Théâtre Jeune Public
à partir de 6 ans

Rose est un enfant du dedans.
Elle n’a pas le droit d’aller dehors.
Le dehors, c’est pour les grands.
Ceux qui sont capables de lutter contre le vent.
Une histoire dans laquelle le dehors entre sans frapper et le dedans sort sans permission.
Une fable autour de l’espace d’exploration des enfants
Une histoire de fraternité.
Une quête de liberté.


Comment vous définiriez-vous en quelques mots ?
Je suis un être en recherche pour qui rien n'est aboutissement. Tout ne sert qu'à une quête que j'ignore encore. Cette quête se fait par l'intermé¬diaire des spectacles, parce que c'est ma manière d'être au monde. La première fois que j'ai été sur scène, j'ai dit « ça c'est ma place ». Il n'y avait pas de doute. Je ne cherche pas à savoir quel est l'objet de la quête, je sens qu'il y a un chemin qui se fait en moi. Pour l'instant, la tournée de Vy en Belgique m'amène dans des lieux où je n'ai jamais été, elle m'amène à rencontrer des personnes qui pour la première fois m'ouvrent leurs portes. Des personnes qui m'impressionnent par leur engagement culturel et humain. Par exemple, le petit théâtre de la Grande Vie à Forzée non loin de Rochefort, qui habituel¬lement programme de la musique. C'était une très belle rencontre, où le responsable m'a dit que ses portes m'étaient ouvertes. Je ne sais pas encore où ça me mènera. J'aime quand tout est au service d'un peu plus d'humanité, quand chacun trouve sa place et peut donner le meilleur de lui-même, être utile. Et puis, il y a aussi le Théâtre des 4 mains. Une famille s'est installée dans un village et par sa seule énergie, elle a créé un lieu où les villageois se parlent et partagent. J'avais l'impression de racon¬ter à une grande famille... Je suis très troublée, très touchée par ça.
Je me dis que je grandis puisque je rencontre de nouvelles personnes. Ma quête rencontre d'autres quêtes humaines. Et la magie de ce qui se passe alors sur scène est au-delà du spectacle.
On dit que « lorsque l'élève est prêt, le maître se présente ». J'ai chaque fois cette impression dans ma vie. Je grandis par petits pas. À chaque fois qu'on m'indique un chemin, je me dis : « ah oui », et je le suis. Par exemple, quand j'avais 12 ans, j'ai décidé de changer d'école. Je ne sais pas ce qui m'a poussée vers l'école des Ursulines, alors que mes frères et sœurs allaient dans une autre école. J'ai sans doute trouvé des arguments pour convaincre ma mère, mais au fond de moi je savais juste que c'était là que je devais aller. Or, c’est dans cette école que j’ai fait une rencontre importante.
Le Molière m'a fait me retourner en arrière et me poser la question : qu'est-ce qui a fait que tu es arri¬vée à ce Molière ? J'ai repensé aux rencontres qui avaient été importantes dans ma vie et qui m'avaient menée là. Il y avait eu Herbert Roland du Théâtre de la Vie, notamment. Je l'ai rencontré aux Ursulines où il était venu jouer un spectacle de Molière, avec sa compagnie itinérante. Après le spectacle, il avait expliqué qu'il donnait des stages à La Marlagne et j'ai été suivre un de ces stages à 16 ans. C'était déjà un premier pas, un premier choix de théâtre. Ce qui fait que des années plus tard, quand je suis allée le trouver, il se souvenait de moi, il avait même une photo de moi durant le stage. C'était troublant, comme si toute jeune déjà, le théâtre était ma place. Petit à petit, le chemin s'est fait.

Si le Molière permet de jeter un regard en arrière sans être pour autant un aboutissement, que représente-t-il ?
Ce fut un moment de reconnaissance et de grati¬tude où je me suis dit : pour que ce chemin se fasse, il a fallu toutes ces personnes qui m'ont aidée à faire un pas en plus dans ma vie. Cela m'encourage à continuer à faire confiance à la vie. Et puis il y a ce clin d'œil : je reçois un Molière et la première pièce que j'ai vue était une pièce de Molière.

