Emotion, signée Thierry Debroux

Le Roi Lune de Thierry Debroux redonne vie à un des personnages mythiques de l'histoire de l'Europe. Un de ces hommes né à une époque qui n'est pas la sienne et qui refuse de se soumettre à l'air de son temps. Son seul et unique moteur? La passion. Il aime le beau, l'art. Et il va mettre une énergie considérable, tant humaine que financière, au service de Richard Wagner, son ami, afin qu'il puisse créer librement ses opéras grandioses. Il mourra seul, fou, suicidé dans cinquante centimètre d'eau, sur le bord d'un lac.


1867-1868 est l'époque des séparations, 1875-1876 est celle des retrouvailles. Retrouvailles tout d'abord avec sa cousine Élisabeth. Si la Cour d'Autriche a longtemps gardé rancune à Louis pour ses fiançailles rompues, les deux Wittelsbach renouent occasionnellement puis, à partir de 1875, de manière répétée. L'Aigle et la Mouette unissent à nouveau leurs solitudes dans le cadre paisible de l'île des Roses. Et quand l'un des deux n'est pas là, l'autre lui écrit une lettre qu'il enferme délicatement dans un tiroir dont ils sont seuls à posséder la clé. Plusieurs semaines s'écoulent parfois avant que le message ne soit lu, quand Louis quitte ses montagnes ou quand Élisabeth revient au détour d'un de ses innombrables voyages qui l'entraînent loin de Vienne.

L'année 1875 a également ses côtés sombres. Placé sous surveillance étroite depuis deux ans, le prince Othon s'échappe et parvient en plein office dans la cathédrale de Munich, délirant et confessant les pires perversions. L'internement est devenu inévitable, mais Louis II exige que son frère soit traité avec tous les égards dus à son rang et qu'un éminent spécialiste soit choisi pour le soigner : le professeur Gudden.

Peu après, sur l'insistance de son entourage, Louis accepte de paraître à l'occasion d'une grande parade dans la capitale. Attirée par la présence exceptionnelle de son roi, la foule se presse en nombre et laisse exploser sa joie au point de fortement perturber le programme. Tout semble donc rentré dans l'ordre quand le 24 août tombe la nouvelle : le roi a disparu ! Certains pensent qu'il a été assassiné à l'instigation de sa famille dont on sait déjà qu'elle complote depuis 1866. D'autres affirment que les Prussiens l'ont enlevé. Que nenni : fidèle au serment qu'il s'était fait l'année précédente, Louis passe son anniversaire à la cathédrale de Reims, temple de la monarchie française. L'incartade rembrunit les esprits.

Si Louis a renoué avec Élisabeth, il retrouve également Richard Wagner malgré les divers désaccords qui ont émaillé leurs relations depuis l'affaire de La Walkyrie.

En 1871, le compositeur avait décidé de se fixer définitivement pour mettre enfin sur pied le théâtre des festivals lui permettant de présenter ses œuvres dans le sens conçu pour la scène et le public. Là où Louis II désapprouve le projet, c'est dans le choix de la ville de Bayreuth, certes en Bavière, mais dans une région protestante longtemps liée aux Hohenzollern de Prusse. Pour Wagner qui se veut le chantre de l'Empire dont il brigue les faveurs, Bayreuth est à mi-chemin entre le trône de Bavière et la jeune couronne allemande. Plus tard, en 1873, le poète Dahn, défenseur de la nouvelle Allemagne, rédige une ode au roi Louis que ce dernier s'empresse de demander à Wagner de mettre en musique. Trop occupé, le compositeur refuse, ce qui provoque la colère du roi qui interdit à Düfflipp de donner suite à toute nouvelle facture transmise par Wagner.

Or, dès 1874, l'entreprise de Bayreuth est une nouvelle fois menacée de faillite, si bien que le roi, dans son indéfectible attachement, s'exclame que tout cela ne peut se terminer de la sorte, sauvant le projet grâce à une généreuse donation.

Mil huit cent septante-six. Le festival. Louis accepte de venir à Bayreuth à la condition expresse de n'être soumis à aucune représentation officielle et de n'avoir à rencontrer aucun souverain, à commencer par le kaiser Guillaume 1er attendu pour la mi-août. Ainsi qu'il en a émis le souhait, le roi assiste seul à la générale de L'or du Rhin, un public prié d'être discret étant toléré lors des autres opéras de la Tétralogie pour de simples raisons d'acoustique.

Auparavant, dans la nuit du 5 au 6 août, alors que les officiels de Bayreuth attendent malgré tout son arrivée à la gare, le train bleu et or de Louis II fait halte en rase campagne à quelques kilomètres de là. Un homme l'y attend : Richard Wagner. Après huit ans, les retrouvailles sont émouvantes, le compositeur les yeux embués remerciant le mécène pour ses innombrables bontés. Puis tous deux s'enfoncent dans la nuit pour rallier le château de l'Ermitage où ils discutent jusqu'à l'aube.

Louis est fasciné par le Festspielhaus et par la grande œuvre wagnérienne, perfection artistique. Reparti le 10 août, Louis n'y tient plus et revient à Bayreuth le 27. Bien que séparé des autres souverains par des cloisons et malgré son désir d'éviter toute manifestation, il ne peut échapper au vibrant et enthousiaste hommage d'une salle à laquelle Wagner au comble de l'émotion se joint pour honorer celui sans qui rien ne serait arrivé. Le peuple a à peine le temps de s'associer à cette liesse que Louis, sincèrement touché par tant d'affection, regagne les Alpes.

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