1) Gilbert avant Sullivan  A) Gilbert avant Sullivan  
2) Premiers spectacles  A) Thespsis (1871)    B) Trial by Jury (1875)  
3) Premiers succès  A) The Sorcerer (1877)    B) HMS Pinafore (1878)    C) Pirates of Penzance (1879)  
4) Savoy Theatre  A) Théâtre > prison    B) Richard D'Oyly Carte    C) Rupert D'Oyly Carte  
5) 1ers «Savoy Operas»  A) Patience (1881)    B) Iolanthe (1882)    C) Princess Ida (1884)  
6) Eviter la «pastille magique»  A) The Mikado (1885)    B) Ruddigore (1887)    C) The Yeomen of the Guard (1888)  
 D) The Gondoliers (1889)  
7) Querelle du tapis  A) Les prémices    B) La querelle (1890)    C) Conséquences  
8) Dernières oeuvres communes  A) Utopia, Limited (1893)    B) The Grand Duke (1896)  
9) Après «The Grand Duke»  A) Dernier malentendu (1898)    B) Fins de vies (1900-1901-1911)  
10) Influences  A) Héritage et évaluation    B) Enregistrements et diffusions    C) Influence culturelle  
11) Database  A) Les oeuvres  

 

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William S. Gilbert
(1836-1911)
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Arthur Sullivan
(1842-1900)

Bien avant Rodgers & Hammerstein, Lerner & Loewe ou Andrew Lloyd Webber & Tim Rice, deux hommes doués d'un talent et d'une imagination extraordinaires ont créés une kyrielle de musicals qui ont enchanté le monde entier.

William S.Gilbert et Arthur Sullivan sont les premiers qui ont élevé la comédie musicale au stade de pilier de la culture populaire en Angleterre aussi bien qu'aux États-unis.

Plus d'un siècle plus tard, leurs spectacles continuent à être joués sur les plus grandes scènes du monde.


A) Les débuts

William S. Gilbert naquit au 17 Southampton Street sur le Strand à Londres. Son père, également prénommé William, fut chirurgien de la marine pendant une courte période, avant de se lancer dans l’écriture de romans et de nouvelles, dont certains furent illustrés par son fils. La mère de Gilbert était Anne Mary Bye Morris (1812-1888), fille de l’apothicaire Thomas Morris. Les parents de Gilbert étaient distants et austères et il n’avait de relation particulièrement étroite avec ni l’un ni l’autre. Les disputes entre ses parents se multipliaient et, à la suite de la rupture de leur mariage en 1876, sa relation avec ses parents, et en particulier avec sa mère, devint encore plus tendue. Gilbert avait trois sœurs cadettes, dont deux étaient nées hors d’Angleterre en raison des fréquents déplacements de la famille:

  • Jane Morris (née en 1838 à Milan - Italie, décédée en 1906), qui épousa Alfred Weigall, peintre miniaturiste
  • Anne Maude (1845-1932)
  • Mary Florence (née à Boulogne – France - en 1911)

Aucune de ces deux dernières ne se maria.

Bébé, Gilbert avait le surnom de «Bab», puis celui de «Schwenck» en lien avec les parrain et marraine de son père.

Dans son enfance, William S. Gilbert voyagea en Italie en 1838 et séjourna en France pendant deux ans avec ses parents, avant qu’ils ne finissent par s’établir à Londres en 1847. Il fréquenta l’école à Boulogne (France) à partir de l’âge de sept ans (plus tard il écrivit son journal intime en français afin que les serviteurs ne puissent le lire), puis la Western Grammar School de Brompton à Londres et enfin la Great Ealing School, où il devint représentant des élèves. Il y écrivit des pièces pour l’école et peignit des paysages. Il fréquenta ensuite King’s College à Londres, dont il sortit diplômé en 1856. Gilbert avait l’intention de passer les examens pour rentrer dans l’Artillerie royale, mais la guerre de Crimée s’achevant, les recrutements étaient moins nombreux, et le seul poste disponible aurait été au sein d’un régiment d'infanterie. Ceci étant, il s’inscrivit au Service civil en tant qu’employé adjoint au Bureau du Conseil privé pendant quatre ans, période qu’il détesta. En 1859, il rejoignit la Milice, formation de volontaires à temps partiel dont la mission était la défense du territoire et il y servit jusqu’en 1878, tout en ayant d’autres activités dont l’écriture, et en sortit avec le grade de capitaine.

