7.
1927 1943 - Difficultés

 8.2.
Oscar Hammerstein
Le génie...

 8.3.2.
Théâtre musical,
une envie de longue date

 8.3.4.
Vers Oklahoma!

 8.4.
Une source solide:
«Green Grow the Lilacs»

 9.
1943 1964 - Golden Age

Même si elle était passionnée par le théâtre musical, Theresa Helburn n’a pas assisté à la première de Porgy and Bess () – elle était en Californie pour raisons professionnelles – mais vu le grand succès, elle s’est très vite intéressée à renouveler cette expérience. Il fallait trouver deux choses: une pièce de théâtre à adapter en musical et un compositeur pour mener cette opération à bien.

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Scène finale de «Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny»
de Bertolt Brecht et Kurt Weill
Städlisches Theatre - Leipzig - 9 mars 1943
© kwf.org

Elle a d’abord pensé au Liliom de Molnár, que la Theatre Guild avait produit en 1921. A la fin 1936 ou début 1937, Helburn décide d'entamer des discussions avec un jeune compositeur de 36 ans, Kurt Weill, un jeune artiste qui avait décidé de fuir l’Allemagne nazie et qui était récemment arrivé aux États-Unis.

Pourquoi lui?

Parce que, malgré sa jeunesse, il était tout sauf un débutant! Il avait une réputation de connaisseur du théâtre politique abrasif acquise lors de ses collaborations avec Bertolt Brecht sur Mahagonny (1927, prolongé en 1930 comme Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny [Élévation et chute de la ville de Mahagonny]) et surtout le célébrissime et magnifique Die Dreigroschenoper () (The Threepenny Opera - L'Opéra de Quat'sous [1928], d’après The Beggar Opera de John Gay de 1728).

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«Song of the guns» dans «Johnny Johnson»
de Paul Green et Kurt Weill
44th Street Theatre - Broadway - 1936
© kwf.org

Après son exil aux Etats-Unis, Kurt Weill ne repart pas de zéro mais il doit quand-même se faire un nom. Kurt Weill est également en demande après le très mitigé «succès d’estime» des 68 représentations de sa pièce musicale contre la guerre Johnny Johnson () (avec Paul Green), jouée à Broadway du 19 novembre 1936 au 16 janvier 1937. Après ce premier projet en demi-teinte, Kurt Weill a accueilli avec enthousiasme le projet Liliom dans une série de lettres écrites entre février et mai 1937. Sans doute pour le texte lui-même, mais aussi sans doute parce qu'il provenait de la prestigieuse Theatre Guild. Dans une première lettre, écrite le 15 février 1937, il donnait un aperçu de ses différents plans pour la poursuite des travaux sur Broadway:

«But what interests me much more than all this, is your idea of doing Liliom as a musical show. The more I think about this idea, the more I feel that it would be absolutely ideal. I have now very definite ideas about it, I know what to do with the book, how to introduce songs, in what style I would write and what form I would give it. The record of Mahagonny which I sent you, will give you a little idea how I would conceive a musical version of Liliom: with all kinds of music, spoken scenes, an orchester of not more than 16 pieces, no chorus, good singing actors (or good acting singers).
I would like very much to know what you have found out about the rights and if you think that the Guild would be interested in this project. When we talked about it, you mentioned also the possibility of doing it in collaboration with another producer. And here I had an interesting experience. I met [Erik] Charell, he was very pleased with my successes on Broadway, and suddenly he said: “I know exactly what you should do next: Liliom. It could be a success like Dreigroschenoper and I would very much like to do it with you.” He seemed terribly excited about it. What would you think of such a combination? But if you don’t like it, I am sure there are many possibilities. Burgess Meredith for instance would be crazy to do it and he has a charming voice. Charell, by the way, thinks I should do it with Francis Lederer (which is not a bad idea).
I don’t like to bother you, dear Terry, because I know how busy you are. On the other side I have to make up my mind within the next 4 weeks what I am going to do next and I feel very strong that here is a unique chance of a success. I would have plenty time out here to work on the book and I am sure I could find here the man who could write the lyrics.
I don’t know anything about the rights, but if it is difficult for you, I could easily get in touch with Molnár directly.
Please let me know how you feel about the whole affair.»

Kurt Weill - 15 février 1937


Dans ses courriers suivants, Weill a également dévoilé ses plans pour créer «non pas un opéra, mais une pièce de théâtre avec des chansons et de la musique, comme Threepenny Opera ()». Pour le casting, il a suggéré James Cagney comme Liliom; et pour le choix d’un collaborateur pour l'écriture:

«La situation idéale serait de trouver un «poète» ou un «parolier» ayant un bon sens du théâtre, avec qui, ensemble, je pourrais faire l’adaptation, car je sais assez bien comment la musique devrait s’intégrer et comment les scènes musicales devraient être réécrites.»

Kurt Weill - 15 mars 1937


Selon lui, Lorenz Hart pouvait être une possibilité, mais Weill ne savait pas à quel point sa relation actuelle avec Richard Rodgers était exclusive. Helburn, à son tour, a suggéré que la mise en scène soit confiée à Rouben Mamoulian, qui avait mis en scène Porgy and Bess () et d’autres pièces de la Guild.

