5.
1866 1927 - Recherches

 6.8.
Paul Robeson
«LE» JOE

 6.9.H.
Show Boat
Film (II) (1936)

 6.8.I.
Show Boat
Los Angeles (1940)

 6.10.
Le crash de '29
La fin d'un monde

 7.
1927 1943 - Difficultés

H) Hollywood, mai 1936 - Deuxième film (Universal) (2/2)

H.5) Le mot en N…, dix ans plus tard.

  Hattie McDaniel (Queenie)  

Universal a brièvement lancé l’idée d’utiliser Tess Gardella dans le rôle de Queenie. Elle avait joué ce rôle dans la création en 1927, mais étant blanche, jouait en blackface. Depuis 1934, il était d’usage de «prendre conseil» auprès de la Production Code Authority (PCA). Le PCA va relever des problématiques raciales et sexuelles, mais pas du tout comme on l’imagine.

Ce qui pose problème avec Show Boat (), ce n’est pas que l’on choisisse une comédienne blanche qui se peinturlure en noir pour se faire passer pour une noire, plutôt que d’engager une comédienne noire…

Non!

Comme l’a écrit très clairement à Universal Joseph Breen, dirigeant le PCA:

«Je pense que vous devriez être extrêmement prudent, cependant, de ne pas filmer tout contact physique entre Tess Gardella et un homme nègre pour la raison que beaucoup de gens savent que Tess Gardella (en blackface) est en réalité une actrice blanche et qu’ils pourraient être repoussés par la vue de cette actrice blanche touchée par un homme qui est un nègre.»

Joseph Breen - PCA


TERRIFIANT, non?

Ce code (voir ci-contre) a été terrible pendant des années: dans le film Tarzan Escapes («Tarzan s'évade») (1936), Jane porte désormais une robe alors qu'elle était encore en bikini en peau de léopard deux ans plus tôt dans Tarzan the Ape Man («Tarzan et sa compagne») (1934); avant 1934, le personnage de dessin animé Betty Boop est une Bimbo, jeune femme emblématique de ce que Scott Fitzgerald avait appelé l'âge du jazz alors qu’après 1934 et l'entrée en vigueur du Code Hays, l'équipe des studios Fleischer se voit obligée de faire de Betty Boop une «jeune fille rangée», une célibataire qui travaille.

Production Code Authority

Le Code Hays est le surnom communément donné au code de production du cinéma américain (officiellement appelé «Motion Picture Production Code» en anglais), établi en mars 1930 par le sénateur William Hays, président de la Motion Pictures Producers and Distributors Association, pour réguler la production des films. Appliqué de 1934 à 1966, ce texte fait suite à de nombreux scandales entachant l'image de Hollywood.

Il s'agit d'un exemple d’autorégulation, les studios s'étant eux-mêmes imposé cette censure afin d'éviter l’intervention extérieure, en particulier de l'État fédéral. Le code est appliqué par l'administration du code de production (Production Code Administration), dirigée par le très catholique Joseph Breen (1888-1965) qui impose sa marque sur tous les films hollywoodiens de 1934 à 1954, période connue pour sa rigueur morale.

La première mesure de Hays est d’imposer un certificat de moralité pour toute personne apparaissant à l’écran. Il dresse une liste de sujets et de thèmes que les scénaristes doivent éviter. Aucun film ne sera produit qui porterait atteinte aux valeurs morales des spectateurs. La sympathie du spectateur ne doit jamais être jetée du côté du crime, des méfaits, du mal ou du péché. L'importance de l’institution du mariage et l'importance de la famille sont primordiales. L'obscénité dans le mot, dans le geste, dans la chanson, dans la plaisanterie, ou même simplement suggérée, est interdite. Le blasphème est strictement interdit. L'indécence est interdite de même que la nudité, réelle ou suggérée. La traite des Blanches et la prostitution ne doivent pas être représentées. L'évocation de rapports sexuels interraciaux est tout bonnement interdite…

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Betty Boop en 1932 et 1936

Quoi qu’il en soit, Tess Gardella ne reprendra pas son rôle et Universal a choisi l’actrice noire Hattie McDaniel, qui avait joué Queenie sur scène à Los Angeles en 1933.

