6.
1927 - Show Boat

 7.2.
Les Revues de
l'après Ziegfeld

 7.3.C.
George & Ira Gershwin
(4/10)

 7.3.C.
George & Ira Gershwin
(6/10)

 7.4.
Le Royaume-Uni
Années '20 et '30

 8.
1943 Oklahoma!

D) George et Ira Gershwin (II) (5/10) (Suite)

D.2) Une belle palette de musicals dans les années '30 (Suite)

  Porgy And Bess (1935) - 124 représentations  

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Tombe honoraire de Samuel Smalls, «Porgy»,
érigée sur l’île James, près de Charleston, en 1985
© Ellen Noonan - «The Strange Career of Porgy & Bess»

Les origines de l'œuvre 

L’échec de Let 'Em Eat Cake () a-t-il poussé les Gershwins à passer à autre chose? Quoi qu’il en soit, ils se tournent vers un projet mis en veilleuse depuis plusieurs années qui deviendra le premier grand opéra américain, Porgy and Bess (). L’œuvre provoquera de nombreuses réactions, dont certaines négatives…

L’histoire de Porgy and Bess () a commencé dans la vraie vie, car Porgy était une personne réelle, Samuel "Goat" Smalls, un estropié qui a parcouru les rues de Charleston, en Caroline du Nord, pendant de nombreuses années et dont la vie a toujours été un mystère pour les habitants de la ville. Edwin DuBose Heyward, originaire de Charleston, avait vu cette étrange figure durant son enfance, et cela a alimenté son imagination.

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«Porgy»
Roman de DuBose Edward - 1925
© www.goodreads.com

Porgy and Bess () trouve son origine dans le roman Porgy de Edwin DuBose Heyward publié en 1925, inspiré par ce personnage réel rencontré dans son enfance. Le roman raconte donc l’histoire de Porgy, un mendiant handicapé vivant dans les quartiers noirs de Charleston, en Caroline du Sud, dans les années 1920. Dans certains passages du roman, des personnages noirs parlent en Gullah, une langue créole qui s’était développée parmi les Afro-Américains asservis pendant les années d’esclavage sur les Sea Islands (une série d'une centaine d'îles de la côte atlantique des États-Unis sur le littoral de la Caroline du Sud, de la Géorgie ainsi que du nord-est de la Floride). Porgy est amoureux de Bess, une femme aux vertus douteuses. Mais Bess est abusée par le docker Crown qui lui fournit de l’alcool bon marché et de la cocaïne vendue par le trafiquant local Sportin Life. Cette «poursuite amoureuse» de Bess par Porgy pendant un long et chaud été dans le Sud Profond est un triomphe de passion et de violence. Cette oeuvre retrace sans compromis la vie des Noirs à Charleston, en Caroline du Sud. le roman a été un grand succès: «Bouleversant» New York Evening Post - «Inoubliable» New York Times - «Un roman magnifique» Heyward Brown. Voici les premières phrases du roman:

«Porgy lived in the Golden Age. Not the Golden Age of a remote and legendary past; nor yet the chimerical era treasured by every man past middle life, that never existed except in the heart of youth; but an age when men, not yet old, were boys in an ancient, beautiful city that time had forgotten before it destroyed.»

«Porgy» - DuBose Heyward (1925)

 

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«Porgy»
Pièce de Dorothy et DuBose Edward - 1927
© www.goodreads.com

George Gershwin avait lu le roman en 1926 et a proposé à Heyward de collaborer sur une version lyrique, mais Heyward et sa femme, Dorothy, s’y étaient opposés parce que la Theatre Guild les avait déjà contactés pour en faire une adaptation théâtrale, qui sera créée avec succès en octobre 1927 au Guild Theatre de New York.

En fait, après le triomphe du roman, l’épouse de Heyward, la dramaturge Dorothy Heyward, a proposé une adaptation scénique du roman qui a convaincu son mari des possibilités dramatiques de l’histoire. Ils ont écrit la pièce ensemble, renforçant le personnage de Bess, incorporant des chansons populaires, et créant une fin plus positive où Porgy suit Bess à New York.

Tout comme le roman avait été l’un des premiers à considérer sérieusement la culture afro-américaine, Porgy () fut la première présentation authentique de la culture noire sur la scène de Broadway. Les Heyward ont insisté pour qu’une distribution afro-américaine joue la pièce, offrant un emploi indispensable aux acteurs noirs et offrant au public blanc une vision réaliste de la vie afro-américaine, à la différences des habitudes du blackface.

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La scénographie (de Cleon Throckmorton) du quartier Catfish Row pour la pièce «Porgy» - Broadway 1927
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Percy Verwayne (Sporting Life), Frank Wilson (Porgy)
et Evelyn Ellis (Bess) dans la pièce «Porgy» - Broadway 1927

Parrainé par la Theatre Guild, Porgy () est présenté en première à Broadway, du 10 octobre 1927 au mois d’août 1928, au Guild Theatre et au Republic Theatre. Porgy () part ensuite en tournée — pendant neuf semaines à Chicago, 11 semaines à Londres (au His Mejesty's Theatre) et dans des villes comme Boston, Philadelphie, Cincinnati, Washington, Cleveland, Pittsburgh, Baltimore, Detroit, San Francisco, Los Angeles et d’autres dans le nord-ouest des États-Unis et au Canada. Le spectacle revient à New York, du 13 septembre à octobre 1929, au Martin Beck Theatre.

Après un total de 55 semaines à New York, tous les acteurs principaux de Porgy () ont fait une nouvelle tournée nationale, du 14 octobre 1929 au mois de janvier 1930. Porgy () a marqué les débuts du metteur en scène Rouben Mamoulian à Broadway (on le retrouvera sur Porgy and Bess () mais aussi sur des créations majeures comme Oklahoma! () (1943) ou Carousel () (1945). Représentant un avocat aristocratique de Charleston, Erskine Sanford était l’un des trois seuls acteurs blancs de la distribution de 65 membres de Porgy ().

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Publicité pour la pièce de théâtre «Porgy» (1927)

Après ce succès théâtral, la Theatre Guild a alors l’idée de recalibrer la pièce en comédie musicale avec Al Jolson, la face passée au noir de charbon, dans le rôle principal. Heyward s’y oppose.

Par ailleurs, l’ambition de Gershwin d’écrire un opéra est importante. Et le refus de Heyward le frustre. Son ami Otto Kahn, qui dirige le Carnegie Hall, encourage George à passer à l’acte. Le 30 octobre 1929, il signe un contrat avec le Metropolitan Opera. Il se lance dans une adaptation du Dybbuk, pièce de l'écrivain juif polonais Solomon Rappoport, alias Shoylem An-Sky. Gershwin écrivit plusieurs scènes avant ... de devoir abandonner le projet! Il dut renoncer parce que les droits d'adaptation de la pièce avaient déjà été achetés par le compositeur italien Lodovico Rocca.

En 1934, Heyward propose enfin à Gershwin d’écrire la musique du futur Porgy and Bess () sur base d'un nouveau scénario s'inspirant de son roman. Mais ils savent que cette création va être plus longue que d’habitude, vu l’ambition du projet. Pour subvenir à ses besoins financiers, il entreprend une tournée internationale de concerts pour fêter le dixième anniversaire de la Rhapsody in Blue.

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Photo publicitaire pour le programme radio «Music by Gershwin» (1934)
© Library of Congress & © Gershwin Family Estates

Pour les mêmes raisons financières, Gershwin va aussi se tourner vers la radio. Il s'est engagé pour animer sa propre émission de radio, Music by Gershwin. Il a été créé sur le NBC Blue Network le 19 février 1934, un programme de quinze minutes diffusé les lundis et vendredis à 19h30 jusqu'au mois de mai. L'émission a repris en septembre de la même année, passant à CBS et passant à un format d'une demi-heure une fois par semaine, à 18 heures chaque dimanche. Avec Don Wilson comme annonceur et un orchestre de studio dirigé par Louis Katzman, Gershwin lui-même a présenté les numéros qu'il a sélectionnés pour chaque programme. Il s'agissait généralement d'un mélange de ses propres œuvres et des œuvres de compositeurs populaires contemporains. Gershwin a été assez malin pour comprendre que la radio avait un autre avantage : rendre presque instantanée la création de la musique et sa réception populaire, le rapprochant ainsi de milliers de fans grâce à des performances radiophoniques en direct et des interviews.

Music by Gershwin a peut-être fourni à Gershwin des chèques de paie (2.000$ par semaine) et une bonne publicité, mais ce qui finançait Porgy and Bess () empêchait également ses progrès. «Je vous ai entendu à la radio», écrivit Heyward dans une lettre au compositeur le 2 mars 1934, «et la réception était si bonne qu'il semblait que vous étiez dans la pièce. En fait, l'illusion était si parfaite que je pouvais à peine m'empêcher de vous crier: "George, mais que diable sont les nouvelles de Porgy!!!" ».

