Un musical romantique, captivant et plein de suspense
Après «Elisabeth», nous sommes très heureux de vous présenter un autre musical de Michael Kunze et Sylvester Levay, basé sur le célèbre roman de Daphne du Maurier et le film d’Alfred Hitchcock.

Dans l’ombre du château du Karreveld, à Molenbeek-Saint-Jean, se déploie un thriller musical d’une intensité remarquable: Rebecca y a célébré sa première belge, et en même temps sa toute première en langue française, dans le cadre du Festival Bruxellons! – en plein air et avec une finesse artistique saisissante. L’œuvre de Michael Kunze (livret et paroles) et Sylvester Levay (musique), déjà montée à plusieurs reprises à l’international, est ici portée à la scène avec une telle maîtrise qu’elle envoûte instantanément le public.
La transformation linguistique mérite à elle seule le détour: la traduction française est signée Stéphane Laporte, qui évoquait récemment en interview le défi que représente l’adaptation de la poésie allemande en français – une langue plus longue, plus gourmande en syllabes et en mots, mais qui doit malgré tout respecter la mélodie et le rythme de l’original. Son astuce? Il a d’abord utilisé ChatGPT pour obtenir une ébauche des textes en français, qu’il a ensuite retravaillée à la main pour leur donner toute leur dimension poétique. Le résultat est convaincant: la langue coule de source, le rythme est juste, et l’émotion passe sans filtre.
La mise en scène, signée Marina Pangos et Jack Cooper, est d’une redoutable précision dramatique. Elle construit un arc narratif tendu et offre des personnages aux multiples facettes. Les conflits psychologiques, les silences, les sous-entendus, les souvenirs enfouis et les méfiances latentes sont rendus avec subtilité. Le rôle de l’orchestre – 18 musiciens sous la direction de Laure Campion – est ici capital: la partition de Sylvester Levay, qui oscille entre opulence post-romantique et suspense aux accents presque cinématographiques, est interprétée avec minutie et énergie. La musique donne aux personnages une aura troublante et renforce la tension dramatique, sans jamais verser dans le pathos.
La scénographie de Sylvianne Besson est à part entière une œuvre d’art. De monumentales parois en relief, rouges sang et noires, dominent la scène et créent une atmosphère oppressante où même la lumière du soleil semble pesante. Deux portes installées en biais rompent la symétrie et suggèrent subtilement le dérèglement de l’univers de Manderley, tandis qu’un gigantesque portrait de Rebecca, en lambeaux, suspendu au-dessus de l’escalier central, incarne son emprise fantomatique sur le présent. Le cœur du décor – une cour intérieure, un jardin, deux escaliers – permet des transitions fluides et accompagne la progression dramatique, depuis l’arrivée hésitante de la jeune héroïne jusqu’à la révélation du terrible secret. Ce décor agit comme un miroir psychologique et transforme le musical en un véritable thriller haletant.
Le travail de lumière de Laurent Kaye est d’une finesse rare: les jeux d’éclairage marquent les transitions, intensifient les tensions et renforcent chaque scène. La chorégraphie de Kylian Campbell reste discrète, jamais gratuite, parfaitement intégrée à l’ensemble.
Les costumes de Béatrice Guilleaume reflètent avec justesse l’époque et les personnages, sans chercher à s’imposer. Leur richesse de détail confère aux protagonistes une véritable authenticité et s’intègre pleinement à la vision esthétique de la mise en scène.
Les comédiens et comédiennes livrent des performances de très haut niveau. Laura Tardino campe une narratrice sans nom d’une grande intensité: sa fragilité, ses élans, sa lente affirmation de soi sont justes et touchants. Jeremy Petit incarne un Maxim de Winter tout en tensions internes, distant mais charismatique. Quant à Liesbeth Roose, elle est une Mrs Danvers absolument saisissante : effrayante dans ses gestes et expressions, portée par une voix puissante et une implacable froideur – elle est l’un des sommets du spectacle.
Nathan Desnyder, en Jack Favell cynique, séduit; Marie-Aline Thomassin, en Mrs Van Hopper excentrique et hilarante, apporte de délicieux moments comiques et devient l’une des chouchoutes du public. Damien Locqueneux, en Frank Crawley, dégage une rassurante bienveillance, tandis que Mathias Fleurackers offre à Ben une troublante humanité. Le tout est complété par un ensemble qui brille dans les tableaux collectifs.
Avec Rebecca, Bruxellons! signe un coup de maître: une mise en scène cohérente, intelligente et puissamment musicale, fidèle à l’œuvre tout en lui apportant un éclairage neuf.
Patricia Messmer - kulturfeder.be - 2025 07 21

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