La volonté d’augmenter la taille du rôle de Joe a aussi conduit à un agrandissement de celui de Queenie. Hattie McDaniel a bénéficié de la décision de mettre en vedette Robeson. Hammerstein a ajouté une scène de dialogue pour le couple juste avant Ol’ Man River, établissant une relation de chamailleries où la robuste et dominante Queenie accuse Joe de paresse.

 

Cette relation était implicite dans le couplet de Queenie de Can’t Help Lovin' Dat Man, mais Kern et Hammerstein décident de faire de la paresse un trait fondamental du caractère de Joe et ajoutent dans ce but une scène en duo Ah Still Suits Me. Cette chanson, dans laquelle Joe déclare aimer être tel qu’il est à une Queenie qui lui reproche sa paresse. À la fin de la scène, Joe part en barque sur le Mississippi, en pleine tempête chercher un médecin pour assister à la naissance de Kim. Il y chante la même chanson, à pleins poumons cette fois en plein orage.

Hattie McDaniel a joué de nombreux rôles de «Mammy» à Hollywood; deux d’entre eux sortent du lot, et font partie de l’histoire du cinéma: Queenie dans le Show Boat 1936 et Mammy dans Gone with the Wind («Autant en emporte le vent») en 1939. Dans Show Boat (), cependant, elle a un mari – rien de moins que Robeson – avec qui elle chante un duo qui, après toutes ces querelles, se termine par une note affectueuse. Joe et Queenie forment un couple noir lié par un mariage «arrangé» ou «fonctionnel» faisant écho, dans une certaine mesure, au couple tout aussi controversé, mais «désiré» d’Andy et Parthy.

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Hattie McDaniel (Queenie) pleine de suspicion face à Helen Morgan (Julie La Verne) - Une des rares scènes d'Hollywood à l'époque où une noire juge une blanche. - (Universal 1936)

La Queenie de McDaniel joue une gamme très large d’expressions rarement offerte aux Mammies d’Hollywood de l’époque. Plus qu’une simple servante, McDaniel participe à la progression de l’histoire. Un des moments majeurs est bien sûr quand la caméra de Whale cherche les soupçons dans ses yeux quand elle entend Julie chanter Can’t Help Lovin' Dat Man (voir ci-contre).

Bien sûr, la position précaire de Julie dissimulant son identité raciale aux Noirs comme aux Blancs est révélée dans cette scène. Mais très peu de films hollywoodiens auraient permis à une noire de faire vaciller une blanche – fût-elle en réalité mulâtre.

 

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Bill "Boj angles" Robinson

  Quelle image du «peuple noir»?  

Avec Robeson et McDaniel dans la distribution, Show Boat () était déjà assuré d’être un événement majeur pour le public noir. Mais Universal espérait ajouter encore une autre star noire au film: le danseur de claquettes Bill "Boj angles" Robinson.

Dans ce deuxième film, le scénario adapté par Hammerstein comprenait deux longs numéros de danse destinés à Robinson. Tout d’abord, il dansait sur les rives du Mississippi devant un groupe de «Noirs» rassemblés autour d’un feu devant des cabanes délabrées, chantant doucement Got My Eye On You. Ce numéro, placé juste avant la scène où Magnolia et Ravenal décident de se marier, a été décrit dans le scénario d'une manière très explicite: «Numéro de danse (si nous avons Bill Robinson)». Sans Robinson, ce numéro ne serait pas maintenu dans le film, un peu comme le Paul Robeson Recital n’était prévu dans la création de 1927 que si Robeson acceptait de jouer Joe.

Un deuxième numéro pour Robinson suivait peu de temps après, où il menait la danse sur la digue pendant le mariage. L’idée d’insérer Robinson dans Show Boat () démontre une fois de plus combien les Noirs occupaient une place centrale dans l’histoire qu’il voulait raconter. Mais il faut aussi remarquer l’engouement d’Universal d’engager des stars noires dans ce film.

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Bill "Boj angles" Robinson & Shirley Temple
(The Little Colonel - Fox Film (1935))

À ce moment de sa carrière, Robinson avait dansé dans deux films d’époque: The Little Colonel (1935) et The Littlest Rebel (1935), tous deux avec Shirley Temple. Dans les deux films, Robinson jouait le serviteur de la maison, l’amenant à se frotter aux modèles distingués de la vie blanche du Sud et son style très chic était devenu une vraie signature. Ici, le rôle que lui proposait Hammerstein dans Show Boat (), l’aurait amené sans aucun doute dans un tout autre contexte social… dans un contexte plus bas, le long de la rivière, où son style de signature aurait été moins logique. Il refusa le rôle.