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Lettre du 2 mars 1932 de Heyward à Gershwin
© South Carolina Historical Society: www.schistory.org
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Souvenir Programme
Production originale à Broadway à L'Alvin Theatre en 1935

Heyward était de plus en plus inquiet de la chronologie du projet. Il voulait que Gershwin vienne chez lui en Caroline du Sud pour faciliter la progression de l'opéra, mais tant que Music by Gershwin serait diffusé, Gershwin devrait rester à New York. Pourtant, en dépit d'être «déçu» par la situation, Heyward ne pouvait s'empêcher d'admettre que la publicité offerte par l'émission de radio signifierait «de bonnes affaires» pour Porgy and Bess (). En fin de compte, tout a fonctionné. La première série du programme s'est terminée en mai et, avec ses poches bien garnies, Gershwin a pu passer une bonne partie de l'été près de Charleston, la ville natale de Heyward. Ils y visiteront Folly Island, une petite île près de Charleston, où se déroulera l’action de Porgy and Bess (). Gershwin se nourrit de l'environnement local et sa musique. Il a travaillé sur l'opéra là-bas et à New York. Ira Gershwin, à New York, a écrit les paroles de certaines des chansons classiques de l'opéra, notamment It Ain't Necessately So. La plupart des paroles, y compris Summertime, ont été écrites par Heyward, qui a également écrit le livret.


La première mondiale de l’opéra de George Gershwin, Porgy and Bess (), eut lieu lors d’un try-out à Boston au Colonial Theatre le 30 septembre 1935. Moins de deux semaines plus tard, la production ouvrit ses portes à l’Alvin Theatre de Broadway, le 10 octobre pour 124 représentations. La série de représentations pourrait ne pas sembler longue pour un musical, mais elle est impressionnante pour un opéra. Et bien que la production ait perdu de l’argent lors de sa création, il a été repris depuis 16 fois à New York (17 si un revival limité en février 1944 et son retour presque immédiat au cours du même mois sont comptés séparément) pour un total de 1.380 représentations (qui comprend la production originale et ne compte pas les avant-premières de certaines productions de Broadway et d’opéra). De tous les musicals créés à Broadway au cours de la saison 1935-1936, Porgy and Bess () s’est révélé être l’œuvre avec le plus grand avenir, avec On your toes () en deuxième place qui connaîtra deux reprises à Broadway, une version cinématographique et de nombreux enregistrements. Il est enfin important de mentionner que le 10 octobre 1935, Porgy and Bess () a été créé à Boradway à l’Alvin Theatre plutôt qu’au Metropolitan Opera. Gershwin et ses associés estimant que le cadre plus austère du MET éloignerait les foules habituées à voir ses œuvres dans un théâtre de Broadway.

Une grande histoire populaire

L’opéra se déroule dans la cité noire de Catfish Row, près du vieux port de Charleston en Caroline du Sud, mais aussi dans une «jungle de palmiers» voisine (habituellement appelée «Ile Kittiwah»).

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«Porgy and Bess» - Alvin Theatre - Broadway (1935)
© Photo from the Billy Rose Theatre Collection at the New York Public Library Digital Gallery. © Photographe: Vandamm Studio

Acte I - Assise à son balcon, Clara chante une berceuse pour endormir son bébé; c'est le fameux Summertime. La rue s'anime. Parmi les passants se trouve Porgy, un mendiant noir estropié vivant dans les taudis de Charleston, que ses amis taquinent à propos du penchant qu'il semble avoir pour Bess. Celle-ci arrive avec son mari alcoolique, le voyou Crown, qui est ivre et achète de la drogue au petit trafiquant Sportin'Life. Il joue aux dés avec Robbins. Furieux d'avoir perdu, Crown se jette sur lui et le tue. Crown s'enfuit, demandant à Bess de se débrouiller toute seule. Elle cherche refuge chez ses amis, mais toutes les portes se ferment. C'est finalement Porgy qui l'accueille au moment où l'on entend les sirènes de police.

La famille et les amis de Robbins chantent un spiritual (Where is brudder Robbins?). Une soucoupe est posée sur sa poitrine pour récolter de l'argent pour son enterrement. Un détective blanc entre, et dit à Serena, la femme de Robbins, qu'elle doit enterrer son mari rapidement, si elle veut éviter que le corps soit donné à des étudiants de médecine. Il arrête Peter, un badaud, qu'il oblige à témoigner contre Crown. Serena pleure la perte de son mari (My man's gone now). L'ordonnateur des pompes funèbres entre et accepte d'enterrer Robbins si Serena promet de le payer plus tard. Bess et le chœur terminent l'acte avec Leavin' for the Promise' Land.

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«Porgy and Bess» - Alvin Theatre - Broadway (1935)
© Photo from the Billy Rose Theatre Collection at the New York Public Library Digital Gallery. © Photographe: Vandamm Studio

Acte II - Jake et les autres pêcheurs s'apprêtent à partir en mer, Clara demande à Jake de ne pas y aller, et de venir plutôt à un pique-nique. Mais Jake lui répond qu'ils ont terriblement besoin de cet argent. Sportin'Life traîne dans le coin, à vendre de la cocaïne. Un avocat véreux, Frazier, arrive et prononce le divorce de Bess et de Crown. Archdale, un policier blanc, entre et informe Porgy que Peter va bientôt être relâché. Alors que les autres habitants de Catfish Row se préparent pour le pique-nique, Sportin'Life demande à Bess de partir avec lui pour New York, pour y entamer une nouvelle vie; elle refuse. Bess et Porgy sont maintenant seuls, et s'avouent leur amour (Bess, you is my woman now). Le chœur revient alors qu’ils se préparent à partir pour le pique-nique (Oh, I can't sit down). Bess est invitée au pique-nique par Maria, mais elle se plaint que Porgy ne peut pas venir (en raison de son handicap, il ne peut pas monter sur le bateau), mais Maria insiste. Bess finit par accepté, laissant Porgy seul alors qu’ils partent pour le pique-nique. Porgy regarde le bateau partir (reprise I got plenty o' nuttin).

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«Oh, I can't sit down»
«Porgy and Bess» - Alvin Theatre - Broadway (1935)
© Photo from the Billy Rose Theatre Collection at the New York Public Library Digital Gallery. © Photographe: Vandamm Studio
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John Bubbles dans «It Ain’t Necessarily So»
«Porgy and Bess» - Alvin Theatre - Broadway (1935)
© Ira & Leonore Gershwin Trusts

Le chœur s'amuse au pique-nique (I ain't got no shame doin' what I like to do!). Sportin'Life présente au chœur ses vues cyniques sur la Bible (It Ain’t Necessarily So), provoquant Serena à les châtier ("Honte à tous les pécheurs!"). Tout le monde se prépare à partir. Comme Serena, qui a traîné derrière, tente de les suivre, Crown émerge des buissons et lui rappelle que Porgy est "temporaire". Bess veut définitivement quitter Crown (Oh, what you want with Bess?), mais Crown refuse. Il l’attrape et ne la laisse pas aller au bateau, qui part sans elle, puis l’embrasse avec force. Il rit de sa conquête alors que sa résistance commence à échouer, et lui ordonne d’aller dans les bois, où ses intentions ne sont que trop claires.

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Edward Matthews (Jake)
«Porgy and Bess» - Alvin Theatre - Broadway (1935)
© Photo from the Billy Rose Theatre Collection at the New York Public Library Digital Gallery. © Photographe: Vandamm Studio

Une semaine plus tard, Jake part pêcher. Peter est sorti de prison. Bess est couchée dans la chambre de Porgy, où elle délire. Serena prie pour guérir Bess (Oh, Doctor Jesus). La marchande de fraises et le vendeur de crabes appellent les gens dans la rue, et Bess guérit rapidement de sa fièvre.

Porgy dit à Bess qu’il sait qu’elle a été avec Crown, et elle admet que Crown a promis de revenir pour elle. Porgy lui dit qu’elle est libre de partir si elle veut, et elle lui dit que même si elle veut rester, elle a peur de l’emprise de Crown sur elle. Porgy lui demande ce qui se passerait s’il n’y avait pas de Crown, et Bess dit à Porgy qu’elle l’aime et le supplie de la protéger.

Porgy promet qu’elle n’aura plus jamais à avoir peur (I Loves You, Porgy).

Clara surveille la mer, craignant pour Jake. Maria tente du mieux qu'elle peu d’apaiser ses craintes mais soudain, au loin, la sinistre cloche de l’ouragan commence à sonner.

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Scène de la chambre de Serena
«Porgy and Bess» - Alvin Theatre - Broadway (1935)
© Photo from the Billy Rose Theatre Collection at the New York Public Library Digital Gallery. © Photographe: Vandamm Studio

Le lendemain, les résidents de Catfish Row sont tous rassemblés dans la chambre de Serena pour se mettre à l’abri de l’ouragan. Ils noient le son de la tempête avec des prières et des hymnes (Oh, Doctor Jesus) tandis que Sportin'Life se moque de leur supposition que la tempête puisse être un signal du Jour du Jugement. Clara chante désespérément sa berceuse (Summertime [reprise]). On frappe à la porte, et le chœur croit que c’est la Mort (Oh there's somebody knocking at the door). Crown entre radicalement, après avoir nagé de l’île Kittiwah, à la recherche de Bess. Il ne montre aucune crainte de Dieu, affirmant qu’après la longue lutte de Kittiwah, Dieu et lui sont amis. Le chœur tente de noyer son blasphème avec plus de prière, et il les nargue en chantant une chanson vulgaire. (A red-headed woman). Soudain, Clara voit le bateau de Jake flotter à travers la fenêtre, à l’envers, et elle s’enfuit pour essayer de le sauver, donnant son bébé à Bess. Bess demande qu’un des hommes sorte avec elle, et Crown nargue Porgy, qui ne peut pas y aller. Crown s’en va lui-même, criant en quittant: «Très bien, Grand Ami! Nous sommes parti pour un autre combat!» Le chœur continue de prier pendant que la tempête monte.

