Emotion, signée Thierry Debroux

Le Roi Lune de Thierry Debroux redonne vie à un des personnages mythiques de l'histoire de l'Europe. Un de ces hommes né à une époque qui n'est pas la sienne et qui refuse de se soumettre à l'air de son temps. Son seul et unique moteur? La passion. Il aime le beau, l'art. Et il va mettre une énergie considérable, tant humaine que financière, au service de Richard Wagner, son ami, afin qu'il puisse créer librement ses opéras grandioses. Il mourra seul, fou, suicidé dans cinquante centimètre d'eau, sur le bord d'un lac.


Le roi est mort, vive le roi! Le principe monarchique, incarnation du peuple et de l'État, ne connaît aucune césure et à peine Maximilien II a-t-il rendu le dernier soupir que chacun s'adresse à Louis en l'appelant "Majesté". Bien qu'il ait toujours su quel était son destin, ce qui n'était qu'une perspective lointaine s'impose maintenant à lui avec toute la gravité de l'instant.

Malgré la solennité des obsèques, tout un chacun est subjugué par ce jeune roi d'un mètre nonante dont le visage aux traits délicats et le port altier évoquent la grâce des cygnes qui ont bercé son enfance.lors que l'affaire des duchés n'est pas close, Louis II prononce le 30 mars son discours d'intronisation, faisant le serment que le bien-être de son cher peuple bavarois et la grandeur de l'Allemagne seraient les seuls objectifs de son règne.

Dès son accession au trône, Louis fait en effet preuve d'un total dévouement envers le royaume et, parvenu trop jeune au pouvoir, cherche à combler les lacunes de son instruction dans les domaines du droit, de l'économie,… Consciencieux et autodidacte, il étudie avec acharnement. Lucide, il maintient à leur poste les ministres de son père, n'hésitant pas à les assommer de questions afin de parfaire ses connaissances et d'approfondir les sujets qui lui sont soumis, ce en quoi il surprend ceux qui l'avaient mésestimé. Louis II se sent plus que jamais investi de la mission de guider la Bavière alors qu'il perçoit grâce à son intelligence aiguë que l'Allemagne est à l'approche d'une mutation radicale. Il existe ainsi deux personnes qui voient l'avenir: Bismarck pour le forger, Louis pour le redouter.
Début avril, le roi fait appeler son secrétaire de la Cour, le baron Franz von Pfistermeister, pour lui confier la surprenante tâche de trouver Richard Wagner et de l'inviter à venir s'installer en Bavière afin d'y bénéficier du haut patronage de son souverain. Ayant épluché les rapports de police ainsi que ceux de divers détectives lancés à la recherche du compositeur qui fuit ses créanciers à travers toute l'Europe, Pfistermeister est mis en demeure de retrouver personnellement le musicien qu'il finit par rattraper dans un petit hôtel de Stuttgart.

Là, le secrétaire que Wagner avait tout d'abord pris pour nouvel huissier lui fait part de l'invitation royale et lui remet un petit portrait de Louis II ainsi qu'un superbe rubis dont le flamboiement évoque à lui seul l'admiration ardente du souverain pour l'œuvre du poète de Lohengrin. Le soir même, le compositeur qui n'entrevoyait plus aucune solution à sa vie chaotique entre en pleine lumière.

Le 4 mai 1864, dans la grande salle du trône, en l'absence des importuns, la rencontre tant attendue se produit enfin. Richard Wagner se précipite vers le roi dont il baise longuement les mains avant que Louis II ne le relève. Le souverain l'exige : ils doivent être des amis l'un pour l'autre. Louis promet d'écarter toutes les viles tracasseries de la vie du musicien et en échange, Richard pourra donner la pleine mesure de son art. Le roi installe Wagner dans une petite maison au bord du lac de Starnberg, non loin de son château de Berg, à mi-chemin entre Munich et les Alpes. Les deux hommes se voient sans cesse et échangent une correspondance où les effusions lyriques la disputent aux serments de fidélité. Louis est heureux et Wagner, ébloui, est sincèrement ému par la grandeur d'âme de son protecteur dont il craint qu'il n'aille immanquablement au devant de cruelles désillusions.

A l'été, Louis abandonne Richard pour passer trois jours de vacances dans la station thermale franconienne de Bad Kissingen, séjour qui dure en définitive trois mois ! Ce qui retient le roi est la double présence des impératrices de Russie et d'Autriche. Maria Feodorovna, épouse du tsar Alexandre II est pour Louis la mère attentionnée qu'il aurait toujours voulu avoir tandis qu'Élisabeth est l'être éthéré et inaccessible qu'il adule et dont le mariage avec François-Joseph lui a porté un rude coup au cœur.

Malgré leurs huit ans d'écart, Élisabeth et Louis, la Mouette et l'Aigle comme ils se surnomment eux-mêmes, sont des miroirs l'un pour l'autre, répugnant aux obligations protocolaires pour leur préférer l'art, la nature et la nuit. Mais la fin de saison approche et Louis doit regagner Munich pour l'ouverture de l'Oktoberfest, cette fête de la bière qui, créée à l'occasion du mariage de Louis 1er, est devenue une institution que rehausse depuis toujours la présence du souverain.

Louis qui a épongé les dettes de Wagner installe celui-ci dans une luxueuse maison de la Briennerstraße, avenue prestigieuse d'une capitale résonnant au son des œuvres du grand compositeur qui a fait venir son collaborateur Hans von Bülow et surtout l'épouse de ce dernier, Cosima Liszt dont il est l'amant, fait qu'ignore évidemment le roi. Sans trahir ses sentiments pour le monarque, Wagner perçoit qu'il dispose grâce au patronage royal d'une occasion unique de réaliser tous ses anciens rêves. Aussi soumet-il à Louis II divers projets dont celui de la construction par l'architecte Semper d'un monumental théâtre au bord de l'Isar afin de pouvoir y disposer d'une scène moderne, seule capable de recevoir son œuvre majeure, L'anneau du Nibelung, au demeurant loin d'être achevée. Louis est emballé, ce qui n'est certes pas le cas de ses ministres qui grimaçaient déjà en réglant les nombreuses factures du compositeur et qui s'opposent en bloc au projet dont ils craignent le coût évalué à six millions de florins.

Retour à la page précédente