Une délicieuse farce sur notre plat pays avec une autodérison féroce!

Dimitri Verhulst, auteur de la mémorable Merditude des choses, réussit un nouveau coup d’éclat ! Dans cette fable sans concession, il pose un regard tendrement corrosif sur la Belgique, et férocement drôle sur nos comportements égoïstes. Faut-il donc l’arrivée d’un Dieu pour rendre le monde vraiment meilleur?
Un flot d’images et de personnages délirants interprétés avec brio par Eric De Staercke. Un spectacle drôle et percutant.


Georges Lini adapte le roman de Dimitri Verhulst. Ebouriffant solo d’Eric De Staercke, Manneken-Pis paré d’une couronne d’épines.
Pendant qu’aux Etats-Unis, celui que personne n’attendait a fait son entrée, la Belgique a aussi droit à une arrivée fracassante puisque c’est le Messie en personne qui débarque dans notre capitale. Avec L’entrée du Christ à Bruxelles , Dimitri Verhulst change la face de notre petit pays, le temps d’une soirée.
Ce jour-là, il faisait ce genre de « temps incertain pour lequel la Belgique détient un brevet ». Dès les premiers mots, on devine que l’auteur flamand ( La merditude des choses ) prend prétexte de la visite divine pour dresser un portrait à la fois tendre et assassin du plat pays.
Particulièrement gâté en saintes apparitions, la Belgique a connu maintes visitations de la Vierge Marie aux quatre coins du pays, et voilà que le Christ, du premier coup, déboule direct dans la capitale. Une dépêche annonce sa venue pour le 21 juillet, jour de fête nationale !
Branle-bas de combat parmi les autorités : quelle délégation pour l’accueillir ? Virulents, les ministres flamands veulent être les premiers à lui serrer la main devant la presse, estimant que le peuple flamand est plus proche de Dieu que les Wallons.
Comment organiser la venue du Très-Saint dans un pays d’une telle complexité institutionnelle (six parlements, 537 parlementaires et 48 ministres pour un pays plus petit que le Bhoutan) ? Quelle sera l’itinéraire du Christ dans la ville et qui l’accompagnera pour lui parler en araméen ? Il faut d’urgence trouver dans les centres d’asile un réfugié qui parle un reste de cette langue éradiquée. Tandis que les libres penseurs se réjouissent à l’idée d’échanges philosophiques avec Jésus, d’autres voient déjà en lui le messie d’une nouvelle pensée de gauche.
Avec une ironie plus cuisante que les stigmates sur la peau du Christ, Dimitri Verhulst nous emmène dans une virée belge au vitriol entre une Eglise entachée par ses affaires pédophiles, un pays étriqué entre nationalisme et égoïsme, un peuple qui se replie sur ses Gilles de Binche et ses quiz télévisés avec « De Bekende Vlamingen ». Et pourtant, malgré tout, un pays que l’on aime aussi pour sa bonhommie, son chaos artistique, son improbable micmac culturel.
Seul sur scène, Eric De Staercke réussit l’exploit de convoquer cette belgitude tous azimuts. Avec cette nonchalance échevelée, son aplomb terre-à-terre, le comédien est le parfait réceptacle de cette Belgique surréaliste, improbable assemblage qui tient encore par on ne sait quel miracle.
A lui seul, il tient cette ville carnavalesque, et ses masques souvent grotesques à l’image du tableau d’Ensor, « L’entrée du Christ à Bruxelles », qui a forcément inspiré le texte. Comme les pantins grimaçants, déformés par la jalousie, la cupidité, l’hypocrisie, suivant un pitre avec une mitre et un bâton dans le chef-d’œuvre d’Ensor, Eric De Staercke déverse un flot de personnages et d’images représentant une Nation égarée en quête d’un berger pour changer la petitesse de son existence.
Mis en scène dans une belle sobriété par Georges Lini, le comédien hirsute déballe tout cela avec une féroce autodérision. D’un geste, d’un clin d’œil, il nous fait éclater de rire, notamment quand la parade destinée au Christ se transforme en caravane du Tour de France avec distribution d’hosties bio. Et soudain, la farce passe au manifeste politique : « Je suis ce fou inoffensif qui rêve doucement d’un monde sans nationalités, sans drapeaux. »

Catherine Makereel - Le Soir

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