurs-compositeurs.

Au début de l’année 1927, avant que Rodgers, Hart et Fields ne commencent à travailler sur A Connecticut Yankee (), Herb Fields avait accepté, pour la première fois, une offre de rejoindre une autre équipe, Clifford Grey, Leo Robin et Vincent Youmans. Cela débouchera sur le musical à succès Hit the Deck () (352 représentations) qui a été produit par Lew Fields… Ce musical suit l’histoire de Bilge, un «timide» marin qui rêve de quitter la marine pour devenir capitaine de son propre cargo et qu’une jeune femme veut absolument épouser. Remarquons que ce musical sera un succès beaucoup plus important que tous les musicals que Rodgers et Hart feront avec un autre librettiste que Herb Fields.

D.2) Present Arms

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Partition de «You took advantage of Me»
de «Present Arms»

Après She’s My Baby (), Rodgers et Hart allaient retrouver Lew Fields comme librettiste. Ce dernier avait une nouvelle idée, qui était encore une fois essentiellement une vieille idée avec une – plus ou moins – nouvelle tournure. Après avoir parlé de la marine dans Hit the Deck (), il a décidé de se focaliser sur ce corps d’élite que sont les «United States Marines» (les marines). Le héros de ce nouveau musical, Chick, est un gars beaucoup plus dur que le timide marin de Hit the Deck (). Le nouveau spectacle s’appellerait Present Arms ().

En fait, comme Hit the Deck () avait été un succès, Rodgers, Hart et Fields étaient persuadés qu’ils devaient faire quelque chose de différent. Au lieu d’emmener les Marines en Chine, comme dans Hit the Deck (), le musical va se dérouler à Pearl Harbor (attention, nous sommes en 1928, et ce port n’est nullement connoté comme ce le sera depuis l’attaque japonaise de 1941). Au lieu d’avoir une héroïne à la poursuite du héros comme dans Hit the Deck (), le héros de Present Arms () est à la poursuite de l’héroïne. Cette héroïne ne sera plus une couturière de la Nouvelle-Angleterre comme dans Hit the Deck (), mais une Lady anglaise dans Present Arms (). Mais malgré toutes ces adaptations, Present Arms () avait un goût de Hit the Deck (). Il a un peu été ressenti comme une simple variation sur un succès. Surtout que des «erreurs stratégiques de casting» ont démontré une myopie totale de l’équipe de production: pour jouer le Marine, héros de Present Arms (), ils ont choisi Charles King. Qui était-il? Le comédien qui venait de jouer le héros marin dans Hit the Deck ()!!! Myopie est un terme trop faible…

En fait, ils n’étaient pas inquiets de cela parce que quand ils sont entrés en répétitions, ils étaient plus que préoccupés par les autres membres de la distribution. Rodgers à une semaine du premier Try-Out était très clair:

«Le spectacle reste un problème. Nous sommes plutôt sûrs, en ce qui nous concerne, du livret et de la partition, mais la distribution reste une inconnue. Charles King a l’air génial, mais on ne sait pas pour la vedette féminine, une jolie petite blonde anglaise nommée Flora Le Breton. Elle fait tout bien, mais elle semble avoir pour la plupart d’entre nous la même attraction qu’un petit canari...»

Lettre de Richard Rodgers à sa future femme, Dorothy

 

Le musical est l'histoire de Chick Evans, un marine américain en poste à Pearl Harbor se faisant passer pour un capitaine pour impressionner Lady Delphine Witherspoon, la fille d'un noble anglais. Delphine est impressionnée par Chick, et tout va bien jusqu’à ce qu’elle découvre la vérité. Elle est plus tard impliquée dans un naufrage et un radeau l’emmène sur une île déserte où elle est secourue par Chick, permettant que tout se finisse bien!