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Scènographie conçue par Sergei Soudeikine
«Porgy and Bess» - Alvin Theatre - Broadway (1935)
© Photo from the Billy Rose Theatre Collection at the New York Public Library Digital Gallery. © Photographe: Vandamm Studio
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Todd Duncan (Porgy) et Warren Coleman (Crown)
«Porgy and Bess» - Alvin Theatre - Broadway (1935)
© Photo from the Billy Rose Theatre Collection at the New York Public Library Digital Gallery. © Photographe: Vandamm Studio

Acte III - Un groupe de femmes pleurent Clara, Jake, et tous ceux qui ont été tués dans la tempête (Clara, Clara, don't you be downhearted). Crown arrive et réclame Bess. La bagarre qui s'ensuit se termine par la victoire de Porgy, il tue Crown d'un coup de couteau dans le dos et l'étrangle. Porgy s'exclame alors: «You've got a man now. You've got Porgy!» (Tu as un homme maintenant. Tu as Porgy !).

Le lendemain, un détective entre et s'entretient avec Serena et Maria des meurtres de Crown et de Robbins. Elles affirment ne rien savoir et le détective se rend compte qu'il n'arrivera pas à les faire parler. Il demande à Porgy de venir identifier le corps de Crown, mais Porgy est inquiet. Sportin'Life lui raconte que les corps se mettent à saigner en présence de leur meurtrier, ce qui permettra au détective de mettre Porgy en prison. Porgy refuse d'aller reconnaître le corps et est arrêté pour entrave à la justice. Sportin'Life oblige Bess à prendre de la cocaïne et lui raconte que Porgy va rester en prison pour très longtemps. Il lui dit qu'elle devrait commencer une nouvelle vie avec lui à New York (There's a boat dat's leavin' soon for New York). Elle s'en va, mais il sait qu'elle va le suivre, puisqu'elle ne sait pas quand Porgy va revenir.

Une semaine plus tard, par une belle matinée, Porgy est libéré de cette prison où il avait été enfermé pour outrage au tribunal après avoir refusé de regarder le corps de Crown. Il revient à Catfish Row beaucoup plus riche après avoir joué au craps avec ses compagnons de cellule. Il offre des cadeaux aux résidents, et sort une belle robe rouge pour Bess. Il ne comprend pas pourquoi tout le monde semble si mal à l’aise à son retour. Il voit que le bébé de Clara est maintenant avec Serena et se rend compte que quelque chose ne va pas. Il demande où est Bess. Maria et Serena lui disent que Bess est partie avec Sportin'Life pour New York (Oh Bess, Oh Where is my Bess?). Porgy apprête sa carriole à chèvre, et décide de quitter Catfish Row pour la retrouver. Il prie d'en avoir la force, et commence son voyage. (Oh, Lawd, I'm on my way).

La presse de la création

Dans le New York Times, Brooks Atkinson fait remarquer que dans sa version théâtrale, Porgy () manquait «d’une lueur de sentiment personnel». Mais avec la version lyrique, Gershwin a donné une «voix personnelle» au personnage de Porgy et des chansons comme Where is My Bess? et I’m on My Way ont ajouté «quelque chose d’essentiel à l’histoire qui manquait auparavant». Par conséquent, la «peur et la douleur vont plus loin dans Porgy and Bess () que dans la pièce théâtrale Porgy ()». Atkinson a mis en valeur sept chansons, mais a estimé que les séquences récitatives de ces chansons entravaient l’action et il s’est demandé pourquoi des «remarques banales» (comme la question «Ma sœur, vous allez au pique-nique?» et la réponse «Non, je suppose que non») qui ne portaient «aucune émotion» devaient être mises en musique.

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George Gershwin & la troupe lors des applaudissements de l'opening night à l'Alvin Theatre, le 10 octobre 1935.
© Ira & Leonore Gershwin Trusts.

Un compte rendu non signé dans Time fait remarquer que les séquences chorales sont «très éloquentes» et que les critiques «approuvent» les grands moments dramatiques «qui sont soutenus de manière puissante par la musique». Mais il y avait des «discussions animées» au sujet de chansons comme A Woman Is a Sometime Thing ou I Got Plenty o’ Nuttin car pour beaucoup, ces chansons étaient considérées comme trop dans la veine de la comédie musicale traditionnelle et pas assez opératiques.

Musical ou opéra?

Robert A. Simon, dans le New Yorker, rapporte que «certains se demandent si oui ou non» Porgy and Bess () était réellement un opéra, mais à son avis, c’était certainement le cas. Gershwin a pris des séquences dans le texte et les a enrobées par «une musique complètement efficace». De nombreuses chansons (Summertime, I Got Plenty o’ Nuttin, les spirituals, les cris de la rue, certains passages orchestraux et «tout ce qui concerne Sportin'Life») étaient «de remarquables exemples du meilleur Gershwin». Par contre, il estime que lorsque le travail a suivi une direction «conventionnellement opératique», les résultats n'étaient pas particulièrement «convaincants». Une grande partie de la récitation semblait «mal à l’aise», et lorsque le quartier de taudis de Catfish Row était forcé de rentrer «dans les schémas» de Massenet et Puccini, le résultat était forcément «naïf ou mélodramatique».

Pendant des années, cette question de savoir si Porgy and Bess () était ou non un opéra s’est reposée chaque fois que l’œuvre a été remontée, ou même analysée… discutée. Les partisans du genre, d’un bord comme de l’autre, ont longtemps agité le pour et le contre sans toutefois trouver un terrain d’entente. Au cours des dernières décennies, la popularité et l’acceptation des musicals chantés à Broadway a mis un terme à cette polémique. Plus personne ne s’inquiète vraiment de la question de la classification, bien qu’il soit clair que Gershwin lui-même considérait l’œuvre comme un opéra (et pour la soirée d’ouverture à New York, la pièce a été identifiée comme «An American Folk Opera»). La plupart des journaux et magazines contemporains ont décidé que leurs critiques dramatiques (en charge des musicals) et de musique (en charge des opéras) devaient voir l’œuvre, et le consensus général était que les critiques dramatiques étaient plus satisfaits de Porgy and Bess () que les critiques de musique.

Revenons quelques instants à cette notion de «An American Folk Opera». Dans un article du New York Times de 1935, Gershwin expliqua sa motivation pour appeler Porgy and Bess () un Folk Opera, un opéra populaire:

«Depuis la création de Porgy and Bess, on me demande souvent pourquoi cet opéra est dit populaire. La raison en est simple : Porgy and Bess est un récit populaire. Il est donc naturel que ses personnages chantent des airs de leur tradition. Mais quand j'ai commencé le travail sur cette œuvre, j'ai choisi de ne pas faire appel à des matériaux traditionnels parce que je voulais que la musique soit homogène. Aussi ai-je composé mes propres chansons. C'est pourtant de la musique populaire et par conséquent Porgy and Bess, qui est conçu comme un opéra, devient un opéra populaire.»

© George Gershwin - New York Times

 

Une œuvre critiquée

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Catfish Row (Cabbage Row)
Photographie de la façade extérieure du 83-85 Church Street connue sous le nom de Catfish Row (nov 1928)
© Laura Bragg Photograph Album - Charleston Museum (www.charlestonmuseum.org)

Au cours des années 1970, une question plus épineuse a été soulevée par certains critiques en ce qui concerne des écrivains blancs et un compositeur blanc qui ont créé une œuvre sur les noirs. Était-ce présomptueux de la part de ces créateurs? Insultant? Condescendant? Raciste? Et qu’en est-il du dialecte? Les écrivains s’abaissent-ils à des stéréotypes? Dans le contexte de l’époque dans laquelle il a été écrit, Porgy and Bess () était un travail sérieux qui visait à dépeindre la vie des pauvres noirs vivant pendant les années de dépression. Les auteurs se sont penchés sur la vie des pêcheurs et des vendeurs de fraises et de crabes qui vivent à Catfish Row. Ils ont traité du quotidien des gens, avec leurs bonheurs et leurs malheurs, comme l’illustrent respectivement les scènes de pique-nique et d’obsèques.

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Abbie Mitchell (Clara)
«Porgy and Bess» - Alvin Theatre - Broadway (1935)
© Photo from the Billy Rose Theatre Collection at the New York Public Library Digital Gallery. © Photographe: Vandamm Studio

Il est probablement futile de juger n’importe quel travail à travers la lentille politiquement correcte d’aujourd’hui, mais on note que si certains trouvent Porgy and Bess () criticable, chaque œuvre doit-elle être jugée suivant les normes d’aujourd’hui? Est-il «approprié» pour un compositeur juif d’écrire une comédie musicale sur les chrétiens? Si non, il faut interdire The Sound of Music () et même White Christmas ()! Et qu’en est-il du compositeur noir Thomas «Fats» Waller qui a composé un musical avec des personnages tous blancs, Early to Bed ()? De même, peut-on encore monter L’École des Femmes de Molière?

