7.
1927 1943 - Difficultés

 8.18.
Principales versions
d'Oklahoma!

 8.19.6.
3 ème création
Carousel

 8.19.8.
Productions suivantes
»Happy Birthday«
«John Loves Mary»


 9.
1943 1964 - Golden Age

Leur première production indépendante, I remember Mama, a été créée en octobre 1944 et la création de leur second musical, Carousel (), six mois plus tard en avril 1945. En août 1945 va sortir au cinéma State Fair (), le seul musical de Rodgers et RodgersRodgers écrite directement pour le cinéma. Si le film sort en août 1945, il a été tourné de janvier à mars 1945. Cela veut dire que ces trois projets ont en fait été gérés de front par nos deux artistes. Mais ils ne se vont pas s'arrêter là…

A) Une histoire de famille

Pour le projet suivant, toujours dans l’effervescence du triomphe d'Oklahoma! (), Richard Rodgers et Oscar Hammerstein ont été approchés pour produire un projet qui a plein d'égards était une vraie histoire de famille.

L’inspiration de ce projet est venue de Dorothy Fields (1904-1974), une éminente parolière et librettiste de Broadway et Hollywood. Elle était la sœur du non moins célèbre Herbert Fields (1897-1958) qui avait été le librettiste de la plupart des musicals du duo Rodgers et Hart durant les années ’30. Elle était aussi la fille de Lew Fields (1861-1941) – célèbre comédien, star de Vaudeville, directeur de théâtre et producteur américain – qui avait produit et écrit le livret des deux premiers spectacles de Rodgers et RodgersRodgers, A Lonely Romeo () (1919) et Poor Little Ritz Girl () (1920). De par les liens de son père et de son frère avec Richard Rodgers, Dorothy n’avait aucun problème à le contacter de manière privilégiée. Par ailleurs, elle connaissait bien Oscar Hammerstein car ils étaient tous deux très impliqués dans l’American Society of Composers, Authors and Publishers (ASCAP), le collectif d’auteurs-compositeurs qui verse des redevances pour les représentations publiques de musique populaire.

Ce qui agite Dorothy Fields est presque dû au hasard. Un employé de la Travelers Aid Society de New York lui avait parlé d’un jeune sergent qui était venu de Coney Island à Pennsylvania Station avec plein de «poupées Kewpie [ndlr une marque aux États-Unis, comme Barbie], de lanternes, des cigares et des bonbons, et une série de médailles de tireur d’élite.» Quand Dorothy Fields a entendu l'expression «tireur d’élite» elle a immédiatement pensé à Annie Oakley. Et une idée lui est immédiatement apparue dans la tête: «Ne serait-il pas merveilleux de voir Ethel Merman incarner Annie Oakley?»

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Ethel Merman, l'Annie Oakley originale (1946)
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La vraie Annie Oakley

Merman était déjà à cette époque une star. Elle avait débuté en 1930 dans Girl Crazy () des frères Gershwin et Guy Bolton. Mais elle avait joué dans de nombreux succès comme Anything Goes () en 1936. Elle avait une voix chaude et extrêmement puissante qui parvenait facilement et clairement au dernier rang du balcon. Cette voix avait fait d’elle une favorite des compositeurs, de George Gershwin à Cole Porter, et une favorite de la critique et du public. Vouloir qu'Ethel Merman incarne cette courageuse tireur d’élite qui avait fait son nom en tournée avec le spectacle «Buffalo Bill's Wild West Show» dans les années 1870. En plus, à ce moment, les Etats-Unis sortant de la Deuxième Guerre mondiale étaient traversés par une vague de nostalgie envers cette période de l'histoire du pays. Ce n'est pas pour rien qu'autant de western furent tournés à Hollywood au même moment.

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La vraie Annie Oakley

La vraie Annie Oakley était morte depuis moins de vingt ans. Oscar Hammerstein (1895-1960) et Reggie Hammerstein (1896-1958) son jeune frère avaient adoré le Wild West Show quand il s'était joué à New York.

Nous avons introduit ce chapitre en disant que Dorothy Fields était la fille de Lew Fields et la sœur de Herbert Fields. Mais elle avait un second frère, Joseph Fields (1895-1966 – auteur, dramaturge, metteur en scène, directeur de théâtre et producteur de films) qui avait écrit le scénario d’un film, une biographie un peu fantaisiste d’Oakley. Il s'agit de Annie Oakley (1935RKO Pictures) avec Barbara Stanwyck dans le rôle-tire. Ce fut un succès.

