2.
Un mythe:
Romeo & Juliet

 3.2.
Broadway:
années '50

 3.3.3.
Préproduction
1955-1956:
«Romeo»

 3.3.5.
Préproduction
Casting


 4.
L'après 1957

D) 1957: «Gangway»

L’équipe, enfin sous sa forme définitive, continue le travail. Le projet s’appelle maintenant Gangway.

Le livret original écrit par Laurents suit scrupuleusement Roméo et Juliette, sauf quelques personnages secondaires qui sont supprimés dès le départ. Les scènes de la mort feinte puis du suicide de Juliette disparaissent également. La langue pose un problème : les jurons sont rares dans le théâtre élisabéthain et il faut absolument éviter les expressions argotiques qui ne manqueraient pas de paraître « datées » au moment de la première. Finalement, Laurents invente un langage aux sonorités proches de celles de la rue comme « cut the frabba-jabba », sorti tout droit de son imagination.

Sondheim transforme en paroles de chanson de larges extraits de dialogue, parfois juste une simple phrase comme « un gars comme ça, qui tue ton frère ». Avec l'aide d'Oscar Hammerstein, Laurents persuade Bernstein et Sondheim de la nécessité de déplacer vers la scène située dans la boutique de mariage « Une main, un coeur », considérée trop simpliste pour la scène du balcon et remplacée par une nouvelle chanson écrite à cet effet. Sur d'autres questions il n'est pas suivi : il trouve les paroles d' « en America » et « qu’elle est jolie » trop spirituelles pour les personnages qui les prononcent mais elles sont conservées. Ironiquement, elles deviendront les préférées du public.

En accord avec son sujet audacieux, Sondheim souhaite que West Side Story soit la toute première production de Broadway à utiliser le f-word interdit à l’époque par la censure. Cependant, en réalisant que cela limiterait la distribution de la bande originale du spectacle, il remplace l’insulte par un "Krup you!" qu’il invente.

Bernstein compose simultanément West Side Story et Candide, ce qui conduit à certains échanges de matériel entre les deux œuvres : le duo de Tony et Maria « une main, une cœur », était initialement destiné à Cunégonde. La musique de « Dis, officier Krupke » est tirée de la scène de Venise.

Le thème d’ « en America », l’introduction de Puerto Rico et la scène d’Anita au drugstore sont extraits d'un ballet resté inédit : Conch Town, de 1941, époque au cours de laquelle Bernstein découvre la musique cubaine et se passionne pour elle.

Laurents explique ainsi le style voulu par l'équipe de la création : « De même que Tony et Maria, notre Roméo et notre Juliette, se démarquent des autres enfants par leur amour, de même, nous avons essayé de les démarquer par leur langage, leurs chansons, leurs mouvements. Chaque fois que possible dans le spectacle, nous avons essayé de renforcer l'émotion ou d'articuler l'inarticulé de l'adolescence au travers de la musique, du chant ou de la danse. »

Le spectacle est pratiquement terminé mais presque tous les membres de l'équipe de la création sont occupés à d'autres engagements : Robbins avec Bells Are Ringing, Bernstein avec Candide et, en janvier 1957, Laurents avec sa dernière pièce A Clearing in the Woods, rapidement retirée de l'affiche.

La recherche de producteurs n’est pas évidente : Sondheim et Bernstein jouent les airs à quatre mains mais personne n’accepte de financer le projet, le trouvant trop noir et déprimant. Ils trouvent la partition si complexe que personne ne saura la chanter. Selon eux, aucun spectateur ne veut voir un show où l’acte 1 se termine avec deux des personnages principaux morts sur la scène.

Pour finir, Cheryl Crawford (qui a déjà plusieurs succès à Broadway comme Brigadoon ou Paint your Wagon) accepte le projet. Bien qu’elle ait déjà produit des shows «à risque» comme Porgy and Bess ou des pièces de Tennessee Williams, elle n’est cette fois hélas pas sur la même longueur d’ondes que les créateurs : le budget lui semble exorbitant et les 8 semaines de répétitions que Robbins exige à juste titre (au lieu des 4 habituelles) vont coûter trop cher. Elle estime que les causes de la délinquance ne sont pas assez explorées. Elle trouve la musique trop compliquée pour des chanteurs de musical et le spectacle manquant d’humour : on ajoute la chanson Gee, Officer Krupke. Finalement, six semaines avant le début prévu des répétitions, elle abandonne le projet car les levées de fonds n’ont rien rapporté pour le moment.

Bernstein est découragé mais Sondheim persuade son ami Harold Prince, qui se trouve à Boston pour superviser l'avant-première de la nouvelle comédie musicale de George Abbott New Girl in Town, de lire le script. Prince a déjà produit Wonderful Town (de Bernstein) et The Pajama Game dans lequel Robbins a été impliqué. Il s'envole pour New York avec son partenaire de production Robert E. Griffith pour entendre la partition. Dans ses mémoires, Prince se souvient : « Sondheim et Bernstein étaient assis au piano, jouant leur musique, et bientôt je chantais avec eux. »

Prince commence par réduire le budget et collecter des fonds. Il parvient, avec le coproducteur Robert Griffith, à réunir la somme de 300’000 $ en l'espace d'une semaine. Robbins annonce alors qu'il ne veut pas chorégraphier le spectacle mais se ravise lorsque Prince lui accorde les huit semaines de répétitions qu’il réclame du fait de la place de la danse plus importante dans West Side Story que dans tous les spectacles précédents de Broadway. Il l'autorise également à embaucher Peter Gennaro comme assistant (celui-ci chorégraphiera presque toutes les séquences latinos).

West Side Story a trouvé ses producteurs, la recherche des interprètes peut enfin commencer.