Emotion, signée Thierry Debroux

Le Roi Lune de Thierry Debroux redonne vie à un des personnages mythiques de l'histoire de l'Europe. Un de ces hommes né à une époque qui n'est pas la sienne et qui refuse de se soumettre à l'air de son temps. Son seul et unique moteur? La passion. Il aime le beau, l'art. Et il va mettre une énergie considérable, tant humaine que financière, au service de Richard Wagner, son ami, afin qu'il puisse créer librement ses opéras grandioses. Il mourra seul, fou, suicidé dans cinquante centimètre d'eau, sur le bord d'un lac.


Tragique destin que celui de Louis II. Héritier de l'un des plus anciens trônes du monde, souverain d'une Bavière qui fut l'un des principaux interlocuteurs de la Prusse bismarckienne, Louis II porta sur les fonts baptismaux cette étrange alchimie que fut l'Allemagne contemporaine.

Comme un vieil armateur cède le gouvernail et voit s'éloigner le navire, la Bavière ancienne intégrée au nouveau Reich allemand s'est plus que jamais parée d'une certaine vision du monde germanique, faite de montagnes et de fleuves majestueux, de profondes forêts et de riches champs, de petits villages romantiques et de cités prospères où l'air est toujours frais et évoque une douceur de vivre complexe qui n'est en définitive pas toujours la seule à flotter devant l'échoppe d'un Hans Sachs de Nuremberg. Or, à toute image, il faut une légende ou mieux encore : un mythe. Louis II est ce mythe.

Foncièrement honnête et bon, torturé et complexe, Louis II fut étranger à beaucoup de ses contemporains, ceux qui lui étaient fidèlement attachés l'aimant sans guère exiger de lui les justifications que d'autres réclamèrent post mortem. Une phrase du roi le résume lui-même : "Je veux demeurer un mystère pour les autres comme pour moi-même !". Saisissante confession qui rappelle le seul a priori qu'il faille nourrir à l'endroit de Sa Majesté.

Trois personnages intervinrent régulièrement dans la vie de Louis II, tous totalement différents, leurs perceptions propres agissant comme autant de miroirs rendant un reflet particulier du roi. Tout d'abord, Élisabeth d'Autriche, la célèbre Sissi, qui était la plus apte à saisir les tourments intérieurs de son cousin. Bismarck ensuite car, politique réaliste non dénué d'humanité contrairement au poncif véhiculé par une certaine propagande, il avait reconnu en ce roi l'un des dirigeants les plus intelligents et perspicaces de son temps. Wagner enfin, parce que l'enchanteur de Bayreuth fut le seul à partir à la rencontre artistique d'un monarque qui fut le dernier mécène, ne laissant derrière lui qu'une myriade de roitelets embourgeoisés et sans flamboyance.

Car Louis II, par-delà sa dimension politique qui fut bien réelle quoique méconnue incarne également la conception d'un univers élevé et pur. Cet idéal, il a tenté de l'atteindre dans ses fantastiques constructions, châteaux devenus les archétypes de l'historicisme avec Neuschwanstein, Linderhof ou Herrenchiemsee qui se sont nourris de Hohenschwangau sans avoir jamais vu s'ériger Falkenstein. Cet idéal, il a également voulu le sublimer en éloignant les bas soucis de la vie des artistes, léguant ainsi à l'Europe les trésors qui font la grandeur inimitable de sa culture.

Louis II, c'est aussi le mystère, celui de sa vie et plus encore celui de sa mort, épisode jamais élucidé qui marque le point de départ de son mythe.

Tel est Louis II de Bavière qui, loin des images d'Épinal et des caricatures dénigrantes, demeure à jamais celui qui, selon le mot de Paul Verlaine, fut de son siècle le seul vrai roi, soucieux de la paix de ses États et du bien-être de ses sujets.

Et que tout qui écoute la terrible saga des Nibelungen, s'émeut de la tragique histoire de Tristan et Isolde, s'extasie face à l'hymne à la rédemption et à la pureté de Parsifal ou goûte l'air vivifiant des Maîtres-chanteurs de Nuremberg puisse ne jamais oublier qu'il puisera une incommensurable part de magie dans le regard sombre et émerveillé d'un roi qui, tel Lohengrin, n'a quitté ce monde que pour confier sa propre légende à l'éternité !

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