Il y a même ceux qui ne veulent pas voir de personnages imparfaits dans les musicals ou qui ne reflètent pas des croyances politiquement correctes. Certains condamnent Nellie Forbush et le Lieutenant Cable de South Pacific () parce que, au début du musical, ils ne sont pas du tout favorables à la diversité raciale. D’autres s’acharnent contre The King and I () parce que, dans ce musical, le personnage principal, Anna, tente d’introduire les valeurs occidentales à un pays asiatique – peu importe que le Roi l’ait engagée pour faire cela; et d’ailleurs, qu’en est-il du Roi lui-même, après tout, c’est un propriétaire d’esclaves? D’autres encore sont mal à l’aise avec Carousel () dans lequel que Billy Bigelow frappe Julie.

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La «Zion School» pour enfant de couleur - Charleston - Caroline du Sud - Harper's Weekly, 15 décembre 1866.
Les Charlestoniens noirs ont montré un attrait pour l'éducation autant avant qu'après la guerre civile. Ils ont défié les lois qui ont fait de la lecture et de l’écriture un crime pour les esclaves. Après la guerre, ils ont créé des écoles comme la «Zion School» pour les enfants de couleur. La direction et tout le personnel enseignant était Afro-Américain.
© f American Social History Project, Graduate Center, CUNY

Pour en revenir à Porgy and Bess (), il nous semble fondamental de rappeler que l’action se déroule dans les années ‘20, une époque où la situation des Afro-Américains est loin d’être idéale. Et n’oublions pas que George Gershwin exigeait que la distribution soit entièrement noire. À une époque où, même à Washington, il y avait encore des théâtres réservés aux Blancs... Cela a fait froncer les sourcils dans la belle société blanche, mais cela a aussi provoqué de nombreuses grimaces dans les syndicats où perdurait la tradition du Blackface par lequel les comédiens-chanteurs blancs – comme Al Jolson dans The Jazz Singer () – se transformaient en «darkies» pour les besoins de la cause blanche. Gershwin avait grandi à New York et il connaissait la culture noire pour y avoir fréquenté des jazzmen. Dans Porgy and Bess (), il a composé sa musique comme partie du vécu de cette communauté du Sud. Il ne faut pas croire que Gershwin ait dépeint les Noirs de façon dégradante. Il a simplement rendu leur réalité de l’époque en musique.

Une création et des re-créations

Au fur et à mesure que des reprises de Porgy and Bess () ont été produites, il est devenu ridiculeusement traditionnel que chaque nouvelle production s’échine à démontrer à quel point elle était différente des précédentes. Une version annonçait qu’elle éliminait les récitatifs afin de permettre aux chansons de fonctionner selon les méthodes traditionnelles du théâtre musical; une autre rétablissait les récitatifs et d’autres musiques initialement supprimées ou inutilisées pour rendre l’œuvre plus opératique; et une déclarait même qu’elle «expliquerait» les personnages en travaillant leurs antécédents.

Création – USA – 1935

Il faudra pas moins de 20 mois à Gershwin pour composer et orchestrer Porgy and Bess (). Ce fut certainement l'œuvre qui, de tout son parcours musical, exigea de lui le plus grand labeur. Le travail d'orchestration débute fin 1934 et s'achève en septembre 1935. Gershwin compose sa partition parallèlement à l'écriture du livret. Avant les répétitions, il publie une partition chant-piano qui en sera la référence. Mais, au cours des répétitions puis entre la première à Boston et la création à New York, le compositeur devra procéder à d'importantes modifications: l'œuvre durait quatre heures et il a fallu réaliser des coupes importantes, plus de quarante-cinq minutes. «Porgy serait mort avant notre arrivée à New York» plaisanta George en discussion avec son frère Ira. «Personne ne peut chanter aussi longtemps, huit fois par semaine!»

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Todd Duncan (Porgy) et Anne Brown (Bess)
«Porgy and Bess» - Alvin Theatre - Broadway (1935)
© Photo from the Billy Rose Theatre Collection at the New York Public Library Digital Gallery. © Photographe: Vandamm Studio

La distribution de Porgy and Bess () a été difficile à établir. Gershwin insista pour qu'elle ne comprenne que des Noirs, ce qui limita beaucoup le choix des interprètes. N'oublions pas qu'en 1935 les lois ségrégationnistes sont très présentes dans ce pays de la liberté que sont les États-Unis. Il faudra des mois à Gershwin pour trouver son Porgy, Todd Duncan. Anne Wiggins Brown était une jeune étudiante de 20 ans à la Juilliard School, conservatoire supérieur privé de musique et des arts du spectacle de New York de réputation internationale. Anne Brown est la première chanteuse afro-américaine admise là-bas. Quand elle a lu que George Gershwin allait écrire une version musicale de la pièce Porgy (), elle lui a écrit et lui a demandé de chanter pour lui, et la secrétaire de Gershwin l'a invitée. Gershwin a été impressionné et a commencé à demander à Brown de venir chanter les chansons qu'il composait pour Porgy and Bess (). Dans le script de base, le caractère de Bess n’était qu’un caractère secondaire, mais comme Gershwin a été impressionné par le chant de Brown, il a élargi la rôle de Bess et a engagé Brown pour l’incarner. À la fin des répétitions, quand ils étaient prêts à commencer les try-out, Gershwin a invité Brown à déjeuner. Lors de ce repas, il lui a dit: «Je veux que vous sachiez, Mlle Brown, que désormais et pour toujours, l'opéra de George Gershwin sera connu sous le nom de Porgy and Bess ()

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John W. Bubbles (Sportin'Life)
«Porgy and Bess» - Alvin Theatre - Broadway (1935)
© Photo from the Billy Rose Theatre Collection at the New York Public Library Digital Gallery. © Photographe: Vandamm Studio

Ruby Elzy joue Serena. Abbie Mitchell incarne le rôle de Clara, Georgette Harvey celui de Maria, Warren Coleman celui de Crown et Eddie Matthews celui de Jake. J. Rosamond Johnson est le Lawyer Frazier, Ford Buck incarne Mingo, et John W. Bubbles, Sportin'Life. John W. Bubbles n'est pas chanteur, mais danseur de claquettes. Bien qu'idéal pour le rôle, il ne sait pas lire une note de musique. Il doit apprendre par cœur It Ain't Necessarily So. Le chœur, c'est le Eva Jessye Choir. La production et la mise en scène ont été confiées à Rouben Mamoulian, qui avait auparavant mis en scène la production à Broadway en 1927 de la pièce Porgy () de Heyward. Le directeur musical était Alexander Smallens.

La première de Porgy and Bess () a lieu au Colonial Theatre de Boston le 30 septembre 1935. 15 minutes de standing ovation. Deux semaines plus tard, le 10 octobre, le musical débarque à Broadway et la critique est très partagée. La dernière new-yorkaise de Porgy and Bess () a lieu le 25 janvier 1936. Comme nous l’avons dit, le spectacle a été joué 124 fois à l'Alvin Theatre. 124 représentations en 1935, c'est un échec pour une production musicale de Broadway, mais un succès si on considère Porgy and Bess () comme un opéra…

National Tour – USA – 1936

Cette version partira en tournée du 27 janvier au 21 mars 1936 (Forrest Theatre (Philadelphia, PA) - Nixon Theatre (Pittsburgh, PA) - Erlanger Theatre (Chicago, IL) - Cass Theatre (Detroit, MI) - National Theatre (Washington, D.C.)). Pendant la série à Washington, la distribution – sous l’impulsion de Todd Duncan (Porgy) – a protesté contre la ségrégation en place au National Theatre. Il avait longtemps habité à Washington et savait que le National Theatre refusait toute entrée à un spectateur non-blanc. Anne Brown (Bess) témoigne: «Comme prévu, on nous a confirmé que le National Theatre était une maison ségrégationniste. Todd et moi avons refusé de jouer, mais nous avons été menacés par la Theatre Guild qui nous a dit que nous devions chanter ou qu’il y aurait des représailles. Nous nous en fichions. Nous étions catégoriques.» En apprenant cela, le directeur du National Theatre, S.E. Cochran, proposa un compromis à Todd Duncan et Anne Brown: les matinées du mercredi et du samedi pourraient être ouvertes au public noir. Duncan et Brown refusèrent. Cochran est revenu avec une deuxième offre: les clients noirs pourraient s’asseoir au second balcon à n’importe quelle représentation. Duncan et Brown à nouveau répondirent non. À moins que chaque fauteuil ne soit accessible à n’importe quel spectateur, quelle que soit la couleur de sa peau, Todd Duncan et Anne Brown ne paraîtraient pas en scène. Finalement, Cochran se résigna. Blancs et Noirs s’assirent côte à côte pour la première fois dans l’histoire de ce théâtre.

West Coast Production – USA – 1938

En 1938, de nombreux acteurs de la création se sont réunis pour un revival de Porgy and Bess () sur la côte ouest qui a joué à Los Angeles et au Curran Theatre de San Francisco. Avon Long a joué le rôle de Sportin'Life pour la première fois, un rôle qu'il a continué à jouer dans de nombreuses productions au cours d'une longue carrière.

Majestic Theatre – Broadway – USA – 1942, 1943, 1945 & US Tour

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«Porgy and Bess» - Souvenir Program
Majestic Theatre - Broadway (1942)

Malgré le succès de la tournée de 1938, les producteurs et metteurs en scène, effrayés par les recettes décevantes de la première à Broadway, ont hésité à reprendre Porgy and Bess ().

Enfin, en 1942, la productrice et metteuse en scène Cheryl Crawford crée une reprise épurée du spectacle à Broadway. Elle a coupé quelques personnages mineurs et a transformé les récitatifs chers à Gershwin en dialogues parlés. Elle a réduit l’orchestre à la moitié de sa taille.