Avec Vy, vous retournez dans votre enfance et vous vous adressez pour la première fois à un public d'enfants... D'où est venue cette envie d'écrire et de jouer pour eux?
Pendant très longtemps je ne voulais pas raconter aux enfants. J'avais une peur réelle parce que l'en¬fant que j'avais été avait eu peur des autres enfants. Il y avait le racisme, j'étais une enfant très timide... J'avais peur qu'ils se moquent de moi. J'avais peur qu'ils me fassent mal. Je me disais qu'en arrivant sur scène, ça allait mal se passer. En fait, ce ne fut pas le cas. Ils rient, ils viennent me trouver à la fin du spectacle. C'est une entrée vers autre chose, c'est comme dire à la petite fille que j'étais: «vas-y, ose aller vers les autres». Au début, j'ai dû faire atten¬tion car certaines séances étaient suspendues et d'autres non, il y avait du chahut parce qu'ils vivent l'instant. Et parce que les instituteurs ont une atti¬tude surprenante parfois avec eux. Quand tu en vois certains rentrer dans la salle, ça te glace. Une institu¬trice a dit juste avant que le spectacle ne commence : « N'oubliez pas que le bulletin n'est pas encore com¬plété, nous pouvons encore distribuer des zéros». C'est dur d'être confronté à cela. En même temps, mon spectacle parle du rapporta l'autorité via le per¬sonnage de la grand-mère. Je peux ainsi m'amuser en reprenant les tics des institutrices de la salle pour les donner à la grand-mère. Ça me nourrit de les voir car la grand-mère incarne l'autorité absolue où tu ne peux pas jouer, rire, parler. Je retrouve ça chez certains instituteurs qui, même lorsque les enfants rient, font « chut». Parce qu'ils ont peur du déborde¬ment, ils doivent contrôler tout le temps. Je ne veux pas les blâmer, car leur rôle n'est pas évident. Et puis c'est l'institutrice qui m'a le plus choquée par son comportement au début d’une représentation, qui était en larmes à la fin. Tu ne sais jamais ce qui se cache derrière une autorité ou une rigidité.

Arrive-t-il qu'une représentation jeune public ne se passe pas bien?
On fait beaucoup de séances scolaires mais une m'a marquée : le public était composé d’adolescents trop grands pour le spectacle, le rapport n'était pas bon, peut-être n'étais-je pas juste ce jour-là... Ils ont ricané pendant tout le spectacle. Comme j'y vais avec le cœur, je dois apprendre à me protéger.

Je reviens avec cette question : pourquoi avoir voulu vous adresser aux enfants ?
Pendant la création du spectacle précédent, Ma soeur ma juge, qui parlait d'enfants placés par le juge, je me suis posée la question : en tant que conteuse, qu'aurais-tu à dire à ces enfants ? La porte s'ouvrait avec cette question. La réponse à suivi : j'avais envie de leur dire « quoi que vous traversiez, quoi que vous viviez, votre rêve peut être plus fort que tout ».

Vous parliez de quête, est-ce celle de la beauté ?
Non, ce serait plutôt une quête du juste. J'ai peur qu'on me dise « ah que c'est joli ».
J'en ai pris conscience en travaillant avec Alain Moreau. Quand il me disait « ça il faut garder, l’image est très belle », je disais « non, ce n'est pas ça que je cherche, ce n'est pas juste ». D'ailleurs parfois, il suffit qu'on me dise « c'est joli » pour que je l'enlève. J'ai ainsi fait sauter plusieurs scènes dans Vy. Et pourtant, je suis émerveillée par le travail d'Alain dans ses propres spectacles.
Mon écriture est peut-être poétique, mais elle est avant tout basique...

