7.
1927 1943 - Difficultés

 8.4.
Une source solide:
«Green Grow The Lilacs»

 8.5.3.
Hammerstein,
une ex-valeur sûre...

 8.6.
Les 2 prédécesseurs:
«Show Boat»
«Porgy and Bess»

 9.
1943 1964 - Golden Age

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«Saratoga Trunk»
Première édition

Le premier indice concret que nous ayons d’un partenariat potentiel entre Rodgers et Hammerstein date de la mi-41, quand Rodgers et Edna Ferber - dont le roman avait servi de source pour Show Boat () - ont approché Hammerstein pour qu’il travaille sur le livret d’une version musicale du nouveau roman de Ferber, Saratoga Trunk (). Cela n’a rien donné, Hammerstein ayant décliné la proposition car il tentait à cette époque de relancer Show Boat (). Or, pour Rodgers, sans Hammerstein, ce projet avait perdu tout intérêt. Mais en regardant bien la situation, il semble que cette proposition faisait partie d’une stratégie plus vaste de Rodgers pour trouver une solution de rechange à Hart, de moins en moins fiable, tout en évitant l’accusation de trahir son collaborateur de longue date.

Et en fait, après Oklahoma! (), Hammerstein va travailler exclusivement à Rodgers, à l’exception d’une adaptation de Carmen de Bizet sous le nom de Carmen Jones (), sur laquelle il avait déjà travaillé, et ouvrira à Broadway, après les habituels Try-Out, le 2 décembre 1943, soit 9 mois après Oklahoma! ().

Ils allaient être de fidèles associés pour les créations mais ils ont également formé une société de production de spectacles, mettant à l’affiche les «spectacles des autres»:

  • Des pièces de théâtre :
    • I Remember Mama, de John Van Druten (1944)
    • Happy Birthday, d’Anita Loos (1946)
    • The Happy Time, de Samuel Taylor (1950)
    • The Heart of the Matter, de Graham Greene et Basil Dean (1950)
    • Burning Bright de John Steinbeck (1950)
  • Des musicals :
    • une reprise de Show Boat () (1946)
    • Annie Get Your Gun () (1946; initialement prévu pour Kern) d’Irving Berlin
  • Des musicals :
    • à partir de South Pacific () (1949), ils produisent eux-mêmes leurs créations.
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Page intérieure du PLAYBILL du flop «Sunny River»
Broadway 4/12/1941-3/1/1942

Mais la façon dont Rodgers et Hammerstein ont scellé leur puissante et durable relation reste floue, et sans doute délibérément floue, car aucun des deux ne voulait donner l’impression de trahir Hart. Or, aujourd'hui, on ne peut présenter les choses autrement que de dire que Hammerstein a remplacé Hart. C'est une réalité.

En plus, comme nous l’avons vu, même si Hammerstein a remporté (avec Jerome Kern) un Academy Award en 1942 pour la chanson The Last Time I Saw Paris (dans le film Lady Be Good – reprenant le titre du musical de 1924 des Gershwin, mais sans aucun rapport avec lui !!!)), sa carrière à Broadway était dans un creux, symbolisé par l’échec de Sunny River () (musique de Sigmund Romberg), qui a été massacré par la critique et a tenu l‘affiche seulement 36 représentations du 4 décembre 1941 au 3 janvier 1942.

Max Gordon, son producteur, a été clair sur la leçon qu’Hammerstein devrait tirer de l’expérience, dans sa lettre lui annonçant le 2 janvier sa décision de fermer le musical:

«J’ai noté les recettes hier soir, jeudi, après le Nouvel An et, bien que les affaires soient terribles partout, nous savons que la situation est désespérée. Sunny River appartient à hier. Maintenant, qu’allons-nous faire demain? Tout d’abord, je veux que tu gardes courage parce que toi et moi ferons encore de grandes choses au théâtre ensembles, mais ce ne seront pas des musicals. Il est tout simplement ridicule de risquer cent mille dollars sur ce que 6 hommes vont écrire à ce sujet dans le journal le lendemain de la première.»

Courrier de Max Gordon (producteur de Sunny River) à Hammerstein - 2 janvier 1942


Gordon pense que Hammerstein devrait plutôt écrire une pièce de théâtre ou en mettre en scène une:

«Tu ne peux plus te permettre de perdre ton temps avec des spectacles musicaux et je ne peux plus me permettre de les produire.»

Courrier de Max Gordon (producteur de Sunny River) à Hammerstein - 2 janvier 1942


Il a ajouté dans un post-scriptum:

«Je sais que cela doit être un coup dur pour Rommie [Romberg] et j’ai essayé de le réconforter en lui écrivant une lettre d’explication. J’aimerais que tu lui dises ma position sur les critiques et pourquoi je ne m’intéresserai plus aux pièces musicales.»

Courrier de Max Gordon (producteur de Sunny River) à Hammerstein - 2 janvier 1942


Mais a légèrement adouci son propos dans une note manuscrite envoyée peu de temps après:

«Suite à mon autre lettre sur l’arrêt des spectacles musicaux, il y en a un type que je vais encore faire. Si tu pouvais écrire une pièce avec de la musique pour six artistes exceptionnels dont trois seraient des stars, je donne mon accord. Nous pourrions garder ce genre de spectacle en tournée indéfiniment.»

