A) 2 nov. 1937: «I'd rather be right» - Le succès de la saison

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«I'd rather be right» - Broadway (1937)

Rodgers et Hart venaient d’enchaîner trois succès: Jumbo (), On Your Toes () et Babes in Arms (). Ils étaient d’une certaine manière devenus les «Rois de Broadway». Mais n’oublions pas qu’ils avaient des ambitions concernant l’écriture des musicals. Nous en avions parlé () dans l’analyse de l’un de leurs pires flops, Chee-Chee (). N’oublions pas non plus que Rodgers sera, dans 6 ans, le compositeur de ce qui est considéré comme le premier musical: le révolutionnaire Oklahoma! (). Une chose va ébranler Rodgers et Hart durant cet été 1937: la mort à 38 ans de George Gershwin. Cela a développé chez Rodgers comme un électrochoc… Il a voulu rapidement créer un nouveau spectacle et ne pas attendre un an comme ce fut le cas entre On Your Toes () et Babes in Arms ().

Le cynisme généralisé qui s’est développé pendant la Grande Dépression a influencé le monde des musicals des années ’30 en créant la «revue d’actualité» ou la «musical d’actualité». Les meilleurs d’entre eux ne se sont jamais livrés à de la prédication ou de la propagande, mais ils ont réussi à faire leurs commentaires sur l’état du monde actuel sans oublier en même temps que la fonction de base du divertissement était de divertir. Les frères Ira et George Gershwin avaient fourni les partitions du musical antiguerre Strike Up the Band (), le pamphlet présidentiel Of Thee I Sing (), qui avait remporté le Pulitzer Prize for Drama 1932, et sa suite moins réussie, Let 'Em Eat Cake (). Irving Berlin avait lui écrit les chansons d’un musical sur la corruption policière de New York appelée Face the Music (), ainsi que pour la revue As Thousands Cheer (), créée entièrement sous la forme d’un journal.

George S. Kaufman, le co-auteur des trois spectacles des frères Gershwin, et Moss Hart, l’auteur des deux spectacles avec des partitions de Berlin, ont estimé que le temps était venu de collaborer ensemble sur la satire politique la plus audacieuse de toutes, et ils voulaient que Rodgers et Hart en écrivent les chansons. Leur idée n’était rien de moins qu’écrire un musical sur le Président Roosevelt lui-même. Alors, bien sûr, les présidents avaient déjà été représentés dans des musicals:

  • Calvin Coolidge dans le premier The Garrick Gaieties () (1925) de Rodgers et Hart
  • Herbert Hoover dans la revue As Thousands Cheer () (1933) de Moss Hart et Irving Berlin

Agences alphabétiques

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Agences alphabétiques

Le programme économique de Roosevelt pour lutter contre les conséquences de la Crise de ’29 s’appelle le «New Deal». Les mots «New Deal» signifient une «nouvelle relation entre le peuple américain et son gouvernement». Cette nouvelle relation comprenait la création de plusieurs agences fédérales, appelées «alphabet agencies». L’AAA (Agricultural Adjustment Administration) a été conçue pour augmenter les prix agricoles; le CCC (Civilian Conservation Corps) pour donner du travail aux jeunes chômeurs et améliorer l’environnement; la TVA (Tennessee Valley Authority) pour apporter l’électricité à ceux qui n’en ont jamais eu auparavant; la FERA (Federal Emergency Relief Administration), devenue plus tard la WPA (Works Progress Administration), a donné du travail à des milliers de chômeurs dans tous les domaines, de la construction aux arts; la NRA (National Recovery Administration) a élaboré des règlements et des codes pour aider à revitaliser l’industrie et a légalisé le droit des travailleurs à se syndiquer; la FSA (Farm Security Administration) a prévu la réinstallation des pauvres ruraux et de meilleures conditions pour les travailleurs migrants…
Au total, au moins 69 «alphabet agencies» ont été créées pendant les mandats de Roosevelt dans le cadre du New Deal.

Élargissement de la Cour Suprême

Le 5 février 1937, le président Franklin Roosevelt annonce un plan visant à étendre la Cour suprême jusqu’à 15 juges, prétendument pour la rendre plus efficace.
Avec les nominations à vie, il n’est pas inhabituel que les juges de la Cour suprême servent bien au-delà de l’âge moyen de la retraite aux États-Unis, qui était de 63 ans. Le président Roosevelt a voulu imposer des restrictions à la cour en ce qui concerne l’âge. Rappelons que c’est le président qui nomme un nouveau membre à la Cour Suprême. Cette mesure a été largement considérée comme un stratagème politique visant à changer la Cour pour obtenir des décisions favorables sur la législation du New Deal. En pratique, Rossevelt proposait que si un juge de la Cour Suprême refusait de prendre sa retraite, un «assistant» avec le droit de vote devait être nommé, assurant ainsi à Roosevelt une majorité libérale.
Les critiques ont immédiatement accusé Roosevelt d’essayer de «remplir» la Cour et de neutraliser ainsi les juges de la Cour suprême hostiles à son New Deal.