Le scénario d’Hammerstein utilisait partout le mot «nigger» (nègre): dans le chœur d’ouverture (qui a été presque entièrement coupé lors du montage du film), dans les descriptions de l’action, mais aussi dans le dialogue de la scène de métissage – comme il l’était dans le texte du musical à la scène. Le Production Code Authority (PCA) a «recommandé» de supprimer toute utilisation de ce mot, comme Breen a noté: «Comme vous le savez, l’expression «nègre» s’est avérée offensante pour la race colorée, et nous avons constamment évité de l’utiliser à l’écran.» Mais Universal n’était pas prête à les supprimer toutes et a répondu à Breen: «Le mot 'nègre' ne sera pas utilisé dans le dialogue, mais devra être utilisé dans une ou deux chansons où il intervient naturellement.» Cela ne peut faire référence qu’à une seule chanson, Ol’ Man River.

Pourtant, dans le film, Robeson chantera darkies au lieu de niggers, comme il le faisait (et le fera) d’ailleurs dans tous les enregistrements sur disques de la chanson, à une exception près. Comme il n’y a eu aucune objection officielle du PCA et qu’Universal voulait clairement préserver le mot nigger dans les paroles, ce qui a motivé le changement vers darkies est sans aucun doute la volonté de Robeson lui-même.

Hammerstein, Whale, et Robeson ont tous trois contribué à faire d’Ol’ Man River la séquence signature du film.

Le soir de la première preview du film, Whale a écrit à Robeson qui se trouvait en Europe: «Il semblait que vous étiez vraiment là, et je n’oublierai jamais cette chanson qui nous a glacé le sang

La première apparition de Robeson dans le film survient juste avant Ol’ Man River. Filmé portant un sac de farine, Whale a réalisé un traveling avant pour terminer sur un gros plan de Robeson, d’une manière audacieuse pour l’époque, le consacrant ainsi immédiatement «star du film», comme le fera précisément John Ford lors de la première apparition de John Wayne dans Stagecoach quelques années plus tard. Ce travail actif de la caméra est typique du Show Boat () de Whale, qui n’hésite pas à utiliser une rhétorique visuelle parfois surchauffée. De gros plans extrêmes sont fréquemment utilisés, avec Robeson, Helen Morgan dans Bill, un Donald Cook qui transpire abondamment dans le rôle de Steve dans la scène du métissage …

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«Negro Spiritual»
Représentation de Paul Robeson
Sculpture d'Antonio Salemme (1926)

Lorsque Robeson commence à chanter le couplet de Ol’ Man River assis sur un quai, Whale fait un plan de caméra où il tourne autour de lui avec un plan de grue circulaire qui filme le corps de Robeson comme si l’acteur était une statue (v. video ci-dessus).

En fait, Robeson avait été immortalisé dans une statue en bronze grandeur nature où il était nu – ce qui avait fait scandale – due à Antonio Salemme dans les années 1920. Salemme avait vu Robeson dans The Emperor Jones () et lui avait demandé qu’il pose pour lui. L'œuvre finie, "Negro Spiritual" a été exposée au Brooklyn Museum ainsi que dans d'autres institutions d'art. La statue a été perdue pendant la Seconde Guerre mondiale, vraisemblablement détruite par les nazis. Peut-être ce mouvement de caméra a-t-il été initié par ce souvenir de statue…

Quoi qu’il en soit, ce mouvement élaboré de caméra est chronométré à la longueur du couplet, se figeant dans un gros plan juste quand le chœur commence et restant sur Robeson jusqu’au milieu du premier chœur. Mais l’idée de ce traitement visuel provient du script d'Hammerstein, qui décrit très clairement le mouvement de la caméra: «Pendant les huit premières mesures de refrain, faire tourner lentement la caméra autour de Joe pour finir de face. Rester sur lui pour le refrain

À la fin de la scène, Hammerstein conseille à Whale d’utiliser certains types de plans pour bien rendre de l’état émotionnel de Joe: «Faire un close-up sur la figure de Joe en plein écran, pour capter un visage exprimant une souffrance sombre, mais résignéeWhale a suivi ces «conseils» d’Hammerstein, mais pas Robeson.

