0.
Introduction

 1.3.
Les gangs
à New York

 1.4.5.
Robert Moses



 2.
Un mythe:
Romeo & Juliet

Repensez à l'ouverture de la version cinématographique du musical West Side Story en 2021. La caméra parcourt des hectares de gravats et s’arrête devant un écriteau : "This property purchased by the New York Housing Authority for slum clearance." (cette propriété a été achetée par la New York Housing Authority pour l'élimination des taudis).

Entre 1950 et 1957, la ville de New York perd plus de 750 000 habitants blancs de la classe moyenne vers les banlieues. Au cours de la même période, la ville connaît une vaste migration de résidents noirs et portoricains, totalisant plus de 650 000 nouveaux résidents de ces minorités ethniques à Manhattan. Afin de freiner ce changement rapide de la démographie raciale, le gouvernement de la ville commence à utiliser massivement les pouvoirs qui lui sont accordés par le Housing Act of 1949, qui comprend un droit d’expropriation pour utilité publique étendu à des zones plus densément peuplées considérées comme des « taudis ».

Robert Moses, qui en plus est un ami proche du sénateur de New York Robert Taft et du maire Robert Wagner, se nomme lui-même président du NYCSC (New York City Slum Clearance) en 1949, un organisme justifié par la même loi. Il lance une campagne à l'échelle de la ville pour débarrasser la métropole des bidonvilles denses peuplés en grande partie de résidents noirs et hispaniques, et créer plus d'attractions pour faire revenir la classe moyenne blanche dans la ville.

En 1955, trois entités distinctes, l'Université Fordham, le Metropolitan Opera et le New York Philharmonic demandent à Moses de nouveaux locaux. Avec le soutien de John D. Rockefeller III, il crée un monument culturel à la pointe de la technologie : le Lincoln Center for the Performing Arts. Il faudra un combat devant la Cour suprême pour ouvrir la voie developper, mais personne ne peut lui résister.

Le 21 avril 1955, le Slum Clearance Comitee (dont Robert Moses est le président) reçoit le feu vert du New York City Board of Estimate pour commencer la rénovation de Lincoln Square.

Détaillant la dégradation du quartier, un rapport du Slum Clearance Comitee de 1956 indique que 478 des 482 bâtiments résidentiels ont "besoin de réparations majeures" et qu'une mauvaise planification urbaine a conduit à la surpopulation. Le rapport souligne le besoin de logements abordables dans la ville, déjà un problème croissant en 1956, et note que les familles à revenu moyen ont été chassées de San Juan Hill en raison des conditions de vie inférieures aux normes qu’elles y trouvent.

En 1959, le président Dwight Eisenhower inaugure le chantier. Plus de 4’000 nouvelles résidences bourgeoises sont construites dans le quartier, et pas une seule unité ne sera habitée par un ancien résident. Au lieu de cela, les anciens résidents sont expulsés vers les projets de logements de Harlem et du Bronx, créant de nouveaux bidonvilles et faisant de New York l'un des villes les plus ségrégationnées d'Amérique.

En 1962, le Lincoln Center Campus est inauguré et 7 ans plus tard, le projet est achevé. Aux dépens de 7 000 familles et 800 entreprises, le quartier de Lincoln Square a été « revitalisé ». Le Lincoln Center est devenu le siège de 30 salles de spectacles intérieures et extérieures. Outre le campus satellite de Fordham, la Juilliard School, la School of American Ballet et la LaGuardia High School (l'école spécialisée de la ville pour les arts visuels et du spectacle) y ont leurs locaux.

La réputation de Moses décline après la publication de la biographie lauréate du prix Pulitzer de Robert Caro, The Power Broker (1974), qui jette le doute sur les prétendus avantages de nombreux projets de Moses et qualifie Moses de raciste. En effet, nombre de ses projets profitent majoritairement aux Blancs, chassent les autres résidents et provoquent une gentrification de Manhattan.

Dans une interview de 1977 sur la chaîne de télévision publique de New York, WNET, Moses défend la destruction de San Juan Hill. Lorsque l'intervieweur pose des questions sur San Juan Hill, Moses rétorque: "Maintenant, je vous demande, quel était ce quartier? C'était un bidonville portoricain. Vous vous en souvenez?" Non, admet l'hôte. Le professeur Yarimar Bonilla (directeur du Centre d'études portoricaines du Hunter College) affirme que Robert Moses a intentionnellement utilisé un langage très chargé à propos de San Juan Hill : "il a utilisé beaucoup de langage médical pour parler des bidonvilles comme de ces cancers qui devaient être éradiqués et nettoyés, presque comme s'il s'agissait d'une maladie qui pouvait se propager."

En grande partie à cause de ce livre, Moses est aujourd'hui considéré comme une figure controversée de l'histoire de New York.