Emotion, signée Thierry Debroux

Le Roi Lune de Thierry Debroux redonne vie à un des personnages mythiques de l'histoire de l'Europe. Un de ces hommes né à une époque qui n'est pas la sienne et qui refuse de se soumettre à l'air de son temps. Son seul et unique moteur? La passion. Il aime le beau, l'art. Et il va mettre une énergie considérable, tant humaine que financière, au service de Richard Wagner, son ami, afin qu'il puisse créer librement ses opéras grandioses. Il mourra seul, fou, suicidé dans cinquante centimètre d'eau, sur le bord d'un lac.


Sa vie durant, Louis éprouve la plus vive affection pour la gouvernante de ses jeunes années, Sybille Meilhaus, qui deviendra plus tard la baronne Leonrod et avec laquelle il nourrit une abondante correspondance.

Richard Wagner ►

De manière plus ponctuelle, cette confidente joue un rôle insigne lorsqu'en 1858, elle décrit au jeune prince la représentation qui s'est tenue à Munich d'une œuvre appelée Lohengrin et composée par un certain monsieur Richard Wagner, banni d'Allemagne dix ans plus tôt en raison de ses activités révolutionnaires en Saxe.

Louis connaît le nom de cet artiste pour l'avoir lu chez son cousin et ami Charles-Théodore, le frère d'Élisabeth "Sissi" qui est devenue peu auparavant l'épouse de François-Joseph, empereur d'Autriche. Et le prince d'approfondir ses connaissances sur le musicien qui extirpe les mythes des livres pour leur insuffler la vie au travers de la musique et de la dramaturgie. Il va jusqu'à dévorer d'ardus traités théoriques de Wagner, comme Opéra et drame qu'il demande pour le Noël de ses treize ans.

Si Louis néglige le côté purement musical, discipline qu'il maîtrise mal, il apprend par cœur les livrets et insiste auprès de son père pour assister à la représentation de Lohengrin qui doit avoir lieu le 2 février 1862. À quinze ans et demi, le prince est happé par cet univers mythique et obtient que lui soit accordée une représentation privée. La première d'une longue série. L'année suivante, c'est Tannhäuser qui est au programme et Louis est tellement envoûté qu'il semble pris de spasmes au point que l'aide de camp présent dans la loge, le comte de Lerchenfeld dont le nom reviendra à son heure et dans des circonstances peu glorieuses croit un instant à une crise d'épilepsie. Ce que certains dans l'entourage de la Cour n'avaient pris que comme l'engouement passager d'un adolescent exalté se mue bien vite en un leitmotiv obsédant qui ne le quitte plus : Wagner!

L'autre sujet d'inquiétude des proches de la famille royale réside dans le peu d'intérêt que semble manifester Louis pour les représentations officielles. Or, cet apparent dédain est contrebalancé par une réelle prescience politique que peu de gens devinent, mais au nombre desquels se compte le chancelier de Prusse, Otto von Bismarck qui est l'une des rares personnes à susciter l'intérêt du prince, et ce bien qu'ils ne se rencontrèrent qu'une seule et unique fois, en 1863 lors d'un dîner officiel dont l'homme d'État garde un souvenir très précis. En effet, le jeune prince avec lequel le chancelier avait jugé tout aussi utile que plaisant d'échanger quelques propos convenus semblait totalement absent et très contrarié par ce devoir de représentation dont il cherchait à tromper l'ennui en se faisant servir coupes sur coupes de champagne alors que les domestiques recevaient de la reine Marie l'ordre impérieux de ne le faire qu'avec grande modération.

Le 25 août de cette même année, Louis devient majeur, recevant de toutes parts des congratulations, celles de la population des Alpes étant celles qui le touchent le plus. Avec la majorité est sensée s'accroître l'importance des responsabilités officielles, mais Louis cherche le plus souvent à s'y dérober. Son père avec lequel il n'a jamais eu que des liens ternes et distants n'insiste pas.

Pour l'heure, Louis dispose d'une aile de la Residenz, le palais royal de Munich, ainsi que d'une maison princière composée d'aides de camp dont le prince Paul de Tour-et-Tassis. Immédiatement naît entre les deux jeunes gens une amitié exacerbée dont atteste leur correspondance partielle, les lettres de Louis à Paul ayant été plus tard détruites par la famille de Tour-et-Tassis. Ne pouvant se passer l'un de l'autre, ils se délestent de l'étiquette pour vivre en toute liberté, comme lors d'un séjour qu'ils effectuent à Berchtesgaden. Cette relation intense servira plus tard aux détracteurs de Louis qui y verront un argument de poids pour étayer la thèse d'une orientation sexuelle particulière. Or, dans le cas présent, et bien que le prince soit sensible à l'esthétique y compris masculine, rien ne permet de conclure à un scandale de mœurs qui, s'il avait fallu l'étouffer, se serait traduit par l'éloignement de Paul. En fait, coupé du monde et des relations humaines classiques, Louis n'a certainement pas dissocié clairement deux sentiments, l'amitié et l'amour, qui se séparent l'un de l'autre vers l'adolescence. Quant au lyrisme de leurs échanges, il s'explique largement par l'omniprésence de l'univers dramaturgique qui agit avec une intensité croissante sur le prince royal. Pour la première fois, Louis a trouvé un ami et il s'exalte dans ce lien inconnu.

Malgré son détachement apparent, Louis comme son père prend pleinement la mesure de la crise qui couve en Allemagne du Nord. Le roi de Danemark vient de faire promulguer une constitution qui lui permettrait de faire définitivement main basse sur les duchés de Schleswig, de Holstein et de Lauenbourg à population majoritairement allemande. Un traité antérieur ayant ainsi été rompu, Prusse et Autriche, principales puissances de la Confédération germanique, interviennent et, en février 1864, soixante mille soldats écrasent l'armée de Christian IX.

Au moment où s'achève la guerre des duchés, la santé de Maximilien qui n'a pas ménagé ses efforts pour préserver la paix chancelle. Fin février, le roi apparaît très affaibli au bal de la Cour à l'occasion duquel plusieurs témoins affirment avoir aperçu la comtesse Orlamonde, apparition fantomatique qui, à l'instar de la Dame blanche des Habsbourg, annonce la mort prochaine d'un membre de la famille des Wittelsbach. Et de fait, le roi doit s'aliter, victime d'une fluxion de poitrine qui l'emporte doucement le 10 mars 1864, à l'heure où le soleil parvient à son zénith.

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