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Première américaine de «The 3-Penny Opera» de B. Brecht et K. Weill
Empire Theatre - Broadway - 13 au 22 avril 9 mars 1933
Un terrible FLOP: 12 représentations seulement!!!
© kwf.org

Mais Kurt Weill a sans doute commis une erreur tactique: Die Dreigroschenoper (L'Opéra de quat'sous) () n’avait pas connu beaucoup de succès lorsqu’il avait été présenté à Broadway en avril 1933 (sous le nom de The Threepenny Opera): 12 représentations! En fait cela avait même été un terrible flop car le public américain n’appréciait pas son aspect politique percutant. Faire référence à Die Dreigroschenoper () n’était sans doute pas judicieux. Mais pire, Weill n’était pas non plus totalement honnête. En fait, Helburn a réussi à lui extorquer l’information que cinq ans auparavant (en fait, sept ans), il avait essayé d’obtenir l’autorisation de l’auteur de Liliom, Molnár, de produire une version musicale de sa pièce, mais avait reçu un refus de l’auteur (ce qui fut le cas pour de nombreux autres compositeurs dont Puccini, Lehár et Emmerich Kalman). Et bien que Weill ait prétendu détester Hollywood, après ce long échange de lettres de plus de trois mois, il a signalé à Helburn qu’on lui proposait «un film musical très intéressant de chez Paramount» (5 mai 1937) — le futur You and Me (1938) de Fritz Lang — et qu’il travaillait en parallèle sur un «spectacle musical» pour Max Gordon (qui n’a rien donné).

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Joseph Schildkraut (Liliom), Evelyn Chard (Louise) et Eva Le Gallienne (Julie) dans la création américaine de «Liliom» en 1921
par la Theatre Guild au Garrick Theatre (succès: 300 représentations)
© Theatre Guild, Ira D. Schwartz, photographer

En fait, le principal problème du projet Liliom restait la réticence de son auteur Molnár à autoriser une adaptation musicale. Et, le 8 mai 1937, Helburn informa Weill du refus catégorique de Molnár d'autyoriser une dapatation musicale de sa pièce. Quelques années plus tard, après avoir assisté à une représentation d’Oklahoma! (), Molnár a changé d’avis. Lorsque la Guild reprit l’idée de transformer Liliom en musical, il accepte cette fois et le résultat fut le magnifique Carrousel () de Rodgers et Hammerstein (1945).

Et Helburn - que l'on n'arrêtait pas si facilement - continua à chercher un musical pour la Guild. Elle a été encouragée par le succès de l'adaptation par Rodgers et Hart de The Comedy of Errors de Shakespeare en musical: The Boys from Syracuse () (1938). Weill est également resté dans la course. En février 1939, Helburn lui parle d’une adaptation de Marco Millions d’Eugène O’Neill, produite par la Guild en 1928. La Guild l’avait déjà proposée à Rodgers et Hart en janvier. O’Neill était enthousiaste, car il voulait transformer d’autres de ses pièces en musicals à la manière de Porgy and Bess () (c’est ce qu’il a affirmé à Helburn), mais les plans ont stagné parce que Hammerstein et Kern avaient développé un spectacle différent sur Marco Polo.

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«The Pirate»
Comédie de S.N. Behrman
Martin Beck Theatre - Broadway
A partir du 25 novembre 1942

Weill envisagea une autre œuvre, basée sur The Devil’s Disciple de George Bernard Shaw (mis en scène par la Guild en 1923), qui aurait eu pour tête d’affiche le couple vedette Alfred Lunt and Lynn Fontannes. Helburn avait déjà eu l’idée d’en faire un musical entre 1931 et 1933 (l’année où Threepenny Opera () a été mis en scène à Broadway) mais Shaw avait alors rejeté son idée à cause de sa mauvaise expérience avec The Chocolate Soldier (1908) d’Oscar Straus, une adaptation musicale de sa pièce Arms and the Man. Rappelons qu’il faudra attendre la mort de Shaw pour pouvoir faire de Pygmalion un musical: My Fair Lady ()!

En juillet 1939, Weill envisageait deux autres adaptations d’O’Neill, même s’il travaillait en parallèle avec S. N. Behrman sur une autre suggestion d’Helburn, The Pirate (également pour Alfred Lunt and Lynn Fontannes). La discussion sur ce dernier projet s’est poursuivie jusqu’en décembre 1939, lorsqu’il a été abandonné, principalement, semble-t-il, à cause de la résistance des Lunts. Helburn relance l’idée, mais plutôt comme une pièce de théâtre avec de la musique, en janvier 1942. Le spectacle sera créé le 25 novembre 1942 avec de la musique de Herbert Kingsley (et une chorégraphie de Felicia Sorel).

En juin 1940, Russel Crouse suggère à Helburn l’idée d’une comédie musicale basée sur Much Ado About Nothing de Shakespeare, toujours avec Kurt Weill. Mais la Guild a rejetté ce projet pour la saison 1940-41 parce qu’ils avaient déjà programmé un Shakespeare: Twelfth Night. Helburn a suggéré de postposer l’idée de Crouse pour la saison 1941-42. Mais rien ne s’est concrétisé.

Entre temps, le 31 mars 1943, Oklahoma! () avait été créé, produit par la Theatre Guild, et ce fut un triomphe. Sans Kurt Weill