En 1863, il reçut une donation de 300£ qu’il mit à profit pour quitter le Service Civil et entamer une brève carrière d’avocat (il avait déjà intégré l’Honorable Société de l’Inner Temple en tant qu’étudiant), mais son cabinet n’avait pas grand succès avec quelque cinq clients dans l’année.

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une des illustrations de Gilbert
dans «The Bab Ballads»

À partir de 1861 et afin d’améliorer ses revenus, William S. Gilbert commit nombre d’histoires, de bandes dessinées, de caricatures, des critiques de pièces de théâtre (dont beaucoup sous forme de parodies), et, sous le pseudonyme de «Bab» (son surnom d’enfance) illustra des poèmes pour plusieurs magazines de bandes dessinées, principalement Fun, lancé en 1861 par H.J. Byron. Il publia des histoires, des articles et des critiques pour des journaux tels que le Cornhill Magazine, la London Society, le Tinsley’s Magazine et le Temple Bar. Gilbert était également le correspondant londonien de L’invalide Russe et critique de théâtre pour le Illustrated London Times. Dans les années 1860, il contribua aux suppléments de Noël de Tom Hood, au Saturday Night, au Comic News et au Savage Club Papers. En 1870, le journal The Observer l’envoya en France en tant que correspondant de la guerre franco-prussienne.

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Edition de 1898 de «The Bab Ballads»

Les poèmes, illustrés par William S. Gilbert avec beaucoup d’humour, eurent un immense succès et furent réimprimés sous forme de livre avec le titre The Bab Ballads. Plus tard, il y puisa souvent l’inspiration pour écrire ses pièces et opéras comiques. Gilbert et ses collègues de Fun, dont Tom Robertson, Tom Hood, Clement Scott et F.C. Burnand (qui rejoignit Punch en 1862) fréquentaient le Arundel Club, le Savage Club et également le Café Evans, où ils avaient une table qui était en compétition avec la ‘Table ronde’ de Punch.

Après avoir eu une relation avec la romancière Annie Hall Cudlip au , Gilbert épousa en 1867 Lucy Agnes Turner, de 11 ans sa cadette et qu’il surnomma «Kitty». Au fil des années il lui écrivit de nombreuses lettres pleines d’affection. Gilbert et Lucy avaient une vie sociale très riche à la fois à Londres et plus tard à Grim's Dyke, où ils organisaient des dîners ou étaient invités chez des amis, à l’opposé de ce qui fut décrit dans des fictions telles que le film Topsy-Turvy. Le couple n’eut pas d’enfant, mais fut entouré de nombreux animaux de compagnie, dont certains plutôt exotiques.

B) Les premières pièces

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Programme de «Uncle Baby»

Pendant sa scolarité, William S. Gilbert écrivit et mit en scène un certain nombre de pièces, mais sa première production à titre professionnel fut Uncle Baby, qui resta à l’affiche pendant sept semaines à l’automne 1863.

En 1865-66, William S. Gilbert travaille avec Charles Millward sur plusieurs pantomimes, parmi lesquelles Hush-a-Bye, Baby, On the Tree Top, Harlequin Fortunia, King Frog of Frog Island, The Magic Toys of Lowther Arcade.

Le premier succès de Gilbert en solo intervint cependant quelques jours après la première de Hush-a-Bye. On demanda à son ami et mentor, Tom Robertson, d’écrire une pantomime, mais ce dernier ne se sentait pas capable de rendre sa copie dans les quinze jours exigés et il suggéra qu’on s’adresse à Gilbert. Écrite et montée en 10 jours, Dulcamara, or the Little Duck and the Great Quack, adaptation burlesque de L’Élixir d’amour de Gaetano Donizetti, rencontra un grand succès populaire. Ceci marqua le début d’une longue série d’opéras burlesques, de pantomimes et de farces, pleins de calembours décalés (qui étaient de mise à l’époque), voire parfois de passages satiriques qui seront plus tard la marque des œuvres de Gilbert, tels que:

Que les hommes furent un jour des singes – cela j’en conviens,
(tournant son regard vers Lord Margate)
J’en connais un aujourd’hui qui est moins homme que singe ;
Que les singes furent un jour des hommes, des pairs, des hommes d’État, des larbins –
C’est plutôt dur pour ces pauvres singes !

