Il n’existe pas deux biographes concordantes de Lorenz Ziegfeld. Chaque biographe trouve que l’un de ses collègues se trompe sur l’une ou l’autre partie de la vie du grand manager. En fait, quelqu’un a-t-il la vérité? Ziegfeld était un manipulateur instinctif à des fins de publicité, un «spin doctor» de classe mondiale dirions-nous aujourd’hui. Il est très difficile de séparer le Ziegfeld réel de l’«image Ziegfeld». Parfois, les faits sont soigneusement cachés derrière l’image.
Par exemple, Ziegfeld a souvent affirmé que quand il avait quinze ans, il avait fugué de chez lui pour rejoindre le célèbre Buffalo Bill's Wild West Show (un spectacle étonnant pour l’époque, destiné à recréer l’atmosphère de l’Ouest américain dans toute son authenticité) et qu’il y a battu Annie Oakley dans un match de tir de précision. Il a été précis sur l'année: 1883. C'est une belle histoire, mais Oakley n'a rejoint le Wild West Show qu'en 1885.
Selon la fille de Ziegfeld, son père a bien assisté à une représentation du Wild West Show et s'est brièvement enfui pour le rejoindre. Quand ses parents l'ont traîné de force à la maison, il avait attrapé le virus du showbiz. C’est là que se troue la simple vérité, enterrée sous des couches d'invention. Voir le spectacle de Buffalo Bill a marqué le moment où Florenz Ziegfeld a été confronté pour la première fois à la passion de sa vie: le show-business.
A) Une vraie famille
Il s’est bientôt écoulé neuf décennies depuis la dernière production de Florenz Ziegfeld à Broadway. Tous ses interprètes et tous les spectateurs sont décédés. Et pourtant, il reste le producteur de théâtre le plus connu de tous les temps. Alors que chaque être humain a ses incongruités, ils sont peu nombreux ceux qui manifestent autant de contradictions que Ziegfeld:
- Un showman avec un flair incommensurable pour la publicité scandaleuse mais qui était timide et réservé en privé.
- Un bourreau de travail qui jonglait souvent avec plusieurs productions à la fois mais qui laissait parfois le courrier non ouvert pendant des mois et pouvait passer des jours au lit sans lever le petit doigt.
- Un dépensier somptueux mais qui laissait parfois des factures impayées ou commodément oubliées.
- Un mari et un père aimant mais dont les nombreuses affaires extraconjugales étaient connues de tous.
- Un travailleur fou, s’investissant dans ses productions mais qui passait toujours les soirées d'ouverture en plein désespoir, convaincu que chacun de ses spectacles ferait un flop.
- Un être vivant une vie luxueuse et épanouie mais qui avait une peur paralysante de la mort et évitait toute horloge, montre ou tout autre rappel que le temps passait.
- Un homme de peu d'humour et qui riait rarement mais qui a découvert plusieurs des plus grands comédiens de son temps.
- Il connaissait des milliers de personnes mais n’avait pas un seul vrai ami.
Malgré ces contradictions – ou peut-être à cause d'elles – Ziegfeld est devenu une légende du show-business. Son nom est synonyme de style théâtral et d'extravagance, invoqué dans d'innombrables livres, pièces de théâtre et films. Trop souvent, son nom est mal prononcé comme "Zieg-FILD" - en fait, il sonne comme il est orthographié, "ZIEG-feld."
Bien que Ziegfeld ait présenté 75 productions à Broadway, on se souvient surtout de lui pour une série de revues, les Follies. Qu'est-ce qui a fait de lui une figure si imposante de l'histoire du théâtre musical? Et pourquoi son nom est-il encore si familier? Pour répondre à cela, nous devons nous plonger sur sa vie et sa carrière. Tout en tentant de séparer les faits de la fiction. Mais quand il s'agit de Ziegfeld, la vérité peut être tout aussi étrange que les plus grands contes.
B) Les débuts
Florenz Ziegfeld est né à Chicago le 21 mars 1867. Sa mère, Rosalie (née de Hez), née en Belgique, était la petit-fille du Général et Comte Étienne Maurice Gérard. Son père, Florenz Ziegfeld père, était un immigrant allemand dont le père était maire de Jever en Frise. Ziegfeld a été baptisé dans l'église catholique romaine de sa mère. Son père était luthérien. Les versions varient quant à l'âge où Florenz a dressé une tente et vendu des billets pour voir «l'incroyable poisson invisible». Ce qu'il présentait n’était rien de moins qu’un grand bol rempli d'eau, rien que de l’eau... Des clients en colère ont exigé un remboursement, mais le jeune homme a déjà à cette occasion pu montrer qui il allait devenir.
Lorsque Chicago a accueilli une Exposition universelle en 1893, le père de Ziegfeld a loué une armurerie qu'il a transformée en salle de concert. Mais les prestations des artistes classiques n'ont pas permis de remplir les sièges! Alors Flo, 26 ans, a transformé la salle de concert en boîte de nuit. Sa sélection de numéros de Variety (soft) s'est avérée populaire et a sauvé son père d'un désastre financier.
Dans sa recherche de talent, Ziegfeld rencontra le colosse d'origine prussienne Eugene Sandow (1867-1925). Les culturistes étaient rares à l'époque, et Ziegfeld estimait que son numéro qui avait du succès bénéficierait beaucoup aux Ziegfeld. Mais il était incapable de proposer à l’artiste les 1.000$ par semaine qu’il gagnait de ses managers du moment. Ziegfeld a alors imaginé d'offrir à Sandow 10% du box-office.
Les prouesses physiques de Sandow étaient fascinantes à regarder: il soulevait plusieurs adultes à la fois ou pliait de véritables barres de fer. Ziegfeld a vite remarqué que les femmes regardaient surtout les muscles impressionnants de la star. Florenz a alors fait photographier Sandow ne portant rien de plus qu'une feuille de figuier. Le résultat se situait quelque part entre l'art et la pornographie douce. Ziegfeld a alors fait savoir qu'en échange d'un «don de charité», les femmes seraient autorisées en coulisses à «toucher» le colosse. Plusieurs épouses de millionnaires ont été les premières à répondre à cette l'offre. Les journaux ont colporté l’histoire de ces matriarches de Chicago ricanant de joie quand elles tâtaient les biceps massifs de Sandow.
Ce simple coup de publicité a fait de Sandow une attraction majeure au box-office de Chicago. En répétant cette démarche dans d'autres villes, Ziegfeld a transformé la tournée de Sandow en un phénomène national. Au fil du temps, Ziegfeld a continué à imaginer des moyens très inventifs pour que son client musclé fasse la une des journaux. À San Francisco, il a été annoncé que Sandow allait lutter contre un lion. L'animal avec qui il était aux prises était si visiblement drogué que le public se moquait. À cette occasion, Ziegfeld a découvert que même la controverse négative permettait de vendre des billets. Partout aux États-Unis, les gens voulaient voir de quoi il s'agissait. Au moment où Ziegfeld et Sandow se sont séparés trois ans plus tard, les deux étaient des hommes riches.