A l'époque, Herbert et Dorothy Fields s’étaient engagés à écrire un spectacle pour le producteur Mike Todd. Dorothy l’a approché avec son projet sur Annie Aokley, mais Todd s'est déclaré sceptique: «Un spectacle sur une dame qui ne sait rien faire d’autre que d'utiliser des armes à feu?» Herbert dit à sa sœur qu'ils allaient faire ce projet avec une autre producteur. Juste après leur rencontre avec Todd, ils devaient enchaîner avec une réunion à l'American Society of Composers, Authors, and Publishers. Dorothy se rappelle:

«La première personne que j’ai vue quand je suis arrivée, c’était Oscar Hammerstein. Je lui ai dit: «Ockie, que penses-tu d’Ethel Merman dans le rôle d’Annie Oakley?» Il a dit tout simplement: «Nous allons le faire.» C’est tout! Et puis il a dit: «Parles-en à Dick après la réunion.» J’en ai parlé à Dick et Dick a dit la même chose: «Nous allons le faire.» »

Dorothy Fields


Il restait une petite question, mais essentielle. Obtenir l'accord de la … star, Ethel Merman. Or, elle était à l’hôpital, venant d’accoucher. Dorothy Fields, elle-même mère de jeunes enfants, a rendu visite à la star à l’hôpital. Merman se souvient de cette visite:

«J’avais des douleurs postopératoires et je me sentais tout sauf une tireuse d’élite. J’ai demandé à Dorothy de me donner le temps de sortir de l’hôpital.»

Ethel Merman


Fields l’a fait, mais peu de temps après lui a fait parvenir une offre salariale de 4.500 $ par semaine de tournage plus 10% de la recette. Cela a séduit Merman qui a dit oui.

B) Un compositeur: Rodgers? Non. Kern? Oui, mais...

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Oscar Hammerstein II & Jerome Kern

Le projet a pu donc avancer. Les frères et sœur Fields écriraient le livret et Dorothy les paroles. Il ne restait plus qu’à trouver un compositeur. Rodgers ayant accepté de produire le spectacle, il était logique de penser à lui. Mais, depuis Oklahoma! () et le décès de Hart, Rodgers souhaitait ne travailler avec personne d’autre qu'Hammerstein. C'était assez flatteur pour Oscar Hammerstein qui conseilla alors le compositeur avec lequel il avait maintes fois collaboré, Jerome Kern. Dorothy avait déjà travaillé avec lui: la version cinématographique de Roberta () (1935) et aussi sur Swing Time () (1936Oscar meilleure musique et Oscar de la meilleur chanson originale avec The Way You Look Tonight).

Rodgers et Hammerstein ont décidé de le contacter. Rodgers y a été par la flatterie, élégant par rapport à un autre grand compositeur: «Ce serait l’un des plus grands honneurs de ma vie si vous consentiez à composer la musique de ce spectacle.» Pour sa part, Hammerstein lui a confirmé son envie d’une reprise à Broadway de Show Boat (, le plus grand succès de Kern – et le sien qu'Oklahoma! () ne va pas tarder à dépasser. Finalement, Kern accepta, et lui et sa femme Eva vinrent dans l’est au début de novembre, passant le week-end avec Oscar et Dorothy à Highland Farm, avant de se rendre à Manhattan.

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The New York Times - 12 novembre 1945

Le lundi 5 novembre 1945, Eva Kern avait rendez-vous pour déjeuner avec Dorothy Fields, et Jerome Kern a décidé de faire du shopping. Alors qu’il se dirigeait au coin de Park Avenue et de la 57th Street, il s’est effondré. A l’âge de 60 ans, Jerome Kern est terrassé par une hémorragie cérébrale. Il avait oublié de prendre avec lui ses médicaments pour le cœur… Identifié uniquement par sa carte ASCAP (American Society of Composers, Authors and Publishers), Kern a d’abord été conduit dans une salle médicalisée pour indigents, avant d’être transféré au Doctors Hospital à Manhattan. Hammerstein était à ses côtés quand Kern a cessé de respirer. Il fredonnait à l’oreille de Kern la chanson I’ve Told Ev’ry Little Star de Music in the Air () (une des préférées de Kern). Sans réponse, Hammerstein comprit que Kern était mort. Lors des funérailles, Hammerstein n’avait pas tout à fait terminé son éloge funèbre lorsqu’il s’est effondré en larmes. La mort de Kern a laissé le projet Annie Oakley sans compositeur… et son équipe créative désemparée.