Mais ce serait la première fois que le leader des États-Unis serait considéré comme le personnage principal d’un musical. Kaufman, les deux Hart et Rodgers étaient d’ardents défenseurs de Franklin Delano Roosevelt, mais cela ne les empêchait pas de titiller son image en abordant des thématiques comme le New Deal et ses agences alphabétiques (voir ci-contre), l’élargissement de la Cour suprême, et l’idée farfelue que Roosevelt oserait briser la tradition et briguer un troisième mandat – en fait, il ira jusqu’à 4 mandats.

Même si leur musical devait déranger quelques bienpensants, le quatuor a estimé que ce spectacle pouvait être fait avec goût et intelligence. Ils ressentent d’ailleurs que la possibilité de créer un musical qui moque le Président des États-Unis était une magnifique manière de montrer à quel point leur pays est une terre de libertés. N’oublions pas que nous sommes à l’été 1937. Hitler, qui était arrivé au pouvoir en Allemagne la même année où Roosevelt a pris ses fonctions, avait déjà institué des mesures répressives contre les non-Aryens et les «ennemis de l’État». L’abolition de toutes les formes de dissidence faisait également partie du régime fasciste de Mussolini en Italie et des dirigeants militaires agressifs au Japon. L’Espagne était en pleine guerre civile menée par Franco, avec la bénédiction et le soutien d’Hitler et de Mussolini. C’était une époque où, dans un pays après l’autre, on assistait à l’extinction de la liberté. Aux États-Unis, tous ceux qui se plaignaient de ce qui était arrivé pendant la Dépression ont commencé à réaliser que leur nation était l’une des rares nations sur terre où les gens n’avaient pas peur de leurs dirigeants. Il était possible de les critiquer, de les destituer — et de les mettre sur une scène à Broadway pour les ridiculiser dans un spectacle de chansons et de danses.

Dans ce nouveau musical, Rodgers et Hart limitent leur intervention à la création des paroles et des musiques. Le livret sera lui signé par George S. Kaufman and Moss Hart. Deux «Hart» différents sont donc à l'affiche. Ce livret est assez intéressant et terriblement satirique...

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Peggy Jones (Joy Hodges), Président Roosevelt (George M. Cohan)
et Phil Smith (Austin)
dans «I'd rather be right» - Broadway (1937)
Billy Rose Theatre Division, The New York Public Library
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Lors du concert du 4 juillet à Central Park, les jeunes Phil Smith (Austin Marshall) et Peggy Jones (Joy Hodges) n’arrivent pas à oublier la mauvaise nouvelle de la journée: ils ne pourront se marier, car Phil n’a pas obtenu l’augmentation à laquelle il s’attendait — et il n’obtiendra pas cette augmentation tant que le Président Roosevelt ne parviendra pas à équilibrer le budget américain! Dans une séquence de rêve, ils rencontrent le Président Roosevelt à Central Park, et il travaille d’arrache-pied pour équilibrer le budget. Malheureusement, il est entravé par la Cour Suprême, le Congrès et son propre cabinet. Le Président n’arrive jamais à boucler le budget, mais il conseille au jeune couple d’avoir confiance en son pays et de se marier tout de même. Quand Phil se réveille, il décide de faire exactement cela.

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Président Roosevelt (George M. Cohan)
dans «I'd rather be right» - Broadway (1937)
Billy Rose Theatre Division, The New York Public Library
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Il y avait une importante attente du public de Broadway pour ce musical, principalement grâce aux quatre auteurs prestigieux. Elle a encore été fortement amplifiée par la présence en tête d'affiche, dans le rôle dudu Président Roosevelt, de la star George M. Cohan, qui sortit pour l'occasion de sa retraite comme chanteur et danseur.

Les opinions politiques personnelles de Cohan étaient très critiques à l’égard de Franklin Delano Roosevelt. En en plus, la «star» était professionnellement très critique à l’égard des chansons de Rodgers et Hart, comme nous l’avons vu () sur l’analyse du tournage de The Phantom President () en 1932. Cohan les avait rebaptisés les «Gilbert et Sullivan».

