Un musical romantique, captivant et plein de suspense

Après «Elisabeth», nous sommes très heureux de vous présenter un autre musical de Michael Kunze et Sylvester Levay, basé sur le célèbre roman de Daphne du Maurier et le film d’Alfred Hitchcock.


🎭 Été 2025. Rebecca, roman bouleversant de Daphné du Maurier (1938), s’incarne dans la cour du château du Karreveld en un thriller musical psychologique flamboyant… daté de 1925. cela fait juste juste 100 ans… Comme pour un envoûtement!

La Belle Époque en version cauchemar ? Véritable coup de maître, cette création mondiale en français, est la pièce de résistance du 27e Festival Bruxellons!. Elle est portée par un collectif de 21 artistes hors du commun.
Rebecca, c’est l’histoire centenaire d’un fantôme. Et comme tous les bons fantômes, elle ne se montre jamais — mais hante chaque espace, de Monte-Carlo à Manderley, lieu mythique des Cornouailles.

Comme un opéra. La partition puissamment évocatrice de Sylvester Levay et le livret de Michael Kunze, adaptés avec finesse en français par Stéphane Laporte, s’unissent dans une narration à la fois élégante et glaçante. De la fine gastronomie pour les gourmands de musique et de suspense.

Coup de foudre. Une jeune femme sans nom, au propre comme au figuré — cheveux courts et soulier léger, dame de compagnie de son état — séduit par son innocence et épouse Maxim de Winter, veuf énigmatique de Manderley. Mais la défunte Rebecca, mystérieuse première épouse au pouvoir despotique, semble bien décidée à ne pas quitter les lieux — ni les cœurs. Surtout celui de sa gouvernante, figée dans la haine du changement. Mrs Danvers.

L’orchestration, magistrale – mais où sont-ils donc ? Protégés de la pluie? – est dirigée par Laure Campion et fait vibrer le décor. Comme le souffle puissant de la mer qui bat les récifs du domaine maudit.

L’esprit du large…Une mise en scène portée avec grandeur par Marina Pangos et Jack Cooper qui dessinent avec passion un récit visuel et dramatique d’une intensité rare. Les changements de décor et de scènes s’enchaînent, tels des feux d’artifice. On passe de surprise en surprise à travers une série de tableaux que l’on rêve de photographier. Il y a ce ballet perpétuel de dizaines de personnages en mode chantant. Ils dansent, virevoltent, flamboient et chantent tout à la fois en jonglant avec leurs accessoires. Avec une insatiable énergie et une précision millimétrée. De la beauté scénique en mouvement qui résonne avec la puissance d’un chœur d’opéra. Et quels costumes ! À chaque instant, de la magie. Merci Jack ! Ils sont signés Béatrice Guilleaume.

Le décor de Sylvianne Besson évoque bien sûr les falaises romantiques, lieux de vertige et de destin, sur lesquelles s’adossent les portes de l’enfer-Manderley : pilastres rouge sang, lambris aux airs mauresques, perspectives brisées… De part et d’autre, deux grandes volées d’escaliers : rêve ou cauchemar ? Elles semblent tour à tour surgir ou disparaître tant l’action au centre de la scène capte le regard ! Et surtout, tout en haut de l’ouvrage, il y a cet immense portrait, lacéré, celui de Rebecca, suspendu comme une malédiction au-dessus du grand escalier. Quel couteau a osé le crime ?

Les jeux de lumière de Laurent Kaye dissèquent l’action comme un entomologiste, toujours en phase avec cette chorégraphie obsessionnelle et sublime de Kylian Campbell. Sommes-nous au centre d’un cerveau torturé ? D’un envoûtement? L’action est un labyrinthe… Y aura-t-il une issue ? Une métamorphose ?

Un univers de personnages fantastiques. Jeremy Petit donne à l’âme tourmentée de Maxim de Winter des contours de vase brisé. Sa douleur, retenue mais très palpable, esquisse une humanité blessée, dans la plus pure tradition romantique. Sa voix est sculptée par le rôle. Et pourtant, l’or pour recoller ces profondes fissures est là, à portée de voix, à deux pas…

Cheveux courts et plats, Laura Tardino, en tenues fluides pastel, incarne l’héroïne sans prénom avec une justesse émouvante : de l’effacement initial à la lumière reconquise. Un « je » fragile, qui apprend à se conjuguer dans les abandons, les silences, et les révélations. Mais c’est l’illustre plante vénéneuse qui fascine : Liesbeth Roose, en Mrs Danvers. Toute vêtue de noir d’Espagne, la sombre duègne s’empare de la scène comme une ombre maléfique. À chacune de ses apparitions, le temps se fige, les dos se courbent. La voix étrange et pleine distille la peur, la menace, l’obsession. Magnétique, son solo « Rebecca » est un cri glacé d’adoration morbide. Suspense entre beauté et terreur.

Extravagante,Marie-Aline Thomassin, en comédienne de boulevard, fait de Mrs Van Hopper une caricature grandiose, burlesque et jubilatoire. Quel bonheur, l’exagération épique !

Nathan Desnyder incarne Jack Favell pourtant interdit de séjour au château. Manipulateur en diable, jusqu’à l’absurde – avec son costume de soirée orange final. Un hasard ? Escroc flamboyant et décomplexé ? Miroir des péchés capitaux ? Make Mandalay great again ! Cynique, il ne souffre d’aucune honte.

Enfin, un peu de bon sens, avec Damien Locqueneux et Raphaëlle Arnaud. Ils forment le duo apaisant de Béatrice et Frank dans ce fabuleux tumulte. Du même ordre, ces deux pépites de l’art des planches – à la justesse de ton remarquable- qui complètent à souhait cette superbe comédie humaine: Mathias Fleurackers (Ben) et Laurent Kiefer (le colonel Julyan). Ainsi, le bonheur est dans la salle. Pardon, sous le ciel estival de Molenbeek.

🎭 Cette version Bruxellons! très illustrative de l’esprit du roman, est aussi renversante que les flammes d’ Autant en emporte le vent. Mais de surcroît, la métaphore scénique se plaît à célébrer les identités effacées, les amours figées, les maisonnées hantées par les non-dits, les traumatismes savamment enfouis Et quand la scène s’embrase – littéralement – on comprend que Rebecca a en fait le dernier mot… un mot désespéré et rageur de vraie sorcière.

La porte de l’enfer s’ouvre enfin. Vers la mer. Vers les libres horizons. Ensemble ? Allez, On embarque ?

Deashelle - Arts et lettres - 2025 07 24

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