C) Un metteur en scène: Joshua Logan

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Joshua Logan

Rodgers a très vite contacté un autre vieil ami: le metteur en scène et réalisateur Josh Logan (1908-1988), avec qui il avait collaboré pour la première fois en 1938 sur I Married an Angel (). Quand Rodgers l'a contacté pour ce nouveau projet, il était à peine âgé de 37 ans, mais était déjà un homme accompli au théâtre et au cinéma. Il avait même étudié brièvement à Moscou avec l'inventeur du jeu d’acteur moderne, Konstantin Stanislavski, observant le grand maître mettre en scène de l'opéra où il visait une «intégration totale du jeu et de la musique».

Mais Logan était bipolaire maniaco-dépressif (on n'appelait pas cela comme cela à l'époque), dans lequel des explosions de créativité incroyable alternaient avec des périodes de doute et de dépression paralysantes, et il avait eu une grave dépression en 1940. Mais il avait des instincts étranges pour le spectacle, et pendant sa période de service dans l’Army Air Corps, il a été co-metteur-en-scène de la revue d’Irving Berlin composée entièrement de soldats, This Is the Army ().

D) Un compositeur, suite: Irving Berlin

C'est lors d’un appel avec Rodgers d'une cabine téléphonique donné depuis Camp Kilmer, New Jersey, où il attendait d’être démobilisé que Logan a appris la terrible nouvelle de la mort de Kern. Quelques jours plus tard, il a entendu la suggestion de Rodgers de choisir Irving Berlin comme compositeur de remplacement. Mais, comme l'avoua Rodgers lui-même:

«Tout le monde était d’accord pour dire qu’il était inutile de lui demander. C’est un patron. Il faut que ce soit son spectacle jusqu’au bout – ses idées, son argent, ses chansons. Il ne travaille pas pour les autres. Nous avons donc commencé à élaborer une liste, quand Oscar a dit: «Attends! Comment un homme peut-il dire non si on ne lui a pas au moins laissé la possibilité de dire oui?» Alors, nous lui avons demandé et il a dit oui.»

Richard Rodgers

 

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Partition de «Blue Skies», la chanson d'Irving Berlin
insérée dans Betsy, le musical de Rodgers & Hart
sans leur «accord» préalable.
Sur la partition, Rodgers & Hart ne sont pas mentionnés.
Ils en sont encore tous deux au tout début
de leurs carrières alors que Berlin est vraiment
un compositeur confirmé, mais tout de même...
Pas étonnant qu'une rancœur soit néee!

S'il y avait quelqu’un qui pouvait intimider Richard Rodgers à ce stade de sa carrière, c’était bien Irving Berlin. Il avait connu son premier succès, Alexander’s Ragtime Band (), en 1911, alors que Rodgers n’avait que neuf ans. Mais c'est surtout lors de la création de Betsy () en 1926, que les choses ont été compliquées. Presque à la dernière minute, le producteur Ziegfeld a inséré une chanson d'Irving Berlin (non écrite par Rodgers et Hart) car Belle Baker, l'actrice principale, estimait que la partition ne lui offrait jusque-là aucune grande chanson à défendre. C’est comme cela que le Blue Skies d’Irving Berlin est devenu la chanson à succès du musical... de Rodgers et Hart! Ils ne savaient rien de ce rajout jusqu’au soir d’ouverture, lorsqu’ils ont vu le programme qui annonçait que Blue Skies avait été «spécialement composée pour Mlle Belle Baker par M. Irving Berlin». Gloups…

Rodgers a vécu cela comme une humiliation cinglante à l’époque, comme si on l'avait jugé incapable d'écrire une chanson à succès. Quand Mary Rodgers, qui était dans la même école que la fille de Berlin, Mary Ellin, la Brearley School, est rentrée à la maison un jour et a demandé: «Maman, qui est le plus célèbre, le père de Mary Ellin ou papa?» Dorothy Rodgers a été forcée de répondre: «Je suis désolée de te le dire, mais c’est le père de Mary Ellin

Mais Oklahoma! () avait au moins rétabli l'équilibre, Rodgers étant devenu une star. Maintenant c’était Berlin dont la confiance était chancelante. Il avait parcouru les zones de combat partout dans le monde avec This Is the Army (), et il était épuisé. En fait, il était devenu le maître de la «vieille école»: la chanson à succès de Tin Pan Alley, l’élégante revue, la comédie musicale dans laquelle les chansons pouvaient être insérées à volonté. L’idée d’une partition intégrée – ce qu’il appelait un «spectacle de situation» – lui était étrangère, et il n’était pas sûr de pouvoir le faire. De plus, que connaissait-il de la musique populaire, au sens de musique du peuple? Ensuite, il y avait aussi la question du crédit; le projet était trop avancé pour lui permettre de devenir une «production d’Irving Berlin».