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De g. à dr.: acteur non identifié, Charles King (Chick Evans), Fuller Melish, Jr. (McKenna),
Flora Le Breton (Lady Delphine Witherspoon), actice non identifiée et Joyce Barbour (Edna Stevens)
dans «Present Arms» - Lew Fields' Mansfield Theatre (1928)
© Billy Rose Theatre Division, The New York Public Library - https://digitalcollections.nypl.org/items/7d22cc48-3210-a478-e040-e00a180631ba

Ils avaient prévu une séquence assez spectaculaire durant laquelle le yacht fait naufrage «devant les yeux terrorisés du public» (commentaire de Brooks Atkinson dans sa critique du New York Times), suivie d’une scène représentant les survivants seuls sur un radeau au milieu d’une mer agitée qui les précipite vers une île déserte.

Quoi qu’il en soit, la création d’un spectacle reste une aventure dont les artistes créateurs ne peuvent prédire les futures réactions du public. Rodgers et Hart croyaient particulièrement en une chanson romantique pour les deux personnages principaux, une ballade douce, charmante, tendre et éminemment attrayante appelée Do I Hear You Saying, ‘I Love You?. Les auteurs ont veillé à ce qu’elle soit généreusement reprise dans Present Arms (). Elle était chantée dans la première scène et dans la troisième scène, puis le thème était joué pendant l’entracte et faisait partie du final. Enfin, c’était la dernière musique que le public entendait quand il sortait du théâtre. Mais les gens l’ont oubliée … dès qu’ils ont atteint le trottoir. Peut-être que le titre était trop long, peut-être que la musique était trop délicate, peut-être, peut-être... En fait, la chanson dont tout le monde se souvenait était l’impertinent You Took Advantage of Me.

Comme le spectacle se déroulait dans le monde très viril des Marines, Rodgers, Hart et Fields étaient d’accord sur le fait qu’il fallait sélectionner pour ces rôles des caricatures d’hommes costauds, ce qui serait très différent de la plupart des musicals de l’époque. Ils se sont retrouvés avec le groupe de chanteurs et de danseurs les plus costauds jamais vu sur scène.

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Page du programme de «Present Arms»
Lew Feilds' Mansfield Theatre - 1928

Le problème est que ces artistes ne ressemblaient pas seulement à de vrais Marines, mais qu’ils se sont également comportés comme eux. Quand ils n’étaient pas sur scène, ils passaient de bar en bar à se saouler. Un soir, après avoir passé la nuit à chanter à travers la ville, ils sont retournés à leur hôtel, sont montés au dixième étage et ont lancé un lourd pot de sable à travers une fenêtre. Heureusement, personne n’a été blessé. Une autre fois, ils ont terminé la nuit en passant de porte en porte des maisons et en prenant les sacs de petits pains fraîchement livrés. Après avoir assouvi leur faim, nos choristes ludiques se sont ensuite battus dans la rue et dans le hall de l’hôtel. Un jour de Try-Out de plus à Wilmington et l’entièreté de la troupe aurait été éjectée.

L’ouverture du spectacle à New York, le 26 avril 1928, a eu lieu au Mansfield Theatre. La représentation s’est bien passée et les critiques du lendemain étaient majoritairement positives. Pourtant, au moins une demi-douzaine de critiques n’ont pas pu s’empêcher de souligner la ressemblance entre Present Arms () et Hit the Deck (), qui avait ouvert exactement un an auparavant. Peut-être à cause de cela, le spectacle n’a duré qu’un peu plus de quatre mois (155 représentations).

Ou à cause de la concurrence énorme… À cette époque-là, il y avait à Broadway plus de 250 créations par an. Rappelons aussi que le 6 septembre 1927 est sorti au cinéma The Jazz Singer, le premier film parlant. Très vite, le cinéma parlant devint une destination majeure de loisirs pour les spectateurs américains. Mais le nouveau média le plus populaire était la radio, qui connaissait une croissance rapide avec des audiences de deux à trois millions de personnes pour certaines émissions.

Quelles qu’en soient les raisons, artistiques ou commerciales, ce spectacle fut une déception.