L’histoire du souffleur de la première représentation mondiale de Cyrano de Bergerac

Paris, le 28 décembre 1897. Ildebrando Biribo’ est souffleur à la première mondiale de Cyrano de Bergerac. Pour nous raconter l’histoire de ce personnage qui a vécu sa passion du théâtre à l’ombre des grands acteurs, Emmanuel Vacca se fait bouffon et clown, de ceux qu’on aime avec tendresse. Génial bateleur, il mime, interpelle le public, s’enflamme… et rend un bel hommage à un métier oublié.


Ildebrando Biribo fut le souffleur de la première représentation mondiale de Cyrano de Bergerac, le 28 décembre 1897; ce spectacle est une sorte de revanche pour tous les invisibles qui contribuent à faire un spectacle et qui, pour une fois, sont sur le devant de la scène?
Ce n’est pas à proprement parler une revanche. Pas d’idée de revendication particulière derrière ce personnage. Mais plutôt un forme d’hommage, un remerciement à ces hommes et femmes de l’ombre dans un métier de lumière. Ildebrando Biribo’ est un souffleur qui aime son métier. Pour rien au monde, il n’échangerait sa place pour être comédien. Cet amour qu’il porte aux comédiens, à ce qu’ils ne se perdent pas dans leurs trous de mémoire, est un geste d’humilité et de sensibilité. C’est un métier de « l’ombre » oui, mais qui nécessite des qualités de lumière.

Quelles sont vos influences théâtrales? Quels enseignements avez-vous suivi?
J’ai commencé par le Mime, avec le grand maître Marcel Marceau. Une longue et belle histoire qui a duré une vingtaine d’années et dans laquelle j’ai eu tous les rôles. Assistant, interprète, auteur, metteur en scène, enseignant. Mais je suis également en amour avec le verbe; nécessiteux d’écriture, de parole. Mes influences sont diverses et variées. Elles ont en commun le souci de l’émotion et de l’universalité.

Ildebrando Biribo est-il une sorte de clown, un personnage de commedia dell’arte, un être hors du temps?
Ildebrado Biribo’ n’est ni un clown ni un personnage de Commedia dell’arte. On peut l’y associer une parenté du fait que c’est un personnage qui ouvre les portes du cœur par le rire, qui s’adresse directement au public. Mais ça n’est qu’un lien de parenté que chacun jugera proche ou lointain. Ildebrando est un être hors du temps dans la mesure où il est une âme, une âme qui revient sur terre interpréter une page de sa vie. Il n’est donc plus lié au temps et à toutes les contraintes et soucis que cela engendre. Il est libre, libre d’exprimer ce qu’il veut, comme il le veut.

Vous semblez nostalgique de l’époque où existaient des souffleurs dans les théâtres: Pourquoi les comédiens d’aujourd’hui arrivent à faire sans? Qu’est-ce qui justifiait la présence des souffleurs à l’époque?
Je ne suis pas particulièrement nostalgique de l’époque, mais de ce que cela représentait. Auparavant, le théâtre, c’étaient les compagnies. Comme des grandes familles, elles voyageaient, avaient un répertoire qui pouvait changer tous les jours. C’étaient des troupes éprises de théâtre et de voyage. L’idée de ce théâtre-là m’enchante. Aujourd’hui, il y a bien sûr encore des compagnies, mais ce métier est structuré différemment. On monte des spectacles par castings, on regroupe des comédiens pour monter une pièce et l’exploiter au mieux de ce qu’elle pourra vivre. Plus vraiment de répertoire (mis à part à la comédie Française). D’où la disparition du souffleur qui, auparavant, avait toute sa place, vu que les comédiens, changeant régulièrement de pièce, étaient contraints de savoir énormément de textes par cœur. La présence d’un souffleur était réellement nécessaire à cette époque.

Vous dîtes que « vous êtes touché par ce métier car il représente à vos yeux tout ce que vous désirez du théâtre. Dévotion, amour silencieux de l’acte théâtral, du verbe comme du geste, écoute et compréhension de l’homme et des situations dans le but d’aider et soutenir la flamme »….le rôle du souffleur est donc bien plus symbolique et philosophique que concrètement utile, non?
Le rôle du souffleur n’est plus vraiment utile aujourd’hui pour les raisons que j’ai citées précédemment.Mais effectivement ce métier renferme en soi des valeurs merveilleuses, nobles, et aux valeurs profondément utiles dans nos sociétés contemporaines.

Et pourrait-on dire alors à propos, en récupérant les mots d’Edmond Rostand, que justement » c’est bien plus beau lorsque c’est inutile »? que le théâtre a toujours besoin de ce je-ne-sais-quoi de poétique et de superflu et que les souffleurs y contribuaient….?
Ces quinze derniers vers du monologue final de Cyrano semblent écrites pour un souffleur. Effectivement « c’est bien plus beau lorsque c’est inutile » renferme en soi toute la pureté de l’acte, sans demande de retour, son essence est dans l’être. Cette phrase représente pour moi une nécessité première à le beauté. Inutile, improductive, uniquement vivante par l’amour qui l’a faite naitre. Beauté éternelle .

Le choix de ce sujet, c’est aussi par passion pour la pièce d’Edmond Rostand, on suppose?
Cette pièce est un chef d’œuvre bien sûr, difficile de pouvoir affirmer le contraire. Mais la rencontre entre Ildebrando et cette pièce, ses quinze lignes du monologue final, sa création à la fin du 19ème siècle, qui correspond à l’époque où les souffleurs commencent à disparaître, et bien d’autres coïncidences, sont des rencontres fortuites, magiques, comme s’ils étaient fait l’un pour l’autre.

Et lorsque vos pas n’empruntent pas ceux du souffleur lunaire, sur quels autres projets, actuellement, travaillez-vous?
Je travaille en ce moment sur le bonheur, l’idée du bonheur, le bonheur, vécu, fugitif, ephémère. La création est en cours.

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