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George S. Kaufman et Moss Hart
Billy Rose Theatre Division, The New York Public Library
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Quand, lors des premières réunions, Rodgers a entendu que Cohan serait le premier rôle, il a failli tomber mort! Il était persuadé que Moss Hart et Kaufman n’avaient pas réalisé à quel point Cohan était un homme aigri, sans aucun respect pour le travail de quelqu’un d’autre que le sien. Ils n’avaient aucune idée dans quoi ils s’embarquaient! Moss Hart lui a répondu que Cohan avait la plus grande estime pour eux deux, qu’ils s’était mal comporté à l’époque parce qu’il n’avait pas l’habitude de travailler à Hollywood, et que le studio l’avait vraiment mal traité. Cela allait être différent. Un autre argument était que Cohan revenait à Broadway dans un musical après une absence de près de dix ans et qu’il était anxieux et reconnaissant de pouvoir retourner au travail. En outre, le spectacle devait être produit par le meilleur ami de Cohan et ancien partenaire, Sam H. Harris. Tout le monde savait que Harris était l’un des hommes les plus doux de Broadway et qu’il était à peu près la seule personne au monde qui pouvait garder Cohan en ligne. Enfin, Cohan avait joué récemment dans la pièce Ah, Wilderness! pour la Theatre Guild et, d’après tous les rapports, il avait été un modèle de coopération.

Rodgers était conscient que pour jouer le rôle de Roosevelt, il leur fallait une star. Cohan était une star. Rodgers s’est souvenu d’une phrase du producteur Lee Shubert, à propos d’un autre acteur: «Never have anything to do with that son of a bitch unless you need him» («Tu ne dois jamais avoir quelque chose à voir avec ce fils de pute, à moins que tu n’aies besoin de lui»). Rodgers et Hart ont accepté que Cohan soit la star du musical. Et bien sûr, tout s’est avéré encore pire que ce qu’ils avaient craint.

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Président Roosevelt (George M. Cohan) et Peggy Jones (Joy Hodges)
dans «I'd rather be right» - Broadway (1937)
Billy Rose Theatre Division, The New York Public Library
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La première rencontre préparatoire avec Cohan a eu lieu début septembre 1937. Il s’agissait de jouer la musique devant la «star». Ils ont mis les petits plats dans les grands: ils n’ont pas voulu organiser cela dans la salle de répétition habituelle et ont demandé à Jules Glaenzer de pouvoir utiliser son élégant appartement dans l’East Side, qui avait un salon si spacieux qu’il contenait deux pianos. Moss Hart, Kaufman, Hart et Rodgers étaient présent et lorsque Cohan est arrivé, ils l’ont assis à mi-chemin entre les deux pianos. Rodgers jouait sur un piano et Margot Hopkins, la pianiste de répétition, sur l’autre. Moss Hart chantait. Bien sûr, il n’avait pas une voix exceptionnelle, mais totalement correcte. Tout au long de la séance, Cohan est resté assis, les bras croisés, les yeux à moitié fermés. Il n’a jamais bougé la tête ou souri ou froncé les sourcils ou dit un mot. Rien – chansons d’amour, chansons de charme, ensembles, récitatifs – ne semblait faire impression. À la conclusion, Cohan resta assis silencieusement pendant quelques instants sans changer ni sa posture ni son expression. Puis il s’est levé, a marché vers Rodgers, lui a tapoté l’épaule avec condescendance et a marmonné: «Fais attention à toi, gamin», puis est sorti. Rodgers avait 35 ans et Cohan près de 60…

Ils sont tous restés stupéfaits. C’était peut-être comme Maurice Chevalier qui était réservé après avoir entendu les chansons pour Love Me Tonight () et était revenu le lendemain plein de louanges. Mais ça n’est jamais arrivé avec Cohan. Et tout au long du travail, il a traité Rodgers et Hart avec un mépris à peine voilé, et quand nous ils n’étaient pas là, il les qualifiait toujours du sobriquet sarcastique de «Gilbert et Sullivan» comme: «Dis à Gilbert et Sullivan de retourner à leur hôtel et d’écrire une meilleure chanson».

Mais le plus gros problème avec Cohan fut ailleurs: il détestait le Président Roosevelt, le personnage qu’il devait incarner. Les quatre auteurs avaient un avis contraire et, même s’ils se moquaient de Roosevelt, leur but était loin de le critiquer. Jusqu’à ce que Cohan s’en mêle...