Concrète ?
Oui ! C'est avec Lassaad que j'ai appris à partir du plus proche de la réalité, de la nature. Dans l'écriture j'ai besoin d'être au plus proche de moi. Je me sou¬viens de Fernand Deligny qui parlait des adolescents et disait : « Si tu joues au gendarme, ils joueront les voleurs. Si tu joues au juge, ils joueront la victime. Mais si tu es toi-même, ils seront bien embêtés ». C'est toujours ce même chemin où je cherche à aller vers l'intérieur, à enlever les couches, même s'il y en a toujours de nouvelles à découvrir. C'est sans fin.

Vous parliez du processus de création de Vy. Comment arrive-t-on à une forme finale, en passant de petits échecs en petits échecs ?
Au début, je travaillais avec Alain pour la marion¬nette parce que je n’en avais jamais utilisée. Comme il a l'habitude de la marionnette, il voyait par exemple des choses au sol. Or moi je suis conteuse, je ne peux pas rester au sol. Le plus important n'était pas la marionnette, c'était la conteuse. Ou plutôt l'histoire. A un moment donné, je me suis retrouvée derrière un pupitre pour une lecture et le pupitre s'est imposé en moi comme une évidence, j'étais debout avec un livre aux pages blanches qui représentait ma vie qui défile. J'avais trouvé un moteur qui était juste, pour moi. J'ai continué sans Alain... Je dois juste me faire confiance pour affirmer ce que je veux. Si tu es tout seul, tu ne peux pas créer. Tu as besoin de rencontrer l'autre. La confrontation est parfois nécessaire pour créer.
Je dois à Alain d'avoir cru en moi et ce spectacle dès le départ. « Quand quelqu'un t'écoute vraiment, ça te donne des ailes ». Alain m'a écoutée.

Quand vous regardez vos spectacles précédents, l'échec faisait-il partie du processus ?
Beaucoup de mes spectacles furent des évidences. Mais, par exemple, Ma soeur ma juge pourrait être considérée comme un échec, dans le sens où il n'a pas tourné en France. Ce fut un échec financier total qui a mis en danger la compagnie. L'adaptation a été difficile, la relation avec le metteur en scène que j'avais choisi aussi... Mais ce spectacle m'a nourrie et il m'a permis d'aller vers Vy. J'aurais pu le vivre comme un échec. J'étais triste qu'il ne soit pas reçu. Mais c'est lui qui m'a permis de toucher cette part de l'enfance dont je ne parlais pas, que je n'avais pas osé aborder. C'était juste une étape pour aller plus loin, plus profond.

Comment résonne le mot « échec » chez vous ?
Adolescente, j'ai dû recommencer ma troisième année. Je me suis effondrée, je perdais toutes mes amies. J'ai pleuré comme jamais. En recommençant mon année, j'ai trouvé d'autres amies, dont une qui suivait des cours à l'académie. C'est grâce à elle que j'ai commencé la diction, la déclamation, l’art dra¬matique. Je garde un souvenir merveilleux de ces mercredis après-midi à l'académie. Par la suite, elle m'a demandé d'être témoin de son mariage, elle m'a présentée à sa cousine qui faisait du théâtre et dont elle m'avait beaucoup parlé. En fait, il s’agissait de Laurence Vielle. A l'époque, je sortais de Lassaad et je devais présenter un seul en scène à la Véne¬rie... Un seule en scène humoristique! Et Laurence m'a proposé d'écrire avec moi ce seule en scène de clown. Vu le manque de temps que nous avons eu, le spectacle n'était pas très abouti, ce ne fut pas un succès, je me suis fait descendre par Christel Prou- vost du Soir, personne ne riait, c'était la catastrophe. Le directeur, Mirko Popovitch, m'a dit : « tu n'es pas du tout un clown mais tu es dans la lignée des grandes conteuses ». Et je l'ai écouté. Tout échec mène à quelque chose. Il faut dire merci et écouter... L'échec est un cadeau.

Et la réussite alors ?
C'est se sentir à sa place, arriver à être heureux là où on est, pouvoir l'exprimer et donner le meilleur de soi.

Propos recueillis par Cali Kroonen

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