Dulcamara, or the Little Duck and the Great Quack

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Affiche


Ceci fut suivi par l’avant-dernier opéra parodique, Robert the Devil or The Nun, the Dun, and the Son of a Gun, adaptation burlesque de l’opéra de Giacomo Meyerbeer, Robert le Diable, qui fit partie du triple programme d’ouverture du Gaiety Theatre de Londres en 1868 (voir illustration ci-contre. Cette pièce constitua le plus grand succès de Gilbert à cette date. Elle fut jouée plus d’une centaine de fois et fréquemment reprise et jouée sans relâche en région pendant les trois années suivantes.

Dans le théâtre victorien, «ridiculiser les beaux thèmes classiques… était le quotidien du burlesque, et c’est ce à quoi on s’attendait.» Les comédies burlesques de Gilbert étaient cependant considérées comme ayant un inhabituel bon goût en comparaison avec ce qui se faisait sur la scène londonienne. Isaac Goldberg écrivit que ces pièces «révèlent comment un auteur peut commencer à écrire du burlesque à partir de l’opéra et finir par écrire de l’opéra à partir du burlesqueGilbert se détacha encore plus du burlesque à partir de 1869 en écrivant des pièces avec une trame originale et contenant moins de calembours. Sa première comédie en prose s’intitula An Old Score (1869). Gilbert a décritcette pièce comme «ma première comédie». Il avait déjà écrit plus d'une douzaine d'œuvres scéniques, et même si elles étaient toutes destinées à être drôles, elles étaient dans les styles des burlesques, des extravaganzas, des pantomimes et des farces en un acte. Mais pas de pièces longues, axées sur les personnages. Et ainsi la pièce représente une partie du passage de du statut d'humoriste à celui de dramaturge.

C) Théâtre de divertissement

À l’époque à laquelle Gilbert commença à écrire, le théâtre avait acquis une très mauvaise réputation. La scène londonienne était dominée par des opérettes françaises, mal adaptées et mal traduites et par des opéras burlesques victoriens libidineux. Jessie Bond décrivit très bien la situation en ces termes: «Le choix du spectateur se réduisait à des tragédies guindées ou à des farces vulgaires, et le théâtre était devenu un lieu de mauvaise réputation pour le citoyen britannique exigeant.»

De 1869 à 1875, Gilbert rejoignit l’une des principales figures de la réforme en cours, Thomas German Reed (et sa femme Priscilla Horton), dont la salle, appelée Gallery of Illustration, avait pour objectif de regagner la respectabilité perdue du théâtre en offrant à Londres des distractions pour la famille. Ils obtinrent un tel succès qu’en 1885 Gilbert déclara que les vraies pièces britanniques pouvaient même être vues par d’innocentes adolescentes. Trois mois avant les débuts du dernier opéra burlesque de Gilbert (The Pretty Druidess), sa première pièce pour la Gallery of Illustration, No Cards, fut mise en scène. Gilbert écrivit six pièces musicales pour les German Reeds, certaines dont la musique fut écrite par Thomas German Reed lui-même.

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Affiche de «Ages Ago» - paroles de Gilbert et musique de Frederic Clay
La pièce musicale était l'un des divertissements de German Reed
Victoria and Albert Museum

L’environnement intimiste du théâtre de German Reed permit rapidement à William S. Gilbert de développer un style personnel et lui donna une certaine liberté pour contrôler tous les aspects de la mise en scène, incluant les décors, les costumes, la mise en scène et la régie. Ces pièces furent très appréciées du public et le premier vrai succès de Gilbert à la Gallery of Illustration, Ages Ago, fut créée en novembre 1869. Ages Ago marqua également le début d’une collaboration avec Frederic Clay, laquelle dura sept années et fut à l’origine de quatre œuvres. Ce fut lors d’une répétition d’Ages Ago que Clay présenta officiellement Gilbert à un de ses amis, Arthur Sullivan. Les Bab Ballads et les nombreuses pièces musicales qu’il avait écrites auparavant avaient font de Gilbert un parolier à part entière même avant sa collaboration avec Sullivan.

De nombreux éléments des trames des pièces pour German Reed (de même que de celles de ses premières pièces et des Bab Ballads) furent réutilisés ultérieurement par William S. Gilbert dans les opéras qu’il écrivit avec Sullivan. Parmi ces éléments, on peut citer des peintures qui s’animent (dans Ages Ago et réutilisées dans Ruddigore ()), une nourrice sourde prenant par erreur le fils d’un homme respectable pour un «pirate» au lieu d’un «marin» (Our Island Home (1870) réutilisé dans The Pirates of Penzance ()), et une femme d’âge mûr énergique qui est «quelqu’un que l’on apprend à aimer» (Eyes and No Eyes (1875) réutilisé dans The Mikado ()).