Le résultat est une version de théâtre musical, et la vente des billets reflète l’approbation du public. La production a connu 286 représentations (à l’époque, un record pour une reprise à Broadway) au Majestic Theatre.

Le spectacle fera un US Tour de 18 mois à travers tout le pays et reviendra à Broadway pour 24 représentations au 44th Street Theatre en septembre 1943 puis une seconde fois pour 64 représentations au City Center du 7 février au 8 avril 1944.

Première Européenne – Danish Royal Opera – Copenhague – Danemark – 1943

Alors que l’appréciation pour Porgy and Bess () grandissait aux États-Unis, le spectacle a traversé l’Atlantique. Le 23 mars 1943, au plus fort de la Seconde Guerre mondiale, le Danish Royal Opera crée l’œuvre à Copenhague. Holger Bech avait traduit le scénario en danois et trois ans après le début de l'occupation nazie, elle a été jouée par une distribution entièrement blanche.

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Le cast danois de «Porgy and Bess» - Danish Royal Opera - Copenhague (1943)
© Royal Library, Copenhagen

Les Allemands, irrités par une production pleine de personnages noirs (même interprétés par des blancs) écrite par le juif George Gershwin, «protestèrent contre cette 'offense' [sic] et menacèrent de faire sauter le théâtre» se souvient Bech. Malgré un public enthousiaste, les nazis ont tenté de fermer la production. Le théâtre refusa et, durant 21 représentations jouées à guichet fermé avec «20 policiers danois postés autour du bâtiment» pour la sécurité. La production est devenue un symbole de résistance à l’occupation nazie du Danemark; les stations de radio diffuseraient It Ain't Necessarily So après les émissions nazies. La production s'est poursuivie par intermittence jusqu'en 1944, date à laquelle «toute la police [sic] danoise a été arrêtée et envoyée dans des camps en Allemagne». Quand les nazis ont menacé de bombarder le théâtre, les directeurs ont mis fin à la série.

La production a ensuite été relancée avec joie en mai 1945 après la fin de l'occupation et a continué à être jouée jusqu'en 1952. Bech a écrit que la représentation de Porgy and Bess () est devenu une partie de «l'esprit de résistance» danois contre les nazis et que la production «a aidé [le peuple danois] à traverser les mauvaises années» de l'occupation.

World Tour – 1952-1956, dont Broadway (1953)

En 1952, le département d’État américain subventionne une tournée de quatre ans de Porgy and Bess () dans le monde. Il s’est joué dans 70 villes différentes situées au total dans 29 pays à travers les cinq continents. Débutant à Dallas, elle passera entre autres par Londres, Vienne, Berlin, Paris, Milan, Montréal, Le Caire, … et finira à Moscou en juin 1956. En début de série, le spectacle s’est joué du 9 octobre 1952 au 10 février 1953 (142 représentations) au Stoll Theatre de Londres. Le spectacle s’arrêtera aussi à Broadway du 10 mars 1953 au 28 novembre 1953 (305 représentations). Le passage final par Moscou est remarquable parce que c’était la première fois qu’une troupe de théâtre américaine était autorisée à se produire à Moscou depuis la révolution bolchévique de 1917. N’oublions pas que nous sommes à cette époque en pleine guerre froide. Autre première de cette tournée, en 1955, Porgy and Bess () devient le premier opéra américain présenté à La Scala de Milan.

Chicago (USA) - 25 juin au 19 juillet 1952
© Special Collections Research Center, George Mason University
Milan (Italie) - 23 au 27 février 1955
© Special Collections Research Center, George Mason University
Anvers (Belgique) - 23 au 30 juin 1955
© Special Collections Research Center, George Mason University
Arhus (Dannemark) - 9 au 16 mai 1956
© Special Collections Research Center, George Mason University

Dans cette version mise en scène par Robert Breen et Blevins Davis, plusieurs chansons retirées dans des productions antérieures sont restaurées. Des dialogues ont été ajoutés à partir du roman Porgy, avec l’approbation de Dorothy Heyward. La production se vantait de proposer un casting all-star avec Leontyne Price comme Bess – ce rôle a lancé sa carrière – et William Warfield comme Porgy – il jouera Joe dans le Show Boat () de la MGM de 1951. La légende du vaudeville Cab Calloway a repris Sportin'Life – un rôle pour lequel Gershwin avait composé en pensant à lui – et la jeune Maya Angelou est intervenue comme danseuse vedette.

Film – 1959

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«Porgy and Bess» - Film (1959)

Avec son succès retentissant sur la scène internationale, Porgy and Bess () est devenu une priorité pour Hollywood. En 1959, le célèbre producteur Samuel Goldwyn offre à Sidney Poitier le rôle de Porgy. Offensé par la représentation des Afro-Américains dans le scénario, Poitier refuse. Goldwyn, a alors exercé des «pressions» sur Poitier qui a finalement accepté le rôle. Avec Poitier à bord, Dorothy Dandridge a accepté de jouer Bess, et Sammy Davis Jr, a fait tout son possible pour qu’on lui laisse jouer le rôle de Sportin’Life. Diahann Carroll et Pearl Bailey ont pris les rôles de Clara et Maria. Adele Addison et Robert McFerrin ont été engagés pour doubler les voix chantées pour Porgy and Bess (), mais aucun d’eux ne sera mentionné dans le générique.

Malgré le casting étoilé, le film a du affronter de nombreux problèmes. Au début du tournage, un incendie «suspect» a détruit le plateau. Le réalisateur Rouben Mamoulian a été congédié à la suite de désaccords artistiques entre lui et Goldwyn. En fait, les comédies musicales hollywoodiennes populaires de l’époque – comme Singin' in the Rain (), Brigadoon () et Kismet () – avaient un ton plutôt jovial. Mamoulian, au contraire, voulait que le film de Porgy and Bess () reflète la ville de Charleston authentique et historique, et a fortement insisté pour y tourner le film. Cela lui semblait possible surtout depuis que le décor avait brûlé dans les studios à Hollywood. Goldwyn finit par le remplacer par le réalisateur Otto Preminger.

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Sidney Poitier (Porgy)
«Porgy and Bess» - © Columbia - Film (1959)

Les descendants de Gershwin ont été très déçu par le film, car la partition a été considérablement modifiée pour en faire une vraie comédie musicale. Une grande partie de la musique a été omise du film et de nombreuses orchestrations de Gershwin ont été soit modifiées, soit complètement abandonnées. Les textes ont aussi été profondément modifiés: au nom d’une pseudo-dignité, tous les aspects dialectaux ont été supprimés pour s’affranchir de toute éventuelle critique raciale. Tout cela a terriblement affadi le propos et a rendu le film terriblement … monotone. Les critiques furent d’ailleurs très dures avec le film. En 1974, quand les droits d’exploitation de 15 ans accordés à Samuel Goldwyn ont expiré, les ayants droit de Gershwin et d’Heyward ont interdit la distribution du film.

Les copies du film sont terriblement rares et le film a été qualifié de «Saint Graal des films disparus». Bien que des copies pirates - de mauvaise qualité - soient disponibles, on ne sait pas si une copie complète et de qualité existe. Michael Strunsky, l’administrateur et exécuteur testamentaire de l’Ira Gershwin Musical Estate, a déclaré au Hollywood Reporter en 2017 qu’Ira Gershwin et son épouse, Leonore, considéraient le film comme une «merde» et aurait demandé à Goldwyn de détruire toutes les copie du film existant encore 20 ans après sa sortie, comme c'était leur droit. Cependant, Michael Feinstein, qui était l’assistant d’Ira Gershwin, affirme que cela n'est pas vrai.

Ce n’est qu’en 2007 que le film a à nouveau été présent en salle, les 26 et 27 septembre, au Ziegfeld Theatre de Midtown-Manhattan, présenté son intégralité, avec ouverture, entracte et musique de sortie, suivi d’une discussion avec le biographe d'Otto Preminger, Foster Hirsch.

Par ailleurs, une version numérisée est disponible à la Bibliothèque du Congrès.

New York City Center – New York – USA – Quatre productions: 1961 & 1962 & 1964 & 1965

Au cours des années 1960 et au début des années 1970, Porgy and Bess () s’est endormi principalement sur les étagères, victime de son racisme perçu. Seule exception à la règle, le New York City Center a présenté l’œuvre quatre fois :

  • 17 mai au 28 mai 1961 (16 représentations) – Mise en scène de William BallWilliam Warfield et Irving Barnes alternant dans le rôle de PorgyLeesa Foster et Martha Flowers alternant dans le rôle de Bess – Une production de «The New York City Center Light Opera Company»
  • 31 mars au 7 avril 1962 (6 représentations) – Mise en scène de William BallLawrence Winters dans le rôle de PorgyLeesa Foster dans le rôle de Bess – Une production de «The New York City Center Light Opera Company»
  • 5 au 17 mai 1964 (15 représentations) – Mise en scène de John FearnleyWilliam Warfield et Irving Barnes alternant dans le rôle de PorgyVeronica Tyler et Barbara Smith Conrad alternant dans le rôle de Bess – Une production de «The New York City Center Light Opera Company»
  • 5 au 14 mars 1965 (6 représentations) – Mise en scène de Ella GerberAndrew Frierson dans le rôle de PorgyJoyce Bryant dans le rôle de Bess – Une production de «The New York City Opera Company»

Pour montrer la «mauvaise passe» que traversait l’œuvre à cette époque – où la lutte des minorités noires était très importante – intéressons-nous à l’avis du critique du New York Times, C. Schonberg sur la version de 1965. Il est très … critique. Il s’est demandé comment ce spectacle pouvait être pris au sérieux, et a suggéré que la meilleure approche était de l’accepter comme un spectacle daté du «Negro Never-Never Land» parce que ce n’était «pas un bon opéra … En fait, un rien de bon tout court». Il a souligné qu’à la lumière des «développements récents» (Malcolm X avait été tué le 21 février 1965 quelques jours avant l’ouverture du 4ème revival), l’opéra était «embarrassant» et contenait «autant de stéréotypes … que "La Case de l’Oncle Tom"». Les personnages étaient des «Nègres superstitieux, joueurs de dés et chanteurs de chants religieux», qui sont comme des «réfugiés d’un antique spectacle de ménestrel».

