Les adultes ne sont pas nécessairement plus matures que les enfants

À partir d’un tout petit fait tiré du quotidien, Yasmina Reza jubile et trace à la ligne claire et au vitriol, le portrait de bobos satisfaits et sûrs de leurs droits. Le tableau qu’elle nous peint n’est pas joli joli, c’est un carnage. Mais c’est à mourir de rire.


Le Français Arthur Jugnot met en scène au Théâtre Le Public le huis clos féroce de Yasmina Reza “Le Dieu du carnage” : une débandade drôlement jouissive portée par un excellent quatuor de comédiens. À voir absolument d’ici au 30 juin !

Quoi de plus banal qu’une querelle entre gamins ? Les moqueries et chamailleries sont monnaie courante dans les cours de récré. Mais au square, cette après-midi-là, Ferdinand, 11 ans, a attaqué son copain Bruno à coups de bâton. Résultat ? Deux dents cassées.

En citoyens responsables et civilisés, Véronique et Michel Houllié, les parents de Bruno, ont convié en leur appartement ceux de Ferdinand, Annette et Alain Reille, afin d’éclaircir les circonstances de l’incident et d’aplanir les tensions. Sous des abords policés et convenus, les deux couples – des quadras bobo – s’efforcent de s’entendre cordialement, tout en défendant leur progéniture.

Mais très vite, les dissensions font vaciller la bienséance et les certitudes. Le vernis craque ; les nerfs aussi. Et ce qui devait être une réunion conviviale entre adultes respectables vire peu à peu au règlement de comptes impitoyable (”Mon fils a bien fait de cogner le vôtre !”) et à la foire d’empoigne mémorable. N’ayez crainte toutefois ! Si la pièce se joue des instincts les plus vils de l’être humain, elle est férocement drôle.

Une interprétation de main de maître
On doit, en effet, Le Dieu du carnage (Albin Michel, 2007) à Yasmina Reza, formidable écrivaine française traduite et jouée aux quatre coins du monde. Notamment chez nous, à Bruxelles, au Public, où les spectateurs ont déjà pu apprécier plusieurs de ses pièces, dont, récemment, Bella Figura et Art.

Le Dieu du carnage a, lui, aussi déjà été monté au Public, mais plus anciennement, en 2008, dans une mise en scène de Michel Kacenelenbogen. Quinze ans plus tard, la pièce revient, mais sous un jour tout à fait nouveau. La pièce est, cette fois, portée à la scène par son compatriote Arthur Jugnot et interprétée par un quatuor de choc : Nicolas Buysse (Michel), Thibaut Nève (Alain), Ariane Rousseau (Véronique) et Stéphanie Van Vyve (Annette).

Ayant déjà mis en scène en 2020 Les Émotifs anonymes (avec, notamment, Nicolas Buysse) dans la Salle des voûtes, Atrhur Jugnot a su, une nouvelle fois, tiré profit de la configuration toute particulière de cet espace. Le public est assis en quadri-frontal tandis que le cœur de la pièce se déroule dans des canapés de salon, éléments de décor judicieusement placés sur une tournette (soit un plateau tournant). Ainsi, les spectateurs ne manquent aucun détail des dialogues et attitudes des quatre personnages de ce huis clos grinçant.

Si la plume de Yasmina Reza est redoutable d’efficacité avec ses joutes et répliques suintantes de vérité, la pièce s’effondrerait sans une interprétation irréprochable. Et le moins que l’on puisse écrire, c’est que les quatre comédiens assurent d’une main de maître. Chacun, impeccable dans son rôle de parent et conjoint, participe à une terrible partition : celle de la Vie, où, tôt ou tard, les verrous sautent pour libérer le “Dieu carnage” tapi en chacun de nous.

Stéphanie Bocart - La Libre Belgique - 09/06/2023

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