Spectacle œnophile et gourmand

Quel vin allez-vous choisir pour accompagner une aile de raie au beurre citronné? Peut-on servir du Champagne à un enterrement ? Avez-vous déjà testé un Château Laroze à l'hôtel Astoria de New-York? Un rosé chaud dans un endroit horrible à un barbecue raté?
Quand un Romanée Conti fait la conversation avec un Bordeaux en promo...


"La mémoire de la cave a toujours été sous-estimée par rapport à celle, tant exploitée, dans les romans, du grenier. La grande supériorité de la cave sur le grenier, c'est qu'en plus du passé, qu'ils détiennent l'une et l'autre, …la cave a de l'avenir." Cette citation de Bernard Pivot donne le ton. On va mélanger ce soir sagesse, philosophie, art de vivre et dégustations en tous genres. Les portes du paradis sont largement ouvertes sur la compagne séculaire de l’homme : l’ivresse. Celle des sens, celle des mots, celle du vin et du champagne, n'en déplaise aux vins jaloux des bulles!
Ce duo de plaisir inédit est une invitation à partager en un peu plus d’une heure l’univers complexe du vin, son vocabulaire, sa poésie et sa sensualité. Des textes choisis d’écrivains amoureux du vin émaillent l’écriture inventive de Pascale Vander Zypen et Christian Dalimier. La bouche gourmande, ils se mirent dans la robe du vin où se reflètent toutes les émotions humaines : de l’amour, à l’extase, à la dispute. Car l’air de rien, la dispute est souvent dans l’air. La dispute qu’elle soit pensante ou effervescente, c’est comme le cumin dans la cuisine marocaine, une sorte de piment pour les mariages heureux et pour le plaisir des papilles. La saveur des mots rejoint l’humour libérateur et on hume les effluves à s’en étourdir. Les deux comédiens se saoulent de mots, d’appellations, de millésimes. Rien de pédant, tout pour le plaisir et dans tous les registres! « Entre deux verres » est l’un de leurs sketches particulièrement désopilant : une conversation entre un Bordeaux et un bourgogne (et pas n’importe lequel, un Vosnes Romanée Conti) avant d’être bus d’un trait et sans honte par des bouches indélicates. A travers la robe des vins on entrevoit les petits travers de la vie de couple, ou de famille avec baptêmes, mariages, funérailles. Ils font le tour de la question dans une bonne humeur grandissante. Et le public trinque mentalement avc eux, savourant mises en bouche et mises en scènes spirituelles. Notre préféré est ce conte de fées joué dans un vrai château (domaine de Vaqueyras) où un certain Lucas di Montepulciano des Abruzzo ... s'est entiché de la belle demoiselle de Vaqueyras couvée par un père intraitable. A Baudelaire de conclure déjà, et bien trop tôt ! On en redemande ? : Il faut être toujours ivre. /Tout est là : c'est l'unique question. /Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve. / Mais de quoi ?/ De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. /Mais enivrez-vous./ Et si quelquefois, sur les marches d'un palais, sur l'herbe verte d'un fossé, dans la solitude morne de votre chambre, vous vous réveillez, l'ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l'étoile, à l'oiseau, à l'horloge, à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est ; et le vent, la vague, l'étoile, l'oiseau, l'horloge vous répondront : « Il est l'heure de s'enivrer ! Pour n'être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrez-vous ; enivrez-vous sans cesse ! De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. » Bouquet capiteux pour les comédiens: c'était ce soir-là la centième représentation, fleurie d'applaudissements généreux.
De la salle, on passe au bar pour une dégustation conviviale, la parole se délie entre spectateurs qui partagent avec les comédiens des saveurs humaines bien vraies pour damner le pion à l’univers frelaté des bonheurs technologiques qui ne cessent de nous grignoter essence et existence.

Deashelle - Arts et Lettres - 18/11/2013

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