"On rit entre les larmes comme on passe
ntre les gouttes, les jours de pluie. C'est très fort."

Il était une fois Dominique Bréda, talentueux auteur (meilleur auteur en Belgique en 2010), et ses histoires bourrées d'humour : Emma, Le Groupe, Purgatoire... Au meilleur de sa plume, Dominique Bréda nous présente son nouveau spectacle : New York !

Sur le quai d'une gare désaffectée, tard dans la nuit, Max revisite son passé et fait la rencontre d'un curieux chef de gare en mal de voyageurs…


La comédie répond à un besoin humain de prendre de la distance par rapport à la souffrance existentielle. Le rire est la seule liberté, la seule maîtrise qui nous reste lorsque nous ne sommes plus libres et que nous ne maîtrisons plus rien. De Molière à Desproges, en passant par Chaplin, Beckett et les Monty Python, sa fonction première consiste à nous faire oublier que nous allons bientôt mourir.
Or, nous allons bientôt mourir.

J’ai côtoyé la mort de près. Pas la mienne. Celle de ceux qui m'étaient proches. En toute honnêteté, je n’ai pas beaucoup apprécié la rencontre. Je peux même affirmer aujourd’hui que je suis résolument contre la mort. En tant que vivant, je la considère comme une erreur. L’« acceptation » proposée par la plupart des écoles psychanalytiques comme étape finale du deuil me laisse perplexe. Il est en effet inacceptable de voir les autres mourir, voire de mourir soi-même, bien que l’on ne soit pas amené à regretter l’existence quand, précisément, on n’existe plus.

Concernant la souffrance, mes opinions ne sont guère très différentes.

Celle des autres me révulse. La mienne me désole. La souffrance a peu d’autres conséquences qu’elle-même. Elle s’auto-génère sans s’auto-détruire. Je ne crois pas plus en la vertu salvatrice de la douleur
qu’au pouvoir amincissant des chips au sel. Tout ce qui ne nous détruit pas ne nous rend, hélas, pas plus fort ni meilleurs. Tout ce qui ne nous détruit pas, certes, ne nous détruit pas, mais ferait mieux
de s’abstenir. Du reste, l’acceptation de la souffrance des autres est une discipline très confortable dans laquelle l’humanité s’est toujours déplorablement illustrée.

Bien sûr, s’opposer fermement à la mort requiert un certain sens de l’humour et un bon esprit sportif. Il existe en effet un risque non négligeable que la mort finisse par triompher. C’est ce même humour qui m’a permis de rester debout lors de mes entrevues avec les ennemis précités. J’ai regardé toute ma vie au travers de ce prisme déformant pour mieux supporter la réalité. C’est donc assez naturellement qu’aujourd’hui ce point de vue s’impose à moi lorsque me vient l’envie de raconter une histoire. Car la comédie n’est autre qu’un point de vue à partir duquel on peut raconter toute histoire et traiter tous les sujets. Elle déforme les images, mais n’en dissimule pas l’essence. Elle peut, au contraire, nous permettre de mieux regarder le réel en face, comme un manteau nous permet d’affronter la tempête.

New York est un spectacle dont l’enjeu me dépasse, tant il fait partie de ma vie et de celles de mes complices dans cette aventure. Je ne peux pas en décrire les contours exacts. J’ai la très nette impression
que c’est à partir de ce moment-là, quand l’indicible pointe le bout du nez, qu’une création artistique se justifie. J’ai le sentiment qu’à travers la forme théâtrale, nous pouvons en dire plus que ce que nous ne savons réellement. La forme nous permet d’exprimer ce qui ne serait pas exprimable. J’ai pu expérimenter cela, notamment, en travaillant avec Julie Duroisin sur « Emma », un seul en scène qui
comporte, lui aussi, beaucoup d’éléments de sa vie et de la mienne.

Vers la fin des répétitions, lors des premiers filages, je me suis surpris à me laisser prendre au piège que nous avions tendu ensemble aux futurs spectateurs. Curieusement, l’émotion en moi prenait largement le dessus sur le regard objectif que je me devais de tenir sur son interprétation. Je connaissais bien le texte pour l’avoir écrit et maintes fois ressassé au cours des semaines précédentes. Cette
émotion ne venait pas du texte, mais de la manière qu’avait Julie de me raconter cette histoire, de se l’approprier jusqu’à me dire, avec mes propres mots, beaucoup plus que ce que mes propres mots
pouvaient dire. Ensuite, ce fut au tour du public de nous apprendre ce que leur racontaient ces mots qui étaient devenus les nôtres.

Je pense que le rôle du metteur en scène est de créer les conditions pour que cette étrange réaction chimique ait lieu.

Dominique Bréda

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