Triangle rose, étoile jaune: un amour passionnel
Deux hommes qui s'aiment avec des mots

Disons-le tout de suite, ce spêctacle figure "à part" dans l'histoire du Festival Bruxellons! … A la vision du spectacle, ce fut un véritable choc. Le propos, la mise en scène, les acteurs, … Un choc. Comme on en voit un ou deux par saison. Le genre de spectacle que l'on rêve de partager avec les spectateurs du Festival Bruxellons! Mais … problème. Ce spectacle était produit par une compagnie de théâtre amateur. Nous nous sommes longtemps interrogé quant à sa programmation dans notre Festival. Et nous avons conclu que le talent ne nécessitait pas de diplôme. Et donc qu'il était indispensable de vous le proposer, simplement parce que ce spectacle parle terriblement d'hier, et espérons jamais de demain.


Malgré tous les témoignages que l’on peut lire – nouvelles, récits autobiographiques, souvenirs – il est difficile de donner une image exacte de l’étonnante atmosphère qui régnait alors à Berlin. La ville est de longue date un carrefour artistique, littéraire et politique. Il y a le Berlin de la bourgeoisie et celui des ouvriers, le Berlin des émigrés russes et celui des soviétiques, avec Biely, Ehrenburg, Maïakovski, Essénine qui se disputent dans les cafés. Mais ce qui frappe le plus dans toutes ces descriptions, c’est la misère croissante qui affecte la grande capitale. La crise économique qui a commencé en octobre 1929 n’a cessé de s’aggraver. L’industrie est durement touchée, dans toutes les villes les chômeurs se comptent par millions. Cela rappelle aux Allemands les années qui ont suivi la première guerre mondiale, et particulièrement 1923, où le gouvernement de Weimar dut faire face à l’inflation galopante causée par les conséquences économiques des traités et par les grèves. L’année 1923 a été appelée en Allemagne « l’année inhumaine ». Pourtant, l’année 1930 semble aussi terrible. Les gouvernements se succèdent sans parvenir à rétablir la situation. Le 30 mars 1930, le déficit de l’Allemagne est de 700 millions. Le parti nazi commence son ascension fulgurante en ralliant les chômeurs, les paysans, la petite bourgeoisie et une partie des ouvriers. Pour beaucoup, il apparaît comme la seule possibilité de sauver l’Allemagne de la misère. Le slogan hitlérien « Deutschland erwach ! » – « Allemagne réveille toi ! » - est lourd de signification. C’est l’époque du Berlin Alexanderplatz de Döblin, dont le héros Franz Biberkopf, sortant de prison, cherche désespérément à redevenir honnête dans la misère, dans un monde de camelots, de prostituées, de souteneurs, attiré par les meetings communistes et les réunions nazies. La violence s’empare des rues. Depuis le 9 juillet 1930, le Front National regroupe les Nationaux-Allemands, le Casque d’Acier, le parti national-socialiste, la ligue pangermaniste. Les nazis se livrent à des campagnes d’agitation et à des provocations continuelles. Hitler multiplie les meetings et les rencontres avec la foule et engage la lutte contre son principal adversaire politique : le parti communiste.

La crise économique a frappé l’Allemagne avec une violence extrême. Dépendant en grande partie de ses exportations, l’industrie allemande est bloquée. Les millions de chômeurs ne consomment plus et l’on en compte en 1930, 4 357 000. Ce sont les jeunes ouvriers qui sont le plus durement frappés et les autres ne peuvent apprendre un métier. Pourtant la crise économique et sociale ne ralentit pas l’activité artistique, au contraire.

Jamais les cabarets n’ont été aussi nombreux. Beaucoup cherchent à fuir, dans la frénésie des plaisirs, la misère. C’est l’époque des bals masqués si nombreux dans Berlin. La soeur de l’architecte soviétique El Lissitsky a admirablement résumé cette atmosphère en disant qu’un kilo de pain coûtait un million de marks et une fille, une cigarette. Partout, on assiste à la même décomposition des valeurs.

Otto Strasser, dont le frère Grégor Strasser, plus tard assassiné par Hitler, appartenait à « l’aile gauche » du parti nazi, évoque dans ses Mémoires ce climat :
« La culture allemande, les moeurs, la littérature, le théâtre et le film devaient se ressentir de cette période dangereuse et troublée où la morale sombrait, dans un besoin d’oubli, de griserie, de sensations violentes et de plaisirs excentriques.
Les clubs de nuit surgirent comme des champignons après la pluie; des danseuses nues s’exhibaient aux applaudissements d’un public ivre de vin et de lubricité. C’était l’époque des sadiques morbides, de l’amour dans un cercueil, du masochisme le plus cruel, des maniaques de tous genres; c’était l’âge d’or des homosexuels, des astrologues, des somnambules. »

Misère, perte des valeurs, cabarets et montée du nazisme sont évoqués dans les deux premières scènes de la pièce de Martin Sherman.

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