Houston et Broadway – USA – 1976

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Clamma Dale (Bess) et Donnie Ray Albert (Porgy)
«Porgy and Bess» - Grand Opera House - Broadway (1976)
© Image available on the Internet and included in accordance with Title 17 U.S.C. Section 107.

On va passer à une nouvelle étape en 1976 quand le Houston Grand Opera décide de programmer Porgy and Bess () à l’occasion du bicentenaire des États-Unis. Les équipes vont prendre une décision très importante: revenir à l’œuvre originale, en utilisant même des chansons qui avaient été supprimées par Gershwin lors des try-out en 1932 à Boston, avant Broadway. Cependant, comme les lois syndicales exigeaient que des heures supplémentaires soient facturées pour un spectacle qui dépassait 3 heures, les metteurs en scène John DeMain et Jack O’Brien ont dû faire des modifications. Coupant quelques reprises et des courtes répliques, ils ont terminé avec une production qui a duré 2h58. C’était la première fois que le spectacle était monté par une compagnie d’opéra américaine et pas par une société de production de Broadway.

«Highlights from Porgy and Bess»
(1976 Houston Grand Opera)
© BMG Music (1993)

La production a été transférée à Broadway où elle s’est jouée à l’Uris Theatre du 25 septembre au 5 décembre 1976 puis du 7 décembre 1976 au 9 janvier 1977 au Mark Hillinger Theatre, pour un total de 122 représentations.

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Clive Barnes, dans le New York Times, a affirmé clairement que le «meilleur musical de Broadway ce soir n’est pas un musical», mais un «opéra». Il poursuit en affirmant que ce Porgy and Bess était une «révélation» dans sa «version enfin authentique» et que pour lui c’était un «chef-d’œuvre». Dans le New York Daily News, Douglas Watt proclame que le «chef-d’œuvre se révèle plus grand que jamais» et qu’il «est enfin reconnu à sa juste valeur dans une production passionnante». Selon Edwin Wilson du Wall Street Journal, la troupe du Houston Grand Opera s’est approchée «du paradis du théâtre musical américain». Howard Kissel, dans le Women’s Wear Daily, a souligné que la production «ne pouvait être améliorée» et que ses chansons «époustouflantes» en faisaient «le meilleur spectacle en ville». David Sterritt, dans le Christian Science Monitor, a trouvé l’œuvre «totalement opératique, mais suffisamment urgente et directe pour satisfaire tout public de Broadway avide de divertissement». Et Jack Kroll, dans Newsweek, a déclaré que la production «comble une terrible lacune dans l’histoire du théâtre musical américain» et qu’elle était le résultat d’un «travail d’un professionnalisme passionné» réalisé par les équipes du Houston Grand Opera, qui «a mis tout son courage, son talent et beaucoup d’argent au service de la création de cette version».

Dans le New York Post, Martin Gottfried souligne que la partition de Gershwin est «la plus prodigieuse jamais écrite par un compositeur du théâtre musical américain». Il mentionne que l’opéra a été «chanté de la meilleure des manières» et que même l’acoustique gênante du Théâtre Uris a été «humiliée par la qualité de la prestation».

Cette production a remporté apporté au Houston Grand Opera un Tony Award — le seul opéra à en avoir reçu un — et un Grammy Award en 1978 pour le meilleur enregistrement d’opéra.

Radio City Music Hall – New-York – USA – 1983

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En 1983, le Radio City Music Hall à New York a produit le spectacle, basé sur la production de Houston. Il s’est joué du 7 avril au 15 mai 1983, avec des previews depuis le 19 mars (soit 22 previews et 45 représentations).

Il s’agit de la première production théâtrale totalement mise en scène – et donc pas en version de concert ou semi-concert – à être présentée dans cette salle mythique depuis son ouverture en 1932. Cette salle est gigantesque avec son ouverture de scène de 44 mètres et ses 5.960 fauteuils! Cela a permis de recréer vraiment sur scène le «quartier» de Catfish Row abritant 90 acteurs et 12 danseurs, sous la mise en scène de Jack O'Brien. Sans oublier la présence dans cette production d'un orchestre de 56 musiciens pour donner vie à la musique de Gershwin

MET (Metropolitan Opera) – New-York – USA – 1985

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Simon Estes (Porgy) et Grace Bumbry (Bess)
«Porgy and Bess» - MET - New-York (1985)
© OPERA NEWS Archives.

Rappelons que Gershwin avait toujours voulu monter un opéra. Comme nous l'avons vu, en octobre 1929 il avait signé un contrat avec le Metropolitan Opera pour produire une adaptation du Dybbuk mais qui n'avait pas abouti. Par contre, quand son projet Porgy and Bess () a abouti, il a préféré le présenter à l'Alvin Theatre qu'à l'opéra, pour lui préserver une «approche populaire».

Mais en 1985, à l’occasion du cinquantième anniversaire de sa création, le Metropolitan Opera produit l’œuvre pour la première fois, après l’avoir envisagé depuis les années ’30! Le casting comprenait Simon Estes (Porgy), Grace Bumbry (Bess), Bruce Hubbard (Jake), Gregg Baker (Crown) et Florence Quivar (Serena). La production du MET a été mise en scène par Nathaniel Merrill. Le chef d’orchestre était James Levine. Cette production a ouvert le 6 février 1985 et 16 représentations ont été jouées jusqu’au 4 avril 1985. Le spectacle est revenu à l’affiche du MET la saison suivante (28 octobre 1985 au 8 février 1986) puis durant les saisons 1989-1990 et 1990-1991. Le total de ces quatre séries au MET comporte 54 représentations.

Glyndebourne Festival Opera – Glyndebourne – UK – 1986

Trevor Nunn a mis en scène une très belle version de Porgy and Bess () au Glyndebourne Festival du 5 juillet au 14 août 1986, pour 15 représentations. Le cast comportait Willard White (Porgy), Cynthia Haymon (Bess), Damon Evans (Sportin'life) et Gregg Baker (Crown). L’orchestre est celui du London Philharmonic Opera. Comme à Houston, la partition est l’œuvre complète de la création de Boston. Il est bizarre de se dire que cette version est la première production anglaise de Porgy and Bess () en Angleterre, 51 ans après sa création mondiale! En effet, le spectacle avait été joué au Stoll Theatre de Londres en 1952-1953, mais il s’agissait d’une production américaine en tournée internationale.

«Gershwin: Porgy and Bess»
(Glyndebourne Festival)
© EMI Records Ltd (1989)

Vu la qualité du spectacle, il a été décidé d’en organiser un enregistrement audio en studio. Cela fut possible près d’un an et demi plus tard. Les chanteurs étaient, comme à Glyndebourne accompagné du London Philharmonic Opera sous la direction de Simon Rattle. L’enregistrement a eu lieu en février 1988 au Studio de Abbey Road No.1 à Londres. Il est sorti en 1989 chez EMI.

Selon la veuve d’Ira Gershwin, Leonore, cette production est la plus belle version de l’opéra depuis ses premières représentations en 1935. Durant les années qui la séparent de la mort, en 1991, elle se bat pour qu’une version de cette production soit filmée. Ce sera fait en 1993, dans une production destinée à la télévision (la BBC en Angleterre et PBS aux États-Unis). Il y avait une distribution de chanteurs d’opéra américains, à l’exception de Willard White (Porgy) qui est jamaïcain, mais «sonnait américain». Cynthia Haymon a chanté le rôle de Bess. La "mise en scène" de Trevor Nunn fut considérée comme très imaginative, son casting reçut beaucoup d’éloges critiques, et la production de trois heures conserva presque toute la musique de Gershwin, entendue dans les orchestrations originales de 1935. Cela comprenait les récitatifs chantés de l’opéra, qui ont parfois été transformés en dialogues parlés dans d’autres productions. Aucun dialogue supplémentaire n’a été écrit pour cette production, comme cela avait été fait dans le film de 1959. Pendant la captation, les interprètes ont chanté en playback plutôt qu’en live, menant The New York Times à écrire: «Ce que vous entendez, c’est essentiellement la production acclamée du Glyndebourne Festival de Mr Nunn, dans sa distribution originale intacte. Ce que vous voyez a été filmé plus tard dans un studio de Londres. Les interprètes, certains nouveaux à la production, sont lip-synching. C’est comme si une image élaborée avait été rajoutée à l’enregistrement EMI».