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Ethel Merman, Irving Berlin, Richard Rodgers
lors des répétitions de «Annie get your Gun»
© Eileen Darby Images, Inc - www.http://www.eileendarby.com

Ironie du sort, Rodgers a cherché à rassurer Berlin. Il lui a expliqué qu'écrire des chansons au départ de situations bien précises ou de personnages très concrets serait plus facile que de les créer au départ de rien. En effet, les Fields avaient déjà esquissé des idées de chansons telles que You Can’t Get a Feller with a Gun. Le conseil d’Oscar Hammerstein sur la façon d’écrire de la musique populaire ('folk') était tout aussi clair: laissez simplement tomber les g sur les extrémités des mots.

Berlin a demandé un week-end pour réfléchir à sa participation, puis a demandé à voir la première ébauche du script de Herbert et Dorothy. Finalement, il s’est retiré dans un hôtel d’Atlantic City avec son secrétaire musical, Helmy Kresa, pour voir ce qu’il pouvait apporter au show. Il se sentait assez confiant pour accepter – et en quelques jours, il a écrit un série de chansons. Dans l’une d’elles, Doin' What Comes Natural, Annie Oakley plaisante sur la façon dont la famille Oakley vit une vie heureuse, malgré leur manque d'éducation et, souvent, d'argent. Dans une autre, Annie déplorait la difficulté d’obtenir un homme alors qu'on est une femme avec une arme à feu. Dans une troisième, elle partagerait une grande ballade romantique, They Say It’s Wonderful, avec son rival tireur d’élite, Frank Butler.

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Ethel Merman dans «Annie get your Gun» (1946)
© Billy Rose Theatre Division, The New York Public Library

La réaction des producteurs, Rodgers et Hammerstein, à l'écoute de ces premières chansons de Berlin fut fantastique, alors il continua. Mais, toujours perclus de doutes, il a pensé qu’une chanson n'avait pas recueilli suffisamment d'appréciation et il l’a jetée. Mais quand Josh Logan a demandé la chanson manquante à la réunion suivante, le secrétaire de Berlin a trouvé le manuscrit jeté sous le téléphone de bureau. Le titre: There's No Business Like Show Business. Et cette chanson deviendra un immense standard. En fin de compte, Berlin a composé une partition puissante, d’une efficacité fracassante, dont au moins onze de ses quatorze chansons sont devenues des succès qui ont continué à exister en dehors du contexte même du spectacle. Cela a évidemment grandement participé au musical, qui était maintenant intitulé Annie Get Your Gun ().

Il aurait dû remercier Rodgers et Hammerstein mais la rivalité était très palpable. John Fearnley, le stage manager de nombreux spectacles de Rodgers & Hammerstein, à déclaré, des années plus tard:

«Berlin est venu à une réunion et a annoncé avec enthousiasme: «Cela va être un tube car il a la même progression d’accord que White Christmas», et une fois qu’il a joué la chanson pour Dick et Oscar, ils lui ont répondu: «Irving, c’est génial. Maintenant, ce dont nous avons besoin ici, c’est d’une chanson entre Frank et Annie quand ils …» »

John Fearnley


Rodgers et Hammerstein avaient beau être devenus les nouveaux rois de Broadway, Berlin restait un vieux bagarreur. Le directeur musical d'Annie Get Your Gun (), Jay Blackton, a déclaré:

«Je dirais qu’Irving Berlin a écrit cette superbe partition non seulement pour lui-même, mais aussi pour Richard Rodgers. Composer encore, encore et encore, pour montrer qu’il l’avait encore cela en lui.»

Jay Blackton


Mais Irving Berlin montra qu’il pouvait aussi être magnanime. Berlin, ayant été embauché pour composer la musique et les chansons, a aussi voulu écrire les paroles de ces chansons. Or cette fonction était au départ destinée à celle qui avait imaginé tout le projet, Dorothy Fields. Mais comme il était reconnaissant de l’inspiration des Fields – les deux frères et la sœur - en suggérant des chansons, il accepta de partager les droits d'auteurs à 50/50 au lieu du tiers habituel pour les auteurs du livret, de la musique et des paroles (ce qui lui aurait fait 66% des droits d'auteurs).