Le chanteur modifie les dernières secondes de Ol’ Man River de deux façons (v. fin video ci-dessus). D’abord, il arrête de chanter visuellement, altère la forme de sa bouche, avant que sa voix ne se coupe sur la bande sonore (pour des raisons techniques, la chanson n’est pas enregistrée en live et il chante en playback pendant la captation de l’image). Deuxièmement, il commence à sourire, un large sourire, ignorant complètement la suggestion de Hammerstein d’avoir «un visage exprimant une souffrance sombre, mais résignée.» Robeson déchire l’illusion de la relation son/image d’Hollywood (le cinéma parlant a moins de dix ans) et sort de son rôle à la fin de son grand moment dans le film. Robeson en travaillant sur le scénario n’a pu passer à côté de la remarque d’Hammerstein. Il a donc choisi volontairement d’interpréter le rôle différemment de ce qu’Hammerstein avait prévu.

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Paul Robeson
(Show Boat - Universal (1936))

C’était aussi l’idée de Hammerstein d’entrecouper l’image de Robeson chantant Ol’ Man River par des images illustrant les paroles, un choix très inhabituel dans les pratiques du film musical hollywoodien. Whale a aimé l’idée, mais a considérablement modifié le contenu des images proposées dans le script. Il voulait se concentrer davantage sur Robeson que ce qu’Hammerstein avait prévu. Ce dernier a convenu que «faire de lui la figure centrale des plans d’illustration est tellement mieuxWhale a filmé Robeson torse nu, portant une énorme baie de coton – d’autres hommes sont vus les portant dans des plans ultérieurs.

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Paul Robeson
(Sanders of the River - London Films (1935))

Ensuite on le voit, dégoulinant de sueur, bandant ses muscles dans un bref moment qui ne ressemble à rien d’autre qu’à l’image d’un «monsieur muscle».

Cette image peut être très surprenante, car les hommes torse nu à l’écran étaient en effet rares dans les films des années ‘30. La série des Tarzan de Johnny Weissmuller venait de commencer en 1935 lorsque Whale a créé cette séquence audacieuse qui met en vedette non seulement le personnage principal Robeson, mais aussi d’autres hommes noirs torse nu dans des compositions stylisées où ils sont occupés à sarcler dans les champs.

À l’époque, aucun autre film se déroulant dans le Sud n’a utilisé des corps masculins noirs pour créer l’imagerie des Afro-Américains écrasés par un travail intensif. Par contre, les histoires se déroulant dans certaines tribus africaines incluaient des hommes noirs partiellement déshabillés comme Robeson dans le film britannique Sanders of the River (1935). Ou quelque part, dans les séries des Tarzan. Whale a aussi éliminé, dans ces petites séquences illustratives d'Ol’ Man River, les images souhaitées par Hammerstein de l’autorité blanche cruelle – un peu l’image du Simon Legree de La Case de l’oncle Tom – ou de toute "protestation " en réponse. De même, les images génériques de la rivière n’ont pas été incluses. C’est une vraie rupture avec le scénario d’Hammerstein. Les plans d’illustration de Whale se concentrent principalement sur les corps de mâles noirs, mettant l’accent sur «l’homme» dans Ol’ Man River.

James Whale était homosexuel, et chose rare pour l’époque, ne le cachait pas: il a vécu en couple avec le producteur David Lewis de 1930 à 1952. Il avait d’ailleurs pour surnom: «The Queen of Hollywood». Pour beaucoup d’historiens du cinéma, son homosexualité a fortement influencé sa manière de filmer, même s’il n’a jamais été un «artiste-gay», mais bien un artiste tout court. Le choix de ces images insérées avec majoritairement des hommes torse nu et d’une vraie emphase sur «l’homme», montre que Whale a saisi cette occasion pour introduire dans le cinéma un certain type de nudité masculine, ce que, dans des circonstances différentes, le Production Code Authority (PCA) n’aurait jamais autorisé. La race – le fait que Robeson était noir – a certainement joué un rôle dans l’autorisation des choix de Whale, mais il faut souligner que la volonté de Robeson d’enlever sa chemise et de bander ses muscles à la demande de Whale, était tout aussi cruciale. Tout comme quand il avait posé nu dans le studio de Salemme à Greenwich Village dans les années ‘20.