ROH (Royal Opera House) – Londres – UK – 1992

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«Porgy and Bess» - ROH (1992)

L’une des deux maisons d’opéra londoniennes, la ROH (Royal Opera House – l’autre étant l’ENO, l’English National Opera) décide de programmer Porgy and Bess () du 9 octobre au 11 novembre 1992, pour 11 représentations.

Cette production est basée la production créée au Glyndebourne Festival en 1986. On y retrouve d’ailleurs Willard White dans le rôle de Porgy et Cynthia Haymon dans celui de Bess. Sans oublier Damon Evans (Sportin'life) et Gregg Baker (Crown). On retrouve bien entendu Trevor Nunn à la mise en scène qui continue ainsi son travail sur cette oeuvre et ce n'est pas fini, nous y reviendrons...

Juste pour se souvenir de l’ampleur de ces productions complètes, en voici le timing :

  • Acte I et Acte II scène 1: 98 minutes
  • Entracte: 25 minutes
  • Acte II scènes 2, 3, 4 et Acte III: 112 minutes

Soit 3 heures et demie de spectacles ou 4 heures, entracte compris…

New York City Center – New York – USA – 2000 & 2002

La New York City Opera Company qui avait monté le spectacle dans les années ’60, à une période où elle était profondément contestée, décide de le remettre à son programme en 2000, au New York State Theatre. Il sera joué pour 10 représentations du 7 au 25 mars 2000. La mise en scène est assurée par Tazewell Thompson. Marquita Lister incarne Bess et Alvy Powell le rôle de Porgy. Le spectacle sera repris, toujours au New York State Theatre du 1er au 22 mars 2002, pour 10 représentations également, avec toujours Marquita Lister (Bess) et Alvy Powell (Porgy) dans les deux rôles-titres. La représentation du 20 mars 2002 a été diffusée en live à la télévision.

The Gershwins' Porgy and Bess (Nunn) – Savoy Theatre – Londres – UK – 2006

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«Porgy and Bess»
Savoy Theatre (2006)

Attention, il ne s’agit pas ici d’une production supplémentaire de Porgy and Bess (). Même si Trevor Nunn est à la mise en scène. The Gershwins' Porgy and Bess () a été créé le 9 novembre 2006 (previews depuis le 25 octobre) au Savoy Theatre. Bien que ce soit le titre donné à cette production, l’adaptation télévisée de la production de Nunn de 1986 l’a également utilisée en 1993. Mais pour cette nouvelle production, il adapte le long opéra aux conventions du théâtre musical. On passe donc clairement de l’opéra au musical. Travaillant avec les ayants droit de Gershwin et d’Heyward, Nunn réutilisa des dialogues du roman original et de la pièce de théâtre de Broadway Porgy () de 1927 pour remplacer les récitatifs chantés par des scènes parlées plus «naturelles».

Il n’utilisera pas de voix d’opéra dans cette production, mais s’est appuyé sur des acteurs de théâtre musical dans les rôles principaux: Clarke Peters et Nicola Hughes dans les rôles-titres de Porgy et Bess; mais aussi Cornell S John (Crown), O-T Fagbenle (Sportin'life), Dawn Hope (Serena), Melanie E Marshall (Maria), Lorraine Velez (Clara), Edward Baruwa (Jake), Des Coleman (Mingo), Sam Douglas (Detective), Harry Ditson (Mr Archdale/Coroner) et Maurey Richards (Peter).

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«Porgy and Bess» - Savoy Theatre - London (2006)
© Photographe: Tristram Kenton

Porgy and Bess () a été largement retravaillé et réorganisé pour plonger plus profondément dans les racines de la Caroline du Sud. Cette nouvelle interprétation de Porgy and Bess (), rebaptisée The Gershwins' Porgy and Bess () nécessite au Savoy Theatre l’une des plus grandes troupes du West End: 60 personnes, soit 40 acteurs et 20 musiciens d’orchestre. Gareth Valentine a réalisé l’adaptation musicale de l’œuvre pour la réduire à cet orchestre de 20 musiciens, par opposition à l’orchestre symphonique de 50 musiciens de la version que Nunn avait mise en scène à Glyndebourne. Cette toute nouvelle aventure musicale de Trevor Nunn a coûté la bagatelle de 3 millions de livres.

Avec cette profonde transformation de l’œuvre, les intentions de Trevor Nunn sont claires:

«I've directed Gershwin's Porgy and Bess at Glyndebourne, at the Royal Opera House, Covent Garden, and in a production filmed by Primetime television. I think the work is a masterpiece, I never tire of listening to it, and each time I work on it I discover new things in the richly varied score... For several years now, I have been discussing with my friends in the Gershwin family, the possibility of developing a version of the piece that in vocal range and structure would have the quality of music theatre rather than of opera. The opera has already been fully revealed as a work of genius and, whatever we do in this version, the opera will still be there in all its hugely demanding glory, ready to be performed anywhere in the world... We decided to use the structure of what in the trade is known as 'a book musical'. That means that, instead of the narrative being communicated through relatively slow moving recitative, we have scenes as you do in a play. So the language, taken from Heyward's original novel Porgy and his stage play of the same name, can be quite a lot more complex than the words that were selected to be set to the music, but the playing time is shorter. The other changes are to the key structure, with the aim of giving us a raw 'street' sound, so we should hear a scene very differently.»

© Trevor Nunn

 

Malgré des critiques majoritairement positives, la production de Nunn a fermé anticipativement le 5 mai 2007 alors que les réservations étaient ouvertes jusqu’au 27 octobre 2007. Le public a boudé cette adaptation.

The Gershwins' Porgy and Bess (Suzan-Lori Parks) – Richard Rodgers Th. – Broadway – USA – 2012

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«The Gershwin's Porgy and Bess»
Richard Rodgers Theatre - Broadway (2012)

Six ans plus tard, une autre production intitulée The Gershwins' Porgy and Bess () est née aux États-Unis. Comme la tentative de Nunn au Savoy Theatre de Londres, cette version a voulu elle aussi proposer un Porgy and Bess () ayant la forme d’un musical et pas d’un opéra. Il est important de souligner que cette démarche d’adaptation est totalement soutenue, voire encouragée, par les descendants de Gershwin et d’Heyward.

Le livret a été adapté cette fois par Suzan-Lori Parks. Comme dans la version de Nunn, elle a supprimé les récitatifs originaux et les a remplacés par du texte parlé. Elle les a écrits elle-même. William David Brohn et Christopher Jahnke ont créé de nouvelles orchestrations pour la production. Le spectacle a été mis en scène par Diane Paulus et la musique a été adaptée par Diedre Murray.

Cette version a été créée au ART (American Repertory Theatre) à Cambridge dans le Massachusetts, avec des représentations s’étendant du 17 août au 2 octobre 2011. Avant l’ouverture, Paulus, Parks et Murray ont rencontré la presse pour leur expliquer que le but principal de cette production était de «présenter l’œuvre à la prochaine génération de spectateurs». Ils ont expliqué certains changements apportés à l’intrigue, aux dialogues et à la partition opératique pour rendre l’œuvre plus attrayante pour un public contemporain. À côté de nombreux changements mineurs, une nouvelle fin est imaginée qui cherchait à atténuer l’ambiguïté quant à savoir si Porgy et Bess seraient réunis ou pas. La fin originale de l’opéra ne donne pas de réponse. Ces modifications n’ont pas plu à tout le monde, dont quelqu’un de très célèbre parmi eux, Stephen Sondheim qui a envoyé un droit de réponse au New-York Times, où il conteste entre autres la problématique de la fin (en rouge) :