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Devant: Chief Justice (John Cherry) et Président Roosevelt (George M. Cohan) / Derrière: Jack Barnes, Donald C. Carter, Martin Fair, Jay Hunter, Beau Tilden, Edward Harrington, Robert Howard et Fred Nay
dans la scène de la «COUR SUPRÈME» de «I'd rather be right» - Broadway (1937)
Billy Rose Theatre Division, The New York Public Library - https://digitalcollections.nypl.org/items/7b8172c8-b46c-d1a9-e040-e00a1806198a

La première série de Try-Out eut lieu à Boston, au Colonial Theatre. Le musical y fut créé le 11 octobre 1937. Mais on était très loin d’un premier Try-Out classique. En fait, bien avant l’ouverture de Boston, la rumeur s’était répandue que le musical serait quelque chose de très spécial. Le fait même que le personnage principal soit le président actuel des États-Unis, qu’on se moque du gouvernement, de la division entre le président et de la Cour suprême, a été perçu comme quelque chose de spécial dans un monde où la dictature devenait de plus en plus évidente. Les préventes à New York étaient plus importantes que celles de tout autre spectacle depuis Show Boat (). On parlait déjà de Walter Huston dans une version cinématographique. Et ce 11 octobre 1937 à Boston a pris les dimensions d’une première mondiale.

Cole Porter a affrété un avion pour voyager avec un contingent d’invités (il y a un peu plus de 350 km entre New York et Boston). Noël Coward, John Mason Brown, Clifton Webb et Dennis O’Brien étaient également présents. Le foyer du théâtre ressemblait à un magasin de fourrures, notamment Dorothy Rodgers avec une cape de vison pleine longueur.

Pendant cette première représentation, peut-être parce qu’il jouait devant un si illustre public, les griefs de Cohan sont sortis au grand jour dans la chanson Off The Record. Au lieu de l’interpréter telle qu’elle avait été écrite, il a préféré des paroles de son cru, ce qui a placé Roosevelt sous un jour particulièrement défavorable. Le prétexte pour cet ajout, selon Cohan, était qu’il s’opposait à des paroles que Hart avait écrites sur Al Smith et qu’il pensait trop cruelles. Nous reviendrons sur ces paroles. Ayant commis ce péché impardonnable, il l’a aggravé en disant jovialement à l’auditoire qu’il serait probablement viré pour l’avoir fait: «I’ll probably get my two weeks’ notice for doing that» («Je vais probablement recevoir mon préavis de deux semaines pour cela »).

À la fin de la représentation, ce fut la guerre en coulisses. Lorenz Hart a exigé que Cohan soit sanctionné pour ce comportement non professionnel et insultant, ou même qu’il quitte le spectacle, emportant ses paroles avec lui. Rodgers l’a soutenu avec véhémence. Le producteur Sam Harris et le librettiste George Kaufman ont exigé une promesse de Cohan qu’il ne ferait plus jamais une telle chose. accepta, se confiant plus tard à un ami qu’il n’aurait jamais fait une telle promesse à personne d’autre que Kaufman. Mais le lendemain matin, le New York Herald Tribune a fait la une avec fracas:

COHAN REFUSES
TO SING LYRIC ABOUT
AL SMITH

IN BOSTON TRYOUT HE CUT LINES,
PUT IN HIS OWN
AND WRITERS OBJECT TO IT
BUT ALL’s HAPPY NOW

“GILBERT AND SULLIVAN OF U.S.”
REWRITING THE PART

COHAN REFUSE
DE CHANTER DES PAROLES
SUR AL SMITH

AU TRYOUT À BOSTON, IL A COUPÉ DES LIGNES,
A MIS LES SIENNES À LA PLACE
ET LES AUTEURS S’OPPOSENT À LUI,
MAIS TOUT VA BIEN MAINTENANT

« LES GILBERT ET SULLIVAN DES ÉTATS-UNIS »
RÉÉCRIVENT LE RÔLE


L’enfer s’est de nouveau déchaîné. Cohan était furieux parce qu’il était persuadé que Rodgers avait manigancé pour que paraisse cet article. Rodgers démentit bien évidemment et s’insurgea contre l’expression «Gilbert et Sullivan» que Cohan continuait à utiliser…

«Off The record» de «I'd rather be right» - Broadway (1937)

Cohan déclara aux journalistes: «C’était juste quelque chose à propos du gouverneur Al Smith et de la Ligue de la liberté. Al a été un très bon ami à moi. Tout est réglé maintenant, en ce qui me concerne. J’en suis arrivé au point où je refuse de me battre

Rodgers fulminait, car cette déclaration de Cohan était un pur mensonge. Oui, il y avait eu des paroles à, propos de Al Smith dans la chanson, mais elles avaient été supprimées deux semaines avant Boston. Lorenz Hart a déclaré aux journalistes qu’un auteur était seul maître à bord de ses textes et des paroles de ses chansons.