Pendant cette période, Gilbert peaufina le style «topsy-turvy» qu’il avait déjà développé dans ses Bab Ballads et où l’humour trouvait son origine dans l’élaboration d’une situation initiale ridicule et du développement logique des conséquences, toutes absurdes qu’elles soient. Mike Leigh décrit ainsi le style «gilbertien»:

«Avec une grande aisance et une grande liberté, [Gilbert] nous prend constamment par surprise. Tout d’abord, dans le déroulement du scénario, il fait apparaître des situations bizarres et bouleverse notre univers. Ainsi le Juge Erudit épouse la Plaignante, les soldats se métamorphosent en esthètes et ainsi de suite, et dans presque chaque opéra la situation se trouve rétablie grâce à une habile modification des règles du jeu… Son génie réside dans sa capacité à mélanger ce qui s’oppose grâce à un imperceptible tout de passe-passe, le surréaliste avec le réel, la caricature avec le naturel. En d’autres termes, il est capable de nous raconter une histoire complètement aberrante avec le plus grand sérieux qui soit.»

Mike Leigh - "True anarchists" - The Guardian - 3/11/2006

 

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W.H. Kendal et Madge Kendal dans les rôles-titres de
«Pygmalion and Galatea» de Gilbert à la création en 1871
Victoria and Albert Museum

En parallèle, William S. Gilbert créa plusieurs «comédies féériques» au Theatre Royal Haymarket. Cette série de pièces était basée sur l’idée d’autorévélation de personnages sous l’influence de quelque phénomène magique ou surnaturel. La première, The Palace of Truth (1870), fut en partie basée sur une histoire de Madame de Genlis.

En 1871, Gilbert obtint son plus grand succès avec Pygmalion and Galatea, l’une des sept pièces qu’il écrivit cette année-là. Ces pièces, ainsi que celles qu’il écrivit par la suite telles que The Wicked World (1873), Sweethearts (1874) et Broken Hearts (1875), eurent pour Gilbert le même impact dans le monde du théâtre que ce que celles écrites pour German Reed avaient eu dans le domaine musical: cela établit le fait que ses capacités s’étendaient bien au-delà du burlesque, lui valut une reconnaissance de ses talents artistiques et fournit la démonstration qu’il était un écrivain au répertoire très varié, aussi à l’aise avec les drames humains qu’avec l’humour grotesque. Le succès de ces pièces, en particulier Pygmalion and Galatea, valut à Gilbert un prestige qui se révéla essentiel dans sa future collaboration avec un musicien aussi respecté que Sullivan.

Bien qu'aujourd'hui passées de mode, ces œuvres illustrent bien la volonté de William S. Gilbert de proposer à des spectateurs respectables et éduqués des comédies plus raffinées et de meilleur goût que les farces et pièces burlesques alors jouées à Londres.

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Scène de «The Happy Land», montrant l'usurpation d'identité
du Premier Ministre Gladstone, de Lowe et d'Ayrton
«The Illustrated London News» du 22 mars 1873

Durant la même période cependant, Gilbert repoussa les limites de ce qui était faisable en matière de satire au théâtre. Il travailla avec Gilbert Arthur à Beckett sur The Happy Land (1873), une satire politique (en partie parodie de sa propre pièce The Wicked World) qui fut interdite pendant une courte période en raison de sa caricature peu flatteuse du Premier Ministre William Ewart Gladstone et de ses ministres.

De même, la pièce The Realm of Joy (1873) se déroulait dans le foyer d’un théâtre où se jouait une pièce à scandale (censée être The Happy Land), intégrant de nombreuses plaisanteries au sujet du Lord Chamberlain, le fonctionnaire en chef de la cour anglaise, présenté comme «Le Lord au Fort Pouvoir Désinfectant».

Par contre, dans Charity (1874), Gilbert utilise la liberté d’expression sur la scène théâtrale dans un autre but: il propose une critique directe de l'approche différenciée dont la société victorienne considérait les hommes et les femmes qui avaient des relations sexuelles en dehors du mariage, anticipant ainsi les «pièces à problème» de Shaw et Ibsen.