«The article by Mr. Healy about the coming revival of “Porgy and Bess” is dismaying on many levels. To begin with, the title of the show is now “The Gershwins’ Porgy and Bess.” I assume that’s in case anyone was worried it was the Rodgers and Hart “Porgy and Bess” that was coming to town. But what happened to DuBose Heyward? Most of the lyrics (and all of the good ones) are his alone (“Summertime,” “My Man’s Gone Now”) or co-written with Ira Gershwin (“Bess, You Is My Woman Now”). If this billing is at the insistence of the Gershwin estate, they should be ashamed of themselves. If it’s the producers’ idea, it’s just dumb. More dismaying is the disdain that Diane Paulus, Audra McDonald and Suzan-Lori Parks feel toward the opera itself.
Ms. Paulus says that in the opera you don’t get to know the characters as people. Putting it kindly, that’s willful ignorance. These characters are as vivid as any ever created for the musical theater, as has been proved over and over in productions that may have cut some dialogue and musical passages but didn’t rewrite and distort them.
What Ms. Paulus wants, and has ordered, are back stories for the characters. For example she (or, rather, Ms. Parks) is supplying Porgy with dialogue that will explain how he became crippled. She fails to recognize that Porgy, Bess, Crown, Sportin’ Life and the rest are archetypes and intended to be larger than life and that filling in “realistic” details is likely to reduce them to line drawings. It makes you speculate about what would happen if she ever got her hands on “Tosca” and ‘Don Giovanni.” How would we get to know them? Ms. Paulus would probably want to add an aria or two to explain how Tosca got to be a star, and she would certainly want some additional material about Don Giovanni’s unhappy childhood to explain what made him such an unconscionable lecher.
Then there is Ms. Paulus’s condescension toward the audience. She says, “I’m sorry, but to ask an audience these days to invest three hours in a show requires your heroine be an understandable and fully rounded character.” I don’t know what she’s sorry about, but I’m glad she can speak for all of us restless theatergoers. If she doesn’t understand Bess and feels she has to “excavate” the show, she clearly thinks it’s a ruin, so why is she doing it? I’m sorry, but could the problem be her lack of understanding, not Heyward’s?
She is joined heartily in this sentiment by Ms. McDonald, who says that Bess is “often more of a plot device than a full-blooded character.” Often? Meaning sometimes she’s full-blooded and other times not? She’s always full-blooded when she’s acted full-bloodedly, as she was by, among others, Clamma Dale and Leontyne Price. Ms. McDonald goes on to say, “The opera has the makings of a great love story … that I think we’re bringing to life.” Wow, who’d have thought there was a love story hiding in “Porgy and Bess” that just needed a group of visionaries to bring it out?
Among the ways in which Ms. Parks defends the excavation work is this: “I wanted to flesh out the two main characters so that they are not cardboard cutout characters” and goes on to say, “I think that’s what George Gershwin wanted, and if he had lived longer he would have gone back to the story of ‘Porgy and Bess’ and made changes, including the ending.”
It’s reassuring that Ms. Parks has a direct pipeline to Gershwin and is just carrying out his work for him, and that she thinks he would have taken one of the most moving moments in musical theater history — Porgy’s demand, “Bring my goat!” — and thrown it out. Ms. Parks (or Ms. Paulus) has taken away Porgy’s goat cart in favor of a cane. So now he can demand, “Bring my cane!” Perhaps someone will bring him a straw hat too, so he can buck-and-wing his way to New York.
Or perhaps in order to have her happy ending, she’ll have Bess turn around when she gets as far as Philadelphia and return to Catfish Row in time for the finale, thus saving Porgy the trouble of his heroic journey to New York. It will kill “I’m on My Way,” but who cares?
Ms. McDonald immediately dismisses any possible criticism by labeling anyone who might have objections to what Ms. Paulus and her colleagues are doing as “Gershwin purists” — clearly a group, all of whom think alike, and we all know what a “purist” is, don’t we? An inflexible, academic reactionary fuddy-duddy who lacks the imagination to see beyond the author’s intentions, who doesn’t recognize all “the holes and issues” that Ms. Paulus and Ms. McDonald and Suzan-Lori Parks do. Never fear, though. They confidently claim that they know how to fix this dreadfully flawed work.
I can hear the outraged cries now about stifling creativity and discouraging directors who want to reinterpret plays and musicals in order to bring “fresh perspectives,” as they are wont to say, but there is a difference between reinterpretation and wholesale rewriting. Nor am I judging this production in advance, only the attitude of its creators toward the piece and the audience. Perhaps it will be wonderful. Certainly I can think of no better Porgy than Norm Lewis nor a better Bess than Audra McDonald, whose voice is one of the glories of the American theater. Perhaps Ms. Paulus and company will have earned their arrogance.
Which brings me back to my opening point. In the interest of truth in advertising, let it not be called “The Gershwins’ Porgy and Bess,” nor even “The Gershwin-Heyward Porgy and Bess.” Advertise it honestly as “Diane Paulus’s Porgy and Bess.” And the hell with the real one.»

© Stephen Sondheim - New York Times - 10 août 2011


La réponse de la metteuse en scène Diane Paulus, le lendemain, dans le même journal, st très claire:

«The entire creative team and cast have the most enormous love and respect for ‘Porgy and Bess,’ and we are grateful for the support and encouragement we have received from the Gershwin and Heyward Estates for this production.»

© Diane Paulus - New York Times - 11 août 2011


Le critique Hilton Als a répliqué dans The New Yorker que Sondheim avait très peu de connaissance et de contacts à la culture noire et que la version de Paulus a réussi à "humaniser la représentation des races sur scène":

«“Porgy and Bess,” a show about black people, created entirely by white people, has never been a favorite of black audience. Diane Paulus’s great achievement is to cut through Heyward’s muddy folklore and to present us with us something more profound. Her Porgy (the beautiful Norm Lewis) and Bess are not archetypal “black lovers”; they are a man and a woman, human beings who are not defined by their race. By ridding the script of its sociological and anthropological strain, Paulus allows us to see the people and, perforce, to hear the music.»

© Hilton Als - The New Yorker

 

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Audra McDonald (Bess) et Norm Lewis (Porgy)
«The Gershwin's Porgy and Bess»
Richard Rodgers Theatre - Broadway (2012)
© Photographe: Michael J. Lutch

Cette production a été transférée à Broadway au Richard Rodgers Theatre en décembre 2011 (previews) et a ouvert officiellement le 12 janvier 2012. La distribution originale comprenait Audra McDonald comme Bess, Norm Lewis comme Porgy, David Alan Grier comme Sportin'life, Phillip Boykin comme Crown, Nikki Renee Daniels comme Clara, et Joshua Henry comme Jake. Tous les rôles principaux étaient joués par la même distribution qu’à Cambridge. Par contre, à Broadway, la fin originale de l’opéra a remplacé la fin modifée qui était jouée à Cambridge…

Les premières critiques furent positives à mitigées. Tous louaient la performance d’Audra McDonald en Bess, mais les critiques étaient très divisés quant à l’adaptation, la mise en scène et le décor. Certains vantaient l’ampleur intime du drame et la vraisemblance de l’adaptation; d’autres par contre trouvaient la mise en scène floue et que les décors manquaient d’âme. Time Magazine a classé le spectacle en numéro un des productions théâtrales de 2011.

La production a été nominée pour 10 Tony Awards 2012, remportant le prix du meilleur revival d’un musical et le prix de la meilleure interprétation par une actrice dans un musical pour Audra McDonald. La production s’est jouée jusqu’au 23 septembre 2012 et a donné 322 représentations, soit 17 de plus que la reprise de 1953, ce qui en fait la plus longue série de Porgy and Bess () à Broadway jusqu’à aujourd'hui.

The Gershwins' Porgy and Bess (Suzan-Lori Parks) – Regent's Park Open Air Theatre – Londres – UK – 2014

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Rufus Bonds Jr (Porgy) et Nicola Hughes (Bess)
«The Gershwin's Porgy and Bess»
Regent’s Park Open Air Theatre - London (2016)
© Photographe: David Jensen

The Gershwins' Porgy and Bess () a été joué au Regent’s Park Open Air Theatre du 17 juillet au 23 août 2014. Les rôles principaux étaient Rufus Bonds Jr (Porgy), Nicola Hughes (Bess), Cedric Neal (Sportin'life), Phillip Boykin (Crown), Sharon D. Clarke (Mariah), Jade Ewen (Clara) et Golda Rosheuvel (Serena). La mise en scène était de Timothy Sheader qui a utilisé le livret adapté par Suzan-Lori Parks, mais a utilisé un nouvel arrangement de la partition par David Shrubsole. Le spectacle a été nominé pour l’Olivier Awards for Best Musical Revival.

La presse est très bonne pour cette production. Pour le Daily Telegraph: «ELECTRIFYING...thrilling and deeply moving; you are left in no doubt that you are watching a great and courageous piece of musical theatre. (...) It's a knockout show and by the end has achieved a depth of emotion that is OVERWHELMING IN ITS DRAMATIC INTENSITY.» Pour le Guardian: «Finely nuanced and EXQUISITELY SUNG, the lullabys, laments and spirituals shiver in the air like a series of reproaches to a world of hardship and rough justice

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«The Gershwin's Porgy and Bess» - Regent’s Park Open Air Theatre - London (2016)
© Photographe: David Jensen

ENO (English National Opera) – Londres – UK – 2018

Cette production, qui se revendique comme la première version opératique de l’œuvre à Londres depuis près de 30 ans – à savoir la version du ROH (1992), en mettant donc de côté les versions ‘musical’ de l’œuvre du Savoy (2006) et de l’Open Air Theatre (2014). C’est la première fois que l’œuvre est jouée par le prestigieux ENO et il s’agit d’une coproduction avec le MET (Metropolitan Opera, voir ci-dessous) et du Dutch National Opera Amsterdam.

Les représentations londoniennes de déroulent au London Coliseum du 11 octobre au 17 novembre 2018. La mise en scène est de James Robinson et dans les rôles principaux, on retrouve: Eric Greene (Porgy), Nicole Cabell (Bess), Nmon Ford (Crown), Latonia Moore en alternance avec Gweneth-Ann Rand (Serena), Nadine Benjamin (Clara), Tichina Vaughn (Maria), Donovan Singletary (Jake) et Frederick Ballentine (Sportin'life).

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«Porgy and Bess» - ENO - London Coliseum - London (2018)
© The Metropolitan Opera

MET (Metropolitan Opera) – New-York – USA – 2019

La version créée au London Coliseum en 2018 est présentée au MET, au Lincoln Center pour 14 représentations du 23 septembre 2019 au 1er février 2020 (en alternance avec d’autres spectacles), . Le MET étant coproducteur du spectacle, il s’agit de la même version, toujours mise en scène par James Robinson. La distribution est cette fois constituée de Kevin Short et Eric Owens (Porgy), Angel Blue et Elizabeth Llewellyn (Bess), Alfred Walker (Crown), Latonia Moore (Serena), Janai Brugger et Golda Schultz (Clara), Denyce Graves (Maria), Ryan Speedo Green et Donovan Singletary (Jake) et Frederick Ballentine (Sportin'life).

Même si ce ne fut pas le succès espéré lors de la création en 1935, cette œuvre est aujourd'hui l'œuvre phare de Gershwin.