Madame Sans-Gêne...
… une femme du peuple à la cour de Napoléon.

Cette pièce de Victorien Sardou , créée le 27 octobre 1893 au théâtre du Vaudeville de Paris, est considérée comme l'une des œuvres les plus populaires du répertoire théâtral. Le personnage de madame Sans Gêne s'est imposé d'emblée à la création en 1893 grâce à sa créatrice, la grande comédienne Réjane, qui joua le rôle durant toute sa carrière. D'autres actrices célèbres du théâtre s'y illustrèrent par la suite, comme dans des adaptations au cinéma: Gloria Swanson, Arletty et Sophia Loren.
La pièce fut reprise au théâtre Sarah-Bernhardt en 1957 avec un trio d'acteurs fabuleux: Madeleine Renaud, Jean-Louis Barrault et Jean Desailly.


Perrine Delers est une maréchale lingère d'anthologie.

Nous étions dimanche soir dans la vaste cour fortifiée du château de Corroy. Quelques minutes avant neuf heures, le marquis de Trazegnies vint saluer ses hôtes - foule nombreuse où l'on reconnaissait maître Magnée et d'autres personnalités en vue - pour annoncer qu'on allait jouer toutes affaires cessantes, la météo annonçant d'imminentes ondées.

Rideau, quelques mesures de l'ouverture des «Noces de Figaro» et la pièce la plus célèbre de Victorien Sardou - écrite en collaboration avec Emile Moreau - pouvait déployer ses fastes plébéiens, révolutionnaires et bonapartistes. Les précipitations ne se firent pas attendre, provoquant le déploiement d'une forêt de parapluie et de capuchons de toutes natures, mais ce ne furent heureusement que quelques gouttes. Le show put «go on» à l'aise.

Révélation
La révélation du spectacle, c'est incontestablement Perrine Delers dans le rôle titre. A peine sortie des écoles, elle est une Madame Sans-Gêne d'anthologie, une vraie nature: diction faubourienne, gouailleuse, généreuse, truculente et avec cela une grâce mutine bien en chair à rejeter Claudia Shiffer aux oubliettes des canons de la beauté féminine. Rubens contre Giacometti, Hélène Fourment versus Twiggy…

Mais il n'y a pas que le physique. Elle fait preuve de plus que d'abattage: ses reparties sonnent juste et vrai, elle joue avec le cœur, le corps et l'esprit. Le public ne s'y trompe pas, riant sans arrière-pensée de son culot.

Et puis il y a la pièce. L'argument n'en est pas des plus riches, mais il fonctionne à merveille grâce à un esprit très français, ancêtre lettré de la franchouillardise contemporaine, alignant les répliques pleines d'esprit, de bon sens et d'à-propos. C'est une célébration gentiment irrévérencieuse de la noblesse d'empire, avec ses braves et ses artisans promus pairs de France, hauts en couleur, forts en gueule, généreux et candides.

Il était assez piquant d'entendre la Sans-Gêne sans-culotte évoquer ses hauts faits d'armes comme vivandière des armées de l'Empereur, à Fleurus notamment, situé non loin du château de Corroy, dont les habitants de l'époque ne durent pas voir d'un très bon œil ce déferlement.

Morceaux de bravoure
La distribution est à l'unisson et au diapason du texte. Bernard Lefrancq (qui signe aussi une mise en scène dans la tradition) est un Lefebvre loyal, amoureux et jaloux; Michel Poncelet un Napo auguste et emporté; Marc De Roy un Fouché rusé comme le diable et à peu près aussi laid que lui; Nicolas Dubois un Neipperg portant beau et Jean-Paul Clerbois en Despréaux et Savary assure vaillamment le contrepoint clownesque. Dorothée Hallot et Angélique Leleux sont les filles du petit caporal, chipies teigneuses à souhait dont l'ultime déconfiture fait la joie des spectateurs.

Les morceaux de bravoure, comme la leçon de maintien ou l'entrevue entre Napoléon et l'ancienne lingère, se redécouvrent ici avec plaisir. L'équipe des Galeries retrouve avec bonheur le temps d'un été les joies et les peines des bateleurs dressant chaque soir leurs tréteaux en un lieu différent, affrontant les vicissitudes du plein air et d'un ciel belge par trop envahi de nuages d'avions à réaction.

La Libre Belgique - 28/7/2004 - Philip Tirard

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