Courrier de Max Gordon (producteur de Sunny River) à Hammerstein


Il a répété ce conseil le 10 janvier, après que Hammerstein lui ait fait part de son intention d’écrire un chant patriotique pour l’effort de guerre (nous sommes un mois après l’attaque de Pearl Harbor):

«Ton idée d’essayer d’écrire un grand chant patriotique de guerre est bonne et j’espère que tu le feras. Après cela, gardes en tête cette idée de petite pièce musicale avec des stars. Bien sûr, je préférerais que tu écrives une vraie pièce de théâtre et que tu oublies cette absurdité de spectacle musical, mais je prendrai l’autre si tu décides de le faire.»

Courrier de Max Gordon (producteur de Sunny River) à Hammerstein - 10 janvier 1942


Max Gordon s’engagera aussi dans le financement d’Oklahoma! () mais pas aussi largement qu’espéré à l’époque. Mais une chose est sûre: Hammerstein n’était pas du genre à abandonner si facilement.

Avec une obstination remarquable, à la limite de l’obsession – comme l’ont sans doute pensé bon nombre de ses amis – il s’est lancé dans de nouveaux projets. Moins d’un mois après la fermeture anticipée de Sunny River (, le 2 février 1942, il dit à Leighton Brill (auteur et directeur technique):

«J’ai deux éléments qui vont vous intéresser. Un: le succès du revival de Porgy and Bess a ravivé l’intérêt pour Showboat. Deux producteurs réclament agressivement les droits de reprise. La première est Cheryl Crawford, qui a fait Porgy and Bess, et l’autre est Shubert. Le deuxième point intéressant est que Billy Rose [producteur et librettiste] a lu «Saratoga Trunk» d’Edna Ferber [auteure de Show Boat] et a adoré. Des négociations sont en cours — et elles progressent très bien — en vertu desquelles Jerry [Kern] et moi allons acquérir les droits et Billy Rose produira le spectacle. Tout cela ne dit rien quant au moment où le projet allait aboutir. Nous avons accepté de prendre le risqué.»

Oscar Hammerstein


Ce qui a principalement intéressé Hammerstein dans le revival de Porgy and Bess () est qu’il rapportait 7.000$ par semaine. Quant au fait de faire un musical de Saratoga Trunk de Ferber, il a relancé une idée déjà poursuivie par Rodgers et Hart. Mais deux semaines plus tard, un autre producteur contacté, Vinton Freedley, écrit à Jérôme Kern en termes très négatifs à propos du roman, l’ayant trouvé très faible, très loin de la richesse de Show Boat (). Le 21 mars, Hammerstein a déclaré à Angelo Rossitto – qui avait demandé un rôle dans le futur musical:

«En ce moment, je n’ai pas suffisamment progressé dans mon adaptation pour prendre une décision sur ce rôle»

Oscar Hammerstein


Et le 2 avril, il a écrit à Leighton Brill que le projet était abandonné.

D’autre part, son espoir de mettre en scène Show Boat () a Broadway a perduré tout le printemps et l’été. Le 3 mars, Max Gordon a refusé de le financer, mais Hammerstein poursuivait toujours Cheryl Crawford en mai, et un accord potentiel avec MGM pour une production à Broadway suivie d’un film a émergé à mi-mai. Toutefois, le spectacle Show Boat () sera joué 14 fois à St. Louis en août et n’atteindra jamais Broadway.

Il n’est pas exagéré de parler de «creux» dans la carrière d’Hammerstein…

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Programme de «Sunny River» à Londres
Un flop comme à Broadway

Et pourtant, au même moment, en mars 1942, Hammerstein se préoccupe également d’aider le producteur Irving Caesar à sauver un spectacle qui avait fermé en Try-Out mais aussi à planifier une production londonienne de son flop à Broadway, Sunny River (). Plus important encore, ses pensées se sont tournées vers la recherche d’un producteur et d’une distribution pour Carmen Jones (), sur laquelle il travaille depuis janvier, même s'il ne terminera pas l’acte II avant la fin juin et l’acte III qu'à la mi-juillet.

Mais si on en juge par sa correspondance, il avait beaucoup de pain sur la planche et ne cherchait pas désespérément du travail. Il n’était pas pauvre non plus: ses revenus annuels en droits d’auteur étaient estimés à 35.000 $, très respectable pour l’époque.

Quelque chose d’autre a dû l’attirer vers le projet Green Grow the Lilacs (). Mais de même, on peut voir pourquoi l’intérêt de Theresa Helburn de la Theatre Ligue a pu être aiguisé une fois qu’Hammerstein est entré dans la danse… Tout d’abord, Hammerstein était bien connu pour insister sur l’écriture conjointe à la fois des paroles et du livret pour un spectacle donné, contrairement à la pratique habituelle de séparer les deux tâches. Deuxièmement, il avait déjà exprimé très clairement son point de vue sur ce qu’était pour lui un «musical intégré». Dans un article du Theatre Magazine (mai 1925) lié à l’ouverture de Rose-Marie (), Hammerstein plaide avec passion:

«Le musical joue avec la musique et l’intrigue en les soudant dans une cohésion habile.»

Oscar Hammerstein


Show Boat () était une telle «pièce musicale», que certains critiques musicaux ont même comparée à une nouvelle forme d’opéra américain. À un moment donné, aussi, la Guild avait espéré faire de Porgy and Bess () un successeur encore plus tangible de Show Boat () en utilisant la même équipe créative, Kern et Hammerstein. Mais ces derniers s’étaient retirés quand ils avaient appris que George Gershwin avait déjà le projet en tête. La Guild produira le Porgy and Bess () de Gershwin en 1935.

Helburn a peut-être senti cette fois une autre opportunité…