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«Annie get your Gun» à l'Imperial Theatre (1946)
© www.irvingberlin.com

Berlin a également démontré à Richard Rodgers qu'il n’avait rien à lui envier en matière de vitesse de composition. Lors d’une réunion chez Oscar Hammerstein alors que le spectacle prenait sa forme définitive, Josh Logan a chuchoté à Oscar qu’il pensait qu’il devrait y avoir un duo au deuxième acte pour Annie Oakley et Frank Butler, qui n’avaient pas chanté ensemble depuis leur grande chanson d’amour du premier acte, They Say It’s Wonderful. En un éclair, Berlin était à leurs côtés de l’autre côté de la pièce: «Écoutez tous. Josh veut une nouvelle chanson. Josh, où vois-tu cette chanson?» Lorsque Logan a suggéré le deuxième acte, Berlin a demandé: «S’ils ne se parlent pas dans le deuxième acte, comment peuvent-ils chanter ensemble?» À ce moment-là, Rodgers a répliqué: «Pourraient-ils avoir une chanson de querelle ou une chanson de provocation?» Berlin s'est exclamé: «Une chanson de provocation. Bien sûr… La réunion est terminée. Je dois rentrer à la maison, j'ai une chanson de provocation à écrire!» La réunion s'est terminée là et Logan a pris un taxi pour rejoindre son appartement assez proche. Quand il a passé la porte de son domicile, le téléphone sonnait… C'était Irving Berlin qui a commencé à chanter Anything you can do, I can do better.... Logan a crié: «C'est parfait. Bon Dieu, quand avez-vous écrit cela?». Berlin a répondu: «Dans le taxi. Je devais, non? Les répétitions commencent lundi.» Ici encore, cette chanson est devenue un standard.

E) Succès du «vieux modèle»

Annie Get Your Gun () n'a aucune des caractéristiques de rupture avec les conventions comme cela avait été le cas avec Oklahoma! () ou Carousel (): il n’y avait pas de ballet, pas de chanson en solo mettant à nu l'âme d'un personnage, pas de prologue en pantomime. Sa représentation des Amérindiens était caricaturale, même à l'époque, et insensible aux lumières modernes. On restait quant à la forme dans tout ce qu'il y a de plus classique.

Il en est un peu de même pour l'histoire… En fin de compte, Annie conquerrait le cœur de son amant en perdant délibérément un match de tir – ce qui pourrait être considéré comme un geste d’acquiescement féminin traditionnel ou un coup porté à l’autonomisation des femmes, selon l’interprétation que l’on en fait. Mais la pièce avait d’autres atouts primordiaux: un magnifique rôle-cadeau pour une star, un sens du spectacle sans faille et un enchainement de chansons merveilleuses.

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La scène finale d’«Annie Get Your Gun», avec Ethel Merman et Ray Middleton (1946)
© Eileen Darby Images, Inc - www.http://www.eileendarby.com
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«Annie get your Gun» à l'Imperial Theatre (1946)

Le spectacle a été créé à l’Imperial Theatre le 16 mai 1946 et, étonnamment, la majorité des critiques de cette Première ont trouvé la partition d'Irving Berlin décevante. «Un grand musical, qui suit la méthode classique et va chercher la foule» a écrit le magazine Time. «Cela dérange avec rien d’artistique ou de bizarre. » Brooks Atkinson dans le Times a qualifié la partition de Berlin de «routinière» et de «non distinguée», bien qu’il ait admis à propos de Merman: «By the time she is finished with either a song or a part she possesses it completely and very nearly possesses all the other performers and has, at least, a lien on the scenery.» Beaucoup de spectacles n'auraient pas survécu...

L’histoire prouvera que les sceptiques avaient tort. Le spectacle s'est joué 1.147 représentations, soit un peu moins de trois ans, et est devenu un rôle magique tenu par de nombreuses autres actrices après Ethel Merman, et ses chansons ont survécu et ont été reprises aux rythmes de la culture pop, en particulier There’s No Business Like Show Business, l’hymne d'Irving Berlin aux bonheurs de la représentation scénique, qui est devenu l’hymne non officiel du monde du divertissement. Vingt ans plus tard, alors que Merman approche de la soixantaine, Rodgers produira une reprise sensationnelle au Music Theater du Lincoln Center. Le spectacle a été une fois de plus un succès.

Au moment de l'ouverture d'Annie Get Your Gun () le 16 mai 1946, Rodgers et Hammerstein ont à l'affiche à Broadway:

  • Deux musicals dont ils sont les auteurs: Oklahoma! () et Carousel ()
  • Un musical qu'ils produisent dont Hammerstein est auteur: revival de Show Boat ()
  • Un musical qu'ils produisent: Annie Get Your Gun ()
  • Une pièce de théâtre qu'ils produisent: I remember Mama
  • Un revival de Carmen Jones () vient de fermer à Broadway.

Ils sont vraiment devenus les rois de Broadway. Ils ne vont pas s'arrêter là.