Kaufman a adouci les choses en organisant une grande fête au Ritz pour célébrer trois de ses pièces à Boston en même temps. Pour ne pas être en reste, Cohan organisa une autre fête la nuit suivante, et avant que la compagnie ne quitte Boston pour seconde série de Try-Out au Ford’s Theatre de Baltimore à partir du 24 octobre, Sam Harris en donna une autre pour cimenter l’équipe.

À Baltimore, au fur et à mesure que le travail se poursuivait, l’impénitent Cohan devenait de plus en plus intransigeant; il voulait plus de chansons qui lui permettent d’«édifier son personnage». The World Is My Oyster a disparu; Tune Up, Bluebird est devenu We're Going To Balance The Budget.

Les paroles d’Off The Record ont été atténuées, rendant les allusions directes de Roosevelt à Hearst et Du Pont légèrement moins diffamatoires:

If I'm not re-elected and the worst comes to the worst,
I'll never die of hunger and I'll never die of thirst.
I’ve got one boy with Du Pont and another one with Hearst
But that’s off the record.

Extrait de «Off The Record» - «I'd Rather Be Right»

 

William Hearst

Le 21 septembre 1936, le journaliste William Randolph Hearst attaqua Roosevelt dans son journal, The New York American. Il a accusé le président d’être socialiste, communiste et bolchevique et a écrit que FDR menait un programme marxiste.
L’un des fils de Roosevelt, Elliott Roosevelt (1910-1990), a travaillé comme rédacteur des affaires d’aviation pour les journaux de William Randolph Hearst.

Ethel du Pont

Ethel du Pont est la riche épouse de Franklin Delano Roosevelt Jr. (1914-1988), le troisième fils du président Roosevelt. Leur mariage a été très médiatisé…

Le jugement de Cohan a également conduit à l’abandon de la ballade originale et son remplacement par une musique enjouée avec le même titre.

Lorsque la charmant Ev’rybody Loves You a également été abandonnée pendant les répétitions, Rodgers et Hart étaient moins que ravis. Cela ne leur laissait qu’un seul gagne-pain – c’était à partir des chansons d’amour qu’ils gagnaient leurs droits d’auteurs ultérieurs (disques, partitions …). En plus, ils avaient signé un accord particulier pour cette production. L’accord habituel était que le librettiste et les compositeurs avaient le même pourcentage des recettes. Mais sur I’d Rather Be Right (), Kaufman et Moss Hart avaient 8% à Rodgers et Hart seulement 5%.

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La troupe de «I'd rather be right» - Broadway (1937)
Billy Rose Theatre Division, The New York Public Library - https://digitalcollections.nypl.org/items/7b8172c8-b46c-d1a9-e040-e00a1806198a

Le 2 novembre 1937, I’d Rather Be Right () a ouvert ses portes à Broadway. Il semblait que la moitié de Manhattan attendait devant l’Alvin Theatre pour apercevoir Cohan. Cohan a trébuché sur un câble en coulisse et a joué toute la représentation avec sa jambe dans un plâtre de caoutchouc. Rodgers a été le chef d’orchestre de la soirée d’ouverture. Après le spectacle, les spectateurs se sont réunis au Stork Club, El Morocco et la distribution à la fête Kaufman-Rodgers au Carlyle.

Lucius Beebe de Stage a écrit: «New York semble complètement bouleversée par le retour de M. Cohan». Si le spectacle avait été quelque peu décevant, les critiques semblaient le considérer comme une vraie réussite. Dans le Times, Brooks Atkinson parle d’«une comédie musicale intelligente et sympathique. Mais ce n’est pas la satire politique vive et brillante à laquelle la plupart d’entre nous nous attendions». Onze jours plus tard, Atkinson a pensé ajouter que «presque toutes les chroniques et pages éditoriales de Washington sont de temps en temps plus caustiques que ce spectacle musical». Burns Mantle dans le Daily News est proche de l’ambivalence ressentie par la plupart des critiques: «Ce n’est pas le plus grand musical jamais écrit ni la plus grande satire politique mise en scène

La «célébrité» des quatre auteurs et la performance électrique de George M. Cohan, ont fait du spectacle le succès de la saison (290 représentations), même avec – ou peut-être à cause de – son discours de clôture sentimental dans lequel Roosevelt ralliait l’Amérique avec une conversation au coin du feu.

Petit clin d’œil: en raison de la situation politique, en mai 1938, Spring in Vienna a été rebaptisée Spring in Milwaukee.