H.6) Un des grands films de l'histoire du cinéma

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Frankenstein - Universal (1931) / The Old Dark House - Universal (1932)

Quand on parle de James Whale, pour beaucoup, les premiers films qui viennent à l’esprit sont les films d’horreur comme Frankenstein ou The Old Dark House. Mais Show Boat () aurait dû être sans aucun doute le triomphe de Whale.

En fait, Show Boat () était surprenant à plusieurs niveaux. En plus d’être la seule comédie musicale de Whale, c’est aussi une des rares extravaganza à gros budget d’Universal Pictures, un studio qui avait fait son pain et son beurre jusqu’alors avec des films d’horreur, des westerns et des comédies sans prétention. Le film a également offert des raretés à l’écran: Irene Dunne dans un rôle principal chanté, Allan Jones montrant qu’il était capable de jouer, et d’insaisissables performances hollywoodiennes par Paul Robeson et Helen Morgan. C’était aussi un exemple relativement rare d’un studio faisant un remake d’une histoire qu’il avait déjà tournée (le Show Boat () de 1929).

Show Boat () est un des rares films du Golden Age d’Hollywood (1913-1969) qui a osé montrer le côté le plus laid de la fin du XIXème siècle dans les États du Sud des États-Unis. La ségrégation raciale, normalement un sujet tabou pour Hollywood, a été clairement présentée par Whale dans Show Boat (). Les scènes où les membres du public blanc et noir entrent et sortent du show boat sur des passerelles différentes et puis se rendent dans des parties séparées de la salle du théâtre ne parlaient pas seulement de la laideur d’une époque révolue, mais reflétaient encore le protocole Jim Crow () qui était encore fermement en place en 1936 – et même si le public blanc a préféré faire semblant de ne pas s’en souvenir, le public noir de l’époque n’a pas pu ignorer cette allusion à leur deuxième classe de citoyenneté. De même, le mariage de Magnolia et Ravenal suit les us et coutumes de l’époque et montre l’équipage noir du showboat obligé de se cantonner à l’extérieur de l’église pendant la célébration officielle du mariage. Et enfin, on peut dire que le déclenchement principal de l’intrigue, l’aveu du métissage de Julie Laverne qui rend son mariage illégal avec son mari blanc, a brisé un tabou majeur dans le code de production rigide qui régissait les scénarios d’Hollywood.

On peut dire que c’est une honte majeure que Whale n’ait jamais fait une autre comédie musicale – comme nous l’avons vu Universal a explosé son budget avec ce film et en conséquence viré son directeur, décidant de revenir à ses formules éprouvées à budget modéré, et ce pendant de nombreuses années. Bien que le film ait été acclamé par la critique et couronné de succès au box-office, il a été tout bonnement retiré de la circulation dans les années '40, après que la Metro-Goldwyn-Mayer, qui voulait refaire le film, ait racheté les droits à Universal, mais surtout toutes les copies du film de 1936. La MGM voulait à l’origine mettre en vedette Jeanette MacDonald et Nelson Eddy dans le remake, mais ces plans sont tombés à travers et le Show Boat () de MGM n’a commencé son tournage qu’à la fin 1950, pour sortir à l’été 1951 avec Kathryn Grayson (Magnolia) et Howard Keel (Ravenal) dans les rôles principaux.

Le fait que Paul Robeson, qui avait joué Joe dans la version 1936, a été mis sur la liste noire en 1950 durant l’ère McCarthy – il n’a jamais caché ses sympathies envers le communisme et fera de nombreux voyages en URSS – a certainement aidé à prolonger la disparition du film de 1936. Il faudra attendre 1983 (!!!) pour qu’il fasse son retour à la télévision américaine par câble, et quelques années plus tard, sur PBS. Il est parfois diffusé sur TCM. En 2014, une version restaurée du film est devenue disponible en DVD aux États-Unis et en 2020, une restauration 4K Blu-Ray a été publiée par The Criterion Collection.

Vu aujourd’hui, le Show Boat () de la MGM (1951) est une distraction sirupeuse, tandis que la version d’Universal (1936) est sophistiquée dans la compréhension des questions sociales complexes et est incomparable dans la tentative de porter au cinéma l’une des œuvres les plus aimées de Broadway.