D) William S. Gilbert, metteur en scène

Désormais reconnu, Gilbert commença à mettre en scène ses propres pièces et ses propres opéras. Il avait une idée très précise sur la façon dont elles devaient être jouées. Il fut fortement influencé par les innovations de l'époque en matière de scénographie des dramaturges James Planché et surtout Tom Robertson, leurs interventions étant reconnues par le terme anglais de «director», metteur en scène chez nous.

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Une scène de la pièce «Ours» de T. W. Robertson, montrant l'un des effets de scène réalistes de Robertson: la neige souffle après l'entrée du personnage, à gauche
«The Illustrated London News» du 20 octobre 1866

Gilbert assista de nombreuses fois aux répétitions de Robertson pour apprendre directement de ce metteur en scène d’expérience, et il commença à s’en inspirer dans certaines de ses premières pièces. Ce qu’il recherchait, c’était le réalisme dans le jeu des acteurs, les décors, les costumes et le mouvement, si ce n’était dans le contenu de ses pièces (bien qu’il écrivit une comédie romantique dans un style «naturel», Sweethearts, en hommage à Robertson).

Il évitait toute interaction embarrassante avec le public et insistait sur un style de représentation dans lequel les personnages n’étaient jamais conscients de leur propre absurdité, mais étaient des personnes intérieurement entières et cohérentes.

Dans Rosencrantz and Guildenstern, pièce burlesque que Gilbert écrivit en 1874, le personnage de Hamlet, en s’adressant aux acteur, résume la théorie du jeu comique de Gilbert: «Je suis persuadé qu’il n’existe pas de vieux camarade tel que votre héros ampoulé qui met en avant sa bêtise le plus sérieusement du monde et fait croire à ceux qui l’écoutent qu’il est inconscient de toute incongruité». Avec une telle approche, Gilbert ouvrit la voie de la popularité sur la scène anglaise à des auteurs tels que George Bernard Shaw et Oscar Wilde.

Robertson fit découvrir à William S. Gilbert à la fois à la notion révolutionnaire de discipline pendant les répétitions et la mise en scène mais aussi de l'importance de l’unité de style sur l’ensemble de la pièce – mise en scène, décor, costumes, musique et jeu des acteurs. Tout comme Robertson, Gilbert exigeait de la discipline chez ses acteurs. Il insistait pour que ceux-ci connaissent leurs textes parfaitement, qu’ils aient une prononciation impeccable et qu’ils suivent ses instructions avec rigueur, toutes choses tout à fait nouvelles pour beaucoup d’acteurs à l’époque. L’une des principales innovations fut l’abandon de l’acteur vedette qui faisait ce qu'il voulait au profit d’un ensemble discipliné, «élevant le metteur en scène à une nouvelle position de domination» dans le théâtre. Gilbert a été un bon metteur en scène, cela ne fait aucun doute. Il était capable d’obtenir de ses acteurs un jeu naturel et limpide, ce qui répondait parfaitement aux exigences gilbertiennes de produire l’outrancier sans artifice.

William S. Gilbert assurait la préparation de chaque nouvelle pièce avec minutie, réalisant des maquettes de la scène, des acteurs et des décors et anticipant chaque action ou mouvement. Gilbert n’aurait jamais pu travailler avec des acteurs qui auraient remis en cause son autorité. George Grossmith a écrit que: «M. Gilbert est un parfait autocrate, insistant sur le fait que ses paroles doivent être prononcées, même avec une inflexion de la voix, comme il le dicte. Il se tiendra sur scène à côté de l'acteur ou de l'actrice, lui faisant répéter les mots encore et encore, jusqu'à ce qu'ils soient prononcés comme il le désire.»

Même lorsque les pièces étaient jouées sur de longues périodes ou lors de reprises, Gilbert supervisait de près les représentations, s’assurant que les acteurs n’apportaient pas d’ajouts, de coupes ou de paraphrases qu’il n’avait pas autorisées. Gilbert était connu pour montrer lui-même ce qu’il attendait des acteurs, même à un âge avancé. Il se produisit lui-même sur scène dans un certain nombre de pièces, dont plusieurs fois par exemple dans Trial by Jury (), remplacement aussi un acteur malade dans Broken Hearts et dans des représentations en matinée pour des œuvres de charité dans des pièces en un acte, par exemple dans le rôle de King Claudius dans Rosencrantz and Guilenstern.