Que s’est-il passé la dernière nuit de la vie de Marilyn Monroe ?

Une ode au bonheur qui n'est pas toujours où l'on croit...
À la mort de Marilyn, le monde s'appauvrit par la perte d'une étoile malheureuse, mais s'enrichit grâce à une femme libérée…


Marilyn. Norma Jeane. Fantôme lunaire de lumière et de chair, insaisissable papillon blanc, prisonnière d’un mythe qui la dévore. On croyait tout connaître d’elle, on croyait avoir traversé ses mystères, mais le théâtre, tel un élixir révélateur, ravive l’inconnu derrière l’icône : la femme fissurée, la tragédie à fleur de peau, en fichu, lunettes de soleil et manteau de fourrure. Mutilée par les regards.

Au Festival Bruxellons ! Dans une brillante mise en scène de Simon Paco, la nouvelle comédie musicale Goodbye Norma Jeane ose l’impossible : faire revenir Marilyn Monroe d’entre les morts. Un travail au scalpel. Non pas l’icône figée, mais Norma Jeane, démasquée, la femme survivante, retirée du monde, et toujours secrètement hantée par son propre mythe. Dualité de corps. Et d’âme.

Hello! Norma Jeane, are you there?

Léovanie Raud, chatoyante brune, incarne Norma Jeane vieillissante avec une intensité prodigieuse : féline blessée, a cat on a hot tin roof, elle vacille entre confidences et éclats de lucidité. Norma Jeane va se défaire progressivement du maquillage de son histoire, laissant peu à peu voir l’abîme, le clown triste qui ne rit plus de sa propre mascarade. Face à elle, Maud Hanssens campe une Marilyn brûlante, belle, rare et mystérieuse comme la super lune bleue. Mais la beauté parfaite devient masque cruel. Un double éclatant qui renvoie à Norma Jeane l’image de ce qu’elle fut, ou de ce qu’on voulut qu’elle soit. Deux présences, deux visages d’un même naufrage.

L’une papillon de jour d’un blanc incandescent, l’autre grand habitant aux couleurs fauves des bibliothèques de la nuit. L’histoire du papillon blanc est tragique, irrésistiblement attiré par les lumières, assoiffé de liberté et d’amour, il se brûle à chacun de ses envols…

Le trouble s’amplifie avec l’arrivée du jeune et pétulant journaliste américain, joué par Rémi Palazy, figure à la fois candide et intrusive. Un premier de promotion ? Un groupie ? Un enquêteur ? Il rallume en elle la peur viscérale de Norma Jeane d’être encore utilisée, encore volée, vendue comme vulgaire marchandise ? La rencontre vire au duel : la mémoire contre l’oubli, l’icône contre la femme. France Gall, l’icône française blonde elle aussi, avait bien raison… Résiste ! Prouve que tu existes…

La mise en lumière de Laurent Kaye et la direction musicale d’Ilse Stroobant font merveilles et sculptent l’espace huis-clos en clair-obscur, soulignant la fragilité d’un récit qui hésite entre confessions et hallucinations. Le son, signé Vincent Debongnies, distille et souligne l’étrangeté d’une parole inscrite aussi dans les partitions invisibles de ce piano blanc omniprésent, pièce maîtresse du décor. Un instrument annonciateur, consolateur, qui scande élégamment le récit, jamais musique d’ambiance. La musique enveloppe la scène d’un halo fragile, elle fait du piano blanc un personnage à part entière – témoin silencieux de la confession impossible et pièce à conviction irréfutable.

Au-delà du portrait, la pièce ose une hypothèse vertigineuse : et si la mort de Marilyn avait été arrangée ? En contrepoint du drame des « seconds violons » Ah ! Le Pauvre Bobby ! Suicide utile, maquillage pratique pour l’ordre politique, CIA en coulisses, panique en sourdine, mythe ainsi mieux géré, plutôt que de laisser vivre des vérités qui dérangent. Comment peut-on échapper à l’œil du monde ? Le propos semble aussi glisser dans les territoires profonds de Tennessee Williams et rejoint même le vertige d’un Kean : ces artistes prisonniers de leur rôle, en déroute, suppliant d’être reconnus pour ce qu’ils sont, et de pouvoir enfin vivre hors du masque. Vivre, c’est jouer, mais à force de jouer, on se perd.

La salle retient son souffle. Les trois comédiens chevronnés auront rejoué de manière vertigineuse toute la magie d’une vie d’équilibriste « At the top », éblouissante et nue. Mise en abyme : toute la biographie affolante de Marylin y passe, en mode ultra rapide. Etourdissant ! Les changements costumes et de postures théâtrales, discrets mais efficaces, chatouillent l’imaginaire. Les grands noms du 20e siècle défilent. On voudrait les retenir ! La Marilyn belge a capté toutes les poses, les humeurs et les chansons de la star. Devant nos yeux éblouis, elle fait vivre avec intensité la vie de l’icône de papier glacé, nourrie de diamants, d’alcool de cachets et de désillusions en séries… « A material girl » ? Une vie que la star a choisi de quitter… They say.

Sous la lumière crue, dans la nudité bouleversante d’une vérité arrachée à l’oubli, Norma Jeane parle, Norma Jeane tremble. Et elle existe.

Dominique-Hélène Lemaire - Arts et lettres - 2025 08 26

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