L’une fuit sa maison de retraite,
l’autre sa famille.
Louise Rocco et Marie-Hélène Remacle

L’essentiel est de fuir. Ces deux malaimées que tout oppose font du stop au même moment et au même endroit. D’abord concurrentes, elles vont peu à peu devenir des complices. Entre fou rire et tendresse, la bonne humeur contagieuse de ces héroïnes nous emmène sur le chemin de la vie.

Personne ne sait où elle est ma place!
Margot et Claude se la disputent, cette place au bord de la nationale. Il est trois heures du matin: les pouces levés, les deux femmes tentent leur chance. Les amateurs de stop pourront certifier qu’à moins d’avoir une bonne étoile, en cette nuit d’été, les deux rivales n’iront pas bien loin… "Je joue ma vie ! – moi c’est du sérieux"... Elles finissent par avouer la raison de leur présence incongrue: Margot est partie après les 18 ans de sa fille, "20 ans de guerre des nerfs, 20 ans de résistance" ; et Claude fuit la vie moche et ennuyeuse des Glaïeuls, sa maison de retraite "où il ne pousse que des chrysanthèmes".


Comme son nom l'indique, on fait du chemin avec "Fugueuses". Depuis le bord d'une nationale jusqu'au coeur d'une forêt, depuis de verdoyants alpages jusqu'au béton d'une cellule de prison, la pièce de Pierre Palmade et Christophe Duthuron avale les paysages et les kilomètres, dans une excursion qui ne nécessite aucune chaussure de randonnée, une balade sans grand dénivelé, bref une agréable promenade de santé.

Le chemin débute la nuit, au bord d'une route, en compagnie de deux autostoppeuses saugrenues, l'une en robe de soirée, fuyant son foyer, l'autre en chemise de nuit, fuyant la maison de retraite où l'a "casée" son fils. Dans leur fugue, toutes deux se retrouvent sur le même bout de nationale, et aucune n'a envie de céder sa "première" place. Bien forcées de coopérer, elles finissent dans la même voiture, embarquées dans la même aventure, ou galère, c'est selon. Car la relation est plutôt hérissée, au départ, entre ces deux femmes que tout semble opposer : Margot, mère de famille dévouée, a toujours tout sacrifié pour son mari et ses enfants, tandis que Claude, féroce épicurienne, a collectionné les amants, et vécu avant tout pour son propre plaisir. On se doute bien, qu'au fil de l'échappée belle, les deux femmes vont finir par nouer une amitié houleuse mais sincère. Abandonnées parmi les loups en pleine forêt, recueillies chez un paysan mal dégrossi, pique-niquant dans les montagnes sur la tombe d'une vieille connaissance, ou cambriolant avec grâce une luxueuse demeure inhabitée, elles fuient toutes les deux un quotidien vide et pesant.

La première partie, la plus comique, s'avère irrésistible, et les répliques assassines fusent entre ces femmes frustrées, en quête d'une nouvelle vie. On sourit des bévues et des humeurs des fugueuses apprenties, obligées de se serrer les coudes malgré leur personnalité antinomique. La deuxième partie perd un peu de son peps au niveau de l'écriture, plus axée sur l'émotion, mais on se laisse tout de même emporter par la tendresse et la complicité des personnages. Avec "Fugueuses", Louise Rocco signe sa 125e pièce sur le plateau des Galeries, un record pour celle qui a fait ses débuts en 1965 ! Pourtant, elle n'a absolument rien perdu de sa fraîcheur et de sa verve dans ce rôle de senior hédoniste, gourmande et pétillante. Face à elle, Marie-Hélène Remacle est une belle boule d'énergie aussi. La mise en scène de David Michels chausse de souples espadrilles à cette pièce randonneuse, appuyée par de très simples et efficaces panoramas sur un écran géant en fond de scène. Bref, la balade est souriante, légère. Et ça fait du bien parfois !

Le Soir - 28/3/2012 - Catherine Makereel

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