5.
1866 1927 - Recherches

 6.8.
Paul Robeson
«LE» JOE


 6.9.B.
Show Boat
Londres (I) (1928)

 6.10.
Le crash de '29
La fin d'un monde

 7.
1927 1943 - Difficultés

A) Broadway, 27 décembre 1927 - Création mondiale

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Nous avons déjà longuement abordé tous les méandres qui ont amené à la création de ce qui reste l'un des principaux musicals de l'histoire.

Il ne reste plus beaucoup de grands secrets à découvrir pour ce qui concerne la création au Ziegfeld Theatre à Broadway du 27 décembre 1927. Mais reprenons notre trajet chronologique de cette oeuvre qui n'arrêtera pas de «re-naître» depuis...

A.1) Tryouts à Washington (sept 1927)

Les répétitions de Show Boat () démarrent le 13 septembre 1927, avec quelques jours de retard, et les premiers Try-Out ont lieu à Washington. Ziegfeld a investi énormément d’argent dans les costumes et les décors en se disant que le bouche-à-oreille pourra au moins se faire sur ces éléments d’apparat.

Selon le Washington Daily News, dont le journaliste était présent à ce premier tryout du 15 novembre 1927, une annonce a été faite avant le lever de rideau:

«Charles Winninger [l’acteur qui a créé le rôle de Capitaine Andy] est apparu devant le rideau... et, au nom de Florenz Ziegfeld, il a demandé l’indulgence du public envers le nouvel opéra sur le point de commencer. 'M. Ziegfeld,' a annoncé son comédien principal, 'a décidé de présenter toutes les scènes répétées.' Après une petite disgression sur le bon goût et le discernement du public de Washington, M. Winninger s’inclina et se retira, et le rideau se leva.»

Washington Daily News


Et Winninger n’avait pas exagéré! Le rideau s’est levé à 20h30 et est redescendu à minuit quarante, une odyssée de quatre heures dix pour tous les spectateurs. Une chose est certaine, il va falloir raccourcir le spectacle d’environ une heure!

Une répétition se tient le lendemain à 11 heures du matin; elle est suivie d’une matinée à 14 heures, qui dure 4 heures, ce qui est encore bien trop long selon Ziegfeld, qui ordonne de nouvelles coupes: la troupe enchaîne sur la représentation du soir sans avoir pris le temps de manger! Pendant tous les try-Out de Washington D.C., Show Boat () est remanié avant de partir à Pittsburgh, Cleveland et Philadelphie. Partout, l’accueil est triomphal.

Malheureusement, certaines coupures étaient moins judicieuses que d’autres. La disparition d’un ballet ouvrant la scène du Trocadéro n’a sans doute pas été une grande perte, mais la suppression de la chanson Mis’ry’s Comin' Around est terrible. Cette chanson de 5 minutes était placée au début de la scène où le secret de Julie – elle n’est pas blanche mais mulâtre, ce qui mettra fin à sa carrière sur le bateau – est dévoilé. Il s’agit d’une magnifique complainte afro-américaine, tragique et pleine de pressentiments, chantée par Queenie, la cuisinière, accompagnée par le chœur afro-américain. Un moment émouvant préfigurant la scène que nous connaissons. Cette chanson était une autre occasion pour le chœur noir de briller et mais aussi de souligner les mondes très différents dans lesquels vivaient les noirs et les blancs. Ziegfeld a fortement insisté pour la suppression de cette chanson, très lourde. Kern l’adorait. Il l’a donc réinsérée dans l’ouverture musicale du spectacle et en musique de fond à d’autres moments. La chanson Let's Start the New Year a également été supprimée.

A.2) Création à Broadway (déc 1927)

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Sans aucune preview, le 27 décembre 1927, Show Boat () est créé au tout neuf Ziegfeld Theatre de 1.600 places, qui avait été inauguré dix mois plus tôt avec Rio Rita (). Le rideau s’ouvre sur un chœur de 32 hommes et femmes noirs. Outre les décors et les costumes, Ziegfeld a misé sur la foule qui compose les chœurs. Ils sont deux dans cette première version de Show Boat (), comme dans nombre de musicals d’avant la Grande Dépression: le corps de ballet (mené par le chorégraphe Sammy Lee) et le chœur des voix. Ziegfeld, qui risque gros sur ce projet, engagera donc 96 personnes en plus des rôles principaux! Beaucoup prétendent qu’il n’avait pas les moyens d’une telle démesure mais qu’il a joué un va-tout.

Comme nous l’avons vu, c’est un spectacle profondément modifié depuis le premier Try-Out de Washington du 15 novembre qui est présenté en cette fin décembre à Broadway.

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Helen Morgan en couverture de la
Souvenir Brochure De Show Boat à Broadway en 1928

Le public est étonné de ce qu’il voit. L’absence de réactions enthousiastes et bruyantes dans le public provoque un vent de panique aussi bien chez Ziegfeld que chez les auteurs. Ziegfeld chuchote au balcon:

«C’est un flop. Je savais que cela allait être un flop. Je ne voulais pas faire ce spectacle

Les spectateurs, médusés, ne savent pas quoi faire; ils finissent par applaudir poliment et quittent le théâtre.

Ce n’est qu’à la lecture des critiques dans les journaux du lendemain que Ziegfeld comprend qu’il tient une pépite en or, mais, surtout, il voit la queue devant le théâtre pour acheter des billets. Ce sera le plus grand succès de toute la carrière de Ziegfeld.

Son pari fou - cent ans plus tard, il n'y a toujours pas d'autre manière de le qualifier - semble gagné et il retrouvera son investissement déraisonnable au fur et à mesure des ventes de places. Show Boat () va rester à l’affiche pour 572 représentations, jusqu’au 4 mai 1929, rapportant en moyenne 50.000$ de billetterie chaque semaine.

Comme nous l’avons dit, la critique new-yorkaise du lendemain ne tarit pas d’éloges. Alison Smith, du New York World, trouve que le spectacle est «coloré et mélodieux», et Richard Watts Jr., du New York Herald Tribune, déclare que c’est là «l’un des triomphes les plus exceptionnels de la saison, […] un bel exemple de musical comedy». Le livret est complimenté par tous. «Oscar Hammerstein fait sienne la fonction de meilleur auteur de l’entertainment de la ville», renchérit le New York Times. Robert Garland, du New York Telegram, parle de «chef-d’œuvre américain» et félicite Florenz Ziegfeld, qui «a permis à Show Boat d’avoir une classe folle, une élégance et un raffinement». Show Boat () marque le début du musical moderne, même si le «The Cotton Blossom» est un bateau qui donne à voir du Vaudeville, des danses et du chant, vestiges du XIXe siècle…

Mais vous allez voir, tout n’est pas fini pour cette version, mais nous allons en parler dans celle de Londres. La production de Broadway s’étant arrêtée le 4 mai ’29, une tournée de près d’un an commença dès le 6 mai ’29.

Billy Rose Theatre Division, The New York Public Library. "Scene from the stage production Show Boat."
The New York Public Library Digital Collections. 1927. ()