Un monument du théâtre anglais,
drôle mais surtout tendre

Shirley Valentine est un sommet d'humour.Mais c'est bien plus que cela, car ce spectacle parle de nous et nous donne un magnifique conseil: "Il n'est jamais trop tard pour réussir sa vie".


Une pièce efficace, drôle et tendre, une actrice talentueuse au service d'un personnage attachant. Jolie soirée dans la grange du Karreveld.

Après "Educating Rita" et la comédie musicale "Blood Brothers", ses deux autres grands succès, Willy Russell (1947) livre au milieu des années 80 le monologue d’une femme au foyer britannique à la recherche de la jeune fille pleine d’allant et d’amour qu’elle fut autrefois. La pièce est créée en 1986, à Liverpool, connaît un succès considérable sur les scènes londoniennes dès 1988 et déboule à Broadway en 1990. Bruxelles n’a pas tardé pour découvrir "Shirley Valentine" : au Rideau, Adrian Brine met en scène Francine Blistin dans l’adaptation en français de Denyse Périez.
Traduction qui, vingt ans après, se retrouve sur les tréteaux montés dans la grange du château du Karreveld, pour la dixième édition du festival Bruxellons !
Dix ans, c’est presque le temps qu’il a fallu à Olivier Moerens, dont la société Bulles Production coorganise (avec Cooper Production et Argan 42) l’estival festival dans l’écrin vert de Molenbeek, pour convaincre Marie-Hélène Remacle de se lancer dans le rôle de Shirley, 42 ans, deux enfants partis de la maison, un mari à cheval sur les usages - le jeudi, c’est hachis; ne vous avisez pas de vouloir faire avaler à Joe des œufs et des frites -, et pétrie d’habitudes elle-même, comme celle de parler au mur de sa cuisine, ou de siffler un petit verre de vin en préparant le repas. Son petit rêve secret, à Shirley, c’est de boire du vin au soleil, dans un pays où pousse la vigne. Sa botte secrète, à Shirley, c’est peut-être ce billet d’avion planqué dans le tiroir : son amie Jane - la libérée, la féministe - l’a invitée à passer avec elle quinze jours en Grèce. Shirley en meurt d’envie, mais on ne s’élance pas sans appréhension au-delà des murs qui vous protègent.
Habitant cette hésitation avec grâce et la peuplant de souvenirs qu’elle rejoue pour comprendre, Marie-Hélène Remacle fait merveille. Elle s’approprie la langue de Russell - imagée, rudement efficace - sans jamais en appuyer les effets mais sans non plus escamoter l’émotion qu’elle charrie. Vérités drôles et réflexions touchantes se bousculent dans ce monologue empli de vraie vie. Et qui pour cela parle à tous. "Pourquoi on reçoit toute cette vie si on ne peut pas s’en servir ?" , s’interroge Shirley, déroutée par les parts d’elle-même auxquelles elle a renoncées sans même s’en apercevoir. Shirley qui tombera amoureuse non pas de Costas, l’attentionné serveur de la taverne, mais "de l’idée de vivre" .
On devine, sous tant de justesse et de tendresse, le regard complice, confiant, bienveillant de Martine Willequet. Sans rien révolutionner, sa mise en scène, simplement généreuse et honnête, fait de la soirée qu’on passe au Karreveld un bien joli moment.

Marie Baudet - La Libre